• Pleurez, vous êtes filmées !

    © anti-matière/c. guéraRD
     
    Le type qui a eu l’idée d’intégrer un appareil photo aux smartphones mériterait une belle fessée postée dans l’onglet « amateur » sur PornHub, histoire de bien lui mettre le nez dans la cam. En fouillant sur le Net, j’ai pu découvrir que notre immense bienfaiteur se nommait Philippe Kahn, un ancien prof de maths grenoblois. Mais ne cocoriquez pas trop vite, le type s’est expatrié à San Francisco pour gagner un pognon de dingue. En effet, depuis 2003, il est PDG de Fullpower Technologies, fournissant des solutions combinant biologie, nanotechnologies et une certaine MotionX, ultra présente dans tous les appareils connectés… Le genre de mec qui, s’il avait été pote avec Dorcel, aurait breveté le plug anal connecté aux satellites pour grimper plus vite au 7e ciel. Parce que c’est bien de cul qu’il faut causer : à défaut de nous avoir simplifié la vie en combinant deux outils, le Philou nous a bien mis dans la mouscaille ! En effet, aujourd’hui, à cause de son idée de petit génie voyeur, on passe notre temps à surveiller nos devants et surtout nos derrières, shootés en long, en large et en travers (de porc), avec, comme nouveauté bien relou, la mode de l’upskirt : le fait de filmer sous la jupe d’une femme à son insu. Forcément, dans l’exercice, le smartphone greffé à la main, les jeunes ne sont pas manchots.
    Dernièrement, un lycéen de Créteil (Val-de-Marne) a fait le buzz en braquant sur sa prof un faux gun pour qu’elle le note présent. Le jeune Escobar en survêt s’est mis en scène devant la caméra de ses potes, sans imaginer que sa prestation ferait le tour des réseaux sociaux. La « blague » a fait marrer ses pairs, mais pas Blanquer ni Castaner. Élevé·es aux séries et aux stories, certain·es jeunes, en mélangeant fiction et réalité, ont du mal à intégrer la portée de leurs actes. Mais si les adultes « c’était-mieux-avantistes » s’insurgent, force est de constater que le hold-up de l’intimité face caméra n’est pas une ­nouveauté. À ce sujet, les médias ont récemment mis en lumière le terrible destin de Maria Schneider, actrice malgré elle d’un viol imaginé par Bertolucci dans Le Dernier Tango à Paris, qui n’avait pas daigné l’informer de la scène pour plus de véracité. Contrairement aux jeunes de Créteil, le réalisateur italien n’a pas fini au placard, mais aux Oscars.
    Aujourd’hui, on remplit la mémoire vive de notre actualité d’images volées et commentées, perdant à chaque nouvelle vue, un peu de notre humanité. Pas étonnant alors que certains jeunes partagent pêle-mêle et sans discernement des photos d’exécutions, des nudes de leur copine, les derniers skins * de Fortnite ou des bastons de quartier.
    Dans le genre, je me souviens d’un jeune qui avait tenu à nous exposer ses talents de réalisateur, spécialiste de la musique de chambre : « Avec mes potes, on est des musiciens. On se passe les meufs… » Comme je lui signifiais mon étonnement quant à l’emploi d’une métaphore musicale pour minimiser ce qui avait tout d’un viol ­collectif, il s’est fendu d’une explication : « On se passe les meufs et on joue ensemble, comme un orchestre. On dit ça dans notre bande. Mais attention, c’est la meuf qui veut. On ne viole pas, nous. » Et puisqu’il était dans l’instrumentalisation de la relation, le type nous a raconté, sans gêne, qu’il filmait la fille pendant l’acte à son insu, partageait le live, invitant ses potes à venir mater ou à participer.
    Bien au-delà du consentement, c’était la fille dans sa globalité qui était niée. Pourtant, pour beaucoup d’élèves, il n’y avait pas à tergiverser : une fille qui vient pour baiser ne saurait se retirer. Fallait anticiper ! Étonnement, que des mecs puissent s’inviter dans un moment d’intimité ne semblait gêner qu’une minorité. Peu se souciaient de la nudité de la fille, exposée sans son accord aux regards du groupe. On faisait fi des pièges de la séduction, d’une possible emprise de l’un sur l’autre, de la complexité des émotions qui nous traversent et de la difficulté à les exprimer. L’éventualité d’une relation multiple avait-elle été évoquée ? Comment définir la moralité de celui qui a séduit et filmé ? Se taire, est-ce donner son accord ? J’ai balancé mes questions à la volée et, du coup, la classe a mis du temps à tout absorber. J’ai repris à l’adresse du caméraman : « Ce genre de situation m’évoque un viol collectif. Sauf si la fille vous a clairement exprimé son souhait de faire l’amour à plusieurs avant de subir la pression du groupe. »
    Comme ils·elles se taisaient, je les ai interrogé·es sur le droit à l’image. Bien qu’ils·elles aient tous et toutes entendu parler de cyberviolence, le cadre juridique et les risques encourus restaient à éclaircir. Sur le site Stop-cybersexisme.com, du Centre Hubertine Auclert, nous avons lu ensemble que « c’était à celui·celle qui avait diffusé un contenu de prouver que le consentement avait bien été donné (inversement de la charge de la preuve) ». Des peines lourdes allant jusqu’à 60 000 euros d’amende et deux ans de prison pouvaient être prononcées aux contrevenant·es. À la lecture des risques, le jeune, un peu affolé, a commencé par se rétracter arguant qu’il s’était vanté sans être concerné. La classe n’étant pas un prétoire, j’ai acquiescé sans vraiment y croire.
    Une fille au premier rang ne voulait pas qu’on en reste là :
    « Et la meuf filmée, tu penses à ce qu’elle ressent ?
    – Mais elle ne le sait pas quand on filme. Elle ne voit pas…
    – Mais tout le lycée le saura… Imagine, c’est ta sœur qui se fait tringler et filmer… Et tous tes potes la voient à oilpé. Si elle tournait sur les réseaux, ça te rendrait ouf ? »
    Comme le manque de réaction de la victime les questionnait, j’ai donné des explications sur les mécanismes de la sidération, cet état de stupeur émotive, dans lequel le sujet, figé, semble incapable de réagir. Pour beaucoup d’ados, toujours prompt·es à réagir dans l’immédiateté, l’absence de réaction, déstabilisante, est souvent traduite comme une forme d’acceptation. J’en ai profité au passage pour incriminer cette sale manie de tout filmer et ils·elles m’ont assuré en être conscient·es, mais que c’était devenu un réflexe. Le tropisme de cette génération pour la matière focale avait fait d’eux·elles de véritables toxicomanes totalement inféodé·es aux opérateurs-dealeurs.
    « Mon copain me filme et balance mon cul sur Snap, je le castre !, a ajouté une autre fille.
    – Mais c’est les plans cul que tu filmes. Pas ta copine, a tenté le mec incriminé.
    – Mais un plan cul, c’est quand même un être humain ! Avec toi, on dirait que la fille ne vaut pas mieux qu’un Kleenex. Et encore, si je me mouche dedans et que je te le passe, tu n’en voudras pas. Alors que là, les mecs, ils font la queue. Un plan cul, ça se respecte aussi », lui réplique-t-elle.
    Sa démonstration sentait le vécu, mais ce n’était ni le lieu ni le moment pour investiguer. À la sonnerie, ils·elles se sont tous et toutes levé·es d’un bloc et ont filé en se gondolant, sans même attendre le générique de fin. Pour eux, l’échange, comme un vieux film en noir et blanc, appartenait déjà au passé. Comme c’était ma dernière séance, le rideau, sur l’écran, est tombé et j’ai filé chez l’infirmière pour la lui résumer.
    DR KPOTE
    * Personnages et équipements que les joueurs de jeux vidéo achètent ou débloquent dans un jeu.

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  • Sans patriarcat, tout va !

    Photo : Hanslucas.HL_BDEMENGE
     
    Pour sortir de l’été en pente douce, je me suis dit que partager avec vous une chronique pleine de sève et de chaleur, ça mettrait un peu de baume au cœur sur la ligne soldée de nos congés payés. La rencontre date de juin dernier, dans un lycée des Hauts-de-Seine où les secondes stockaient de la vitamine D, lézardant devant leur salle pendant que leurs aîné·es bachotaient. Après les avoir laissé·es tranquillement s’installer, j’ai évoqué le programme de l’animation qui débutait sur une réflexion autour des stéréotypes de genre et leur impact normatif sur nos constructions. L’intitulé un peu ronflant n’invitant pas aux ébats en chambre, le groupe, pas déstabilisé pour un rond, a choisi la question du sport, haut lieu de la segmentation avec ses compétitions très genrées. Comme la classe était plutôt sûre d’elle sur la question de la différence des capacités physiques entre hommes et femmes, résultat d’une génétique peu paritaire, j’ai conseillé aux élèves de visionner le film Battle of The Sexes, biopic sur la tenniswoman Billie Jean King défiée par Bobby Riggs, athlète bedonnant en fin de carrière voulant prouver au monde entier la supériorité physique des mâles, fingers in the nose and the chips. Plus prompt à monter au filet pour balancer des vannes sexistes qu’à enfiler les smashes gagnants, le fat va perdre son pari. Le film met en évidence cette immense bataille menée par les femmes sur et en dehors des terrains de sport pour être reconnues à leur juste valeur et mieux médiatisées. Une adolescente, adepte de boxe anglaise, a entériné la persistance du sexisme sportif, en expliquant que, dans son club, même les vestiaires puaient l’inégalité par la surface attribuée aux filles. « Ils nous ont filé un placard à balais pour nous changer parce que c’est au ménage qu’ils veulent nous renvoyer », a-t-elle acté ironiquement.
    Je leur ai diffusé un extrait du Webdoc L’École du genre, dans lequel Catherine Louveau, sociologue du sport, explique que, pour la plupart des individus, il est inconcevable d’imaginer des filles en corps à corps, de les voir se donner des coups, le terrain du combat étant assigné aux mecs. Une fille de la classe nous a expliqué que dans son sport, la GRS (gymnastique rythmique et sportive) – fondée sur l’esthétisation des mouvements –, terrain de jeu habituellement réservé aux filles, les trois seuls garçons du club avaient dû se dépasser pour déjouer tous les stéréotypes. À force d’entraînement, ils avaient atteint un niveau d’excellence qui avait surpris tout le monde. Forcément, quand on réussit là où on ne nous attend pas, on fait le plein d’estime de soi. Et puis quand les muscles ou la technique ne suivent pas, le mental peut faire le reste et ce n’est pas notre boxeuse qui allait démentir. J’ai ­rappelé, au passage, que les commentateurs sportifs ne pouvaient s’empêcher d’associer des critères esthétiques à la narration des exploits physiques des femmes. Laure Manaudou a toujours été « une belle sirène » avant d’être une grande nageuse et, pour certains, le beach-volley féminin n’a d’intérêt que pour l’exhibition de ses fessiers musclés, la culotte ensablée dans la raie. Et que dire du foot américain qui a dynamité le baromètre du machisme en imposant aux femmes de jouer en sous-vêtements !
    Un garçon de la classe qui levait le doigt depuis un moment a assuré ne pas se reconnaître dans les stéréotypes masculins et leurs injonctions de musculature, de virilité, de force. Son pote, un rien moqueur, lui ayant renvoyé qu’il valait mieux au vu de sa frêle morphologie, il lui a répondu que « bouffer des kilos de protéines et pousser de la fonte », ce n’était pas sa came. J’ai ajouté que ça tombait bien puisque, après l’affaire Weinstein, l’heure était plus à la déconstruction qu’au body-building ! La petite dizaine de garçons de la classe semblait partager cet état d’esprit, détachée du terreau « mascu-muscu » dans lequel germent les futurs dominants. Du coup, pendant toute la durée des échanges, je n’ai jamais ressenti cette tension entre genres qu’on rencontre si souvent. En posant clairement leur volonté de ne pas répondre aux injonctions viriles, les garçons avaient ouvert le champ des possibles à l’égalité. La parole des filles pouvait alors se libérer en toute tranquillité, ce qui est rarement le cas.
    C’est grâce à ce contexte favorable qu’une jeune fille brune, la voix teintée d’émotion, a pu témoigner de violences sexuelles subies sans craindre les moqueries ou l’opprobre des autres. Sa plainte avait pris la poussière dans un commissariat de quartier, parce que pas suffisamment étayée pour un fonctionnaire dont l’intimité n’avait probablement jamais été violentée. Sa famille occultait le sujet jusqu’au jour où, après une tentative de suicide, elle avait été hospitalisée. Elle regrettait d’en être arrivée là pour que son entourage prenne la mesure de son mal-être. Elle a raconté, les larmes aux yeux, son calvaire pour résister, tenir, venir au bahut. Après un silence très respectueux, deux garçons à côté d’elle ont eu un magnifique geste d’empathie. Instinctivement, sans même se consulter, ils l’ont serré doucement dans leurs bras et l’un d’eux lui a même déposé un baiser très tendre sur la joue. Comme je leur expliquai que ces gestes d’affection m’avaient surpris par leur spontanéité, ils m’ont répondu que c’étaient des attitudes courantes dans cette classe, qu’ils ont définie comme très solidaire. Pour un animateur de prévention, cette dynamique de groupe facilite grandement le boulot. Les jeunes devenant des personnes-ressources les uns et les unes pour les autres, je n’avais plus besoin de leur fourguer du numéro vert anonyme et gratuit pour être écouté·es, accompagné·es, rassuré·es. Ils et elles étaient en capacité de faire le job entre eux.
    La parole invitant la parole, une jeune fille s’est fendue d’un long monologue : « Avant, dans un autre lycée, j’étais la cible de harcèlement parce que je me maquillais. On m’appelait la beurette salope. Ici, alors que personne ne me connaissait, j’ai été élue déléguée. Ça m’a rendu de la fierté. Heureusement, mes parents ont compris qu’il fallait me sortir de là-bas ! »
    En lui permettant de quitter un environnement hostile pour repartir de zéro ailleurs, les parents de cette fille lui avaient probablement évité des années de thérapie. Mais combien supportent les sarcasmes de leurs agresseurs en silence, sans qu’aucune possibilité de changement soit possible ? La classe l’avait accueillie comme elle était, sans jugement, lui laissant l’opportunité de s’affirmer et de se reconstruire.
    Dans le Webdoc sur le sport cité plus haut, Catherine Louveau conclut que « pour faire évoluer les choses, il faut d’abord les dire. Dire et montrer les discriminations ». C’est en verbalisant l’inacceptable qu’on invite à s’interroger et à faire bouger les lignes. Je leur ai signifié que leur classe était très en avance sur cette société qui bégaye son égalité si l’on en juge le nombre d’agressions sexuelles commises la nuit où les Bleus ont ajouté une seconde étoile sur leurs maillots, juste à côté de la crête du coq. Pour devenir champions du monde sur le terrain de l’égalité, il va falloir sérieusement que les hommes pensent à descendre de leurs ergots et que chaque famille devienne un véritable centre de formation dès la petite enfance. En gros, comme l’avait si bien résumé Franck Ribéry en son temps, la « routourne » doit tourner.
    DR KPOTE

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  • Cet été, alors que Booba et Kaaris se comparaient la teub au duty free de l’aéroport d’Orly, je suis allé faire pénitence devant trois membres du collectif breton Thomas Boulou, efficients promoteurs de la contraception masculine et d’un « contracep’tour » qui les a baladés, en 2017, de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, à Liège, en Belgique. Mon article sciemment caricatural au sujet du « slip chauffant » dans le Causette estival les ayant irrités, c’est dans un rade de Concarneau qu’on a remis les pendules et les burnes à l’heure. « Les stéréotypes sur le remonte-couilles, on a du mal… Peut-être parce qu’on est dedans toute l’année », a brillamment résumé l’un d’eux. La contraception « testiculaire » – terme préféré à « masculine » parce qu’on peut être doté de valseuses sans être assigné mâle – ayant largement fait ses preuves, les Boulou réclament une communication plus positive sur le sujet.

    Téléchargeable sur le site de l’Ardecom – Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, née de groupes de parole d’hommes féministes dans les années 1970 –, le guide du collectif explique une démarche qui dépasse la préoccupation anticonceptionnelle partagée : « Au-delà du partage des responsabilités, prendre en charge la contraception lorsqu’on est un homme peut aider à reconsidérer ce qu’implique sa vie sexuelle, non seulement sur les questions de contraception, de consentement, de plaisir ou d’IST [infections sexuellement transmissibles, ndlr], mais aussi sur les plans affectifs, relationnels, sociaux. Ça peut être l’occasion […] de questionner autrement sa masculinité, au-delà des questions de sexualité.... »

    Le nom Thomas Boulou, qui signifie vaguement en breton « boules au chaud », pourrait faire croire que toute la bande s’est pécho sur Grinder. « On s’est rencontré autour de l’attraction animale », me répond avec humour Christian, le quinqua du groupe, stipulant qu’ils sont tous paysans éleveurs. Militants alter et anticapitalistes, pas étonnant que leur lutte se teinte de féminisme. Pour preuve, le collectif est né pendant le festival féministe Clito’rik, en avril 2015 à Trégunc (toujours dans le Finistère), où ils ont animé un atelier non mixte sur « le plaisir avec ou sans coït ». C’est lors de cette manifestation et au contact de militants de l’Ardecom que les Boulou ont décidé de vanter les bienfaits de la contraception masculine. Pour lutter contre le sexisme et les effets pervers du patriarcat, rien de mieux que le partage d’un vécu au quotidien, d’autant plus que « la contraception dite “masculine” ne s’oppose pas à la maîtrise par les femmes de leurs propres fertilité et contraception. Les techniques utilisées par les hommes et celles utilisées par les femmes peuvent l’être en complémentarité, ou en alternance : elles permettent d’élargir le choix dans nos relations ou d’augmenter l’efficacité. » La déconstruction, ça les fait bien marrer parce que ça fait un bail que, eux, ils ont mis le casque de chantier.

    Deux d’entre eux m’assurent utiliser la méthode de contraception thermique en portant un slip dit « chauffant », le troisième ayant opté pour la vasectomie, ne souhaitant pas d’enfants dans son existence polyamoureuse. Mais c’est bien ce fameux « remonte-couilles » qui sera au cœur de notre discussion. Ce procédé mécanique, qui consiste à porter un sous-vêtement spécifique au quotidien quinze heures par jour pour placer les testicules à l’entrée des canaux inguinaux, ils le soutiennent et celui-ci le leur rend bien. Les testicules ainsi maintenus, leur température augmente de 2 °C environ, diminuant la concentration de spermatozoïdes dans la semence des mâles. Mais que ceux-ci se rassurent, ainsi « contracepté », on est toujours capable de bander et jouir. Pour Christian, les réticences et les angoisses face au slip thermique viennent de « la méconnaissance de l’anatomie masculine ». Les mecs imaginent toujours le pire quand on les invite à déplacer une partie de leur service trois-pièces.

    Adeptes du Do it yourself, les Thomas Boulou étalent sur la table une bonne dizaine de protos de leur confection. « Quand on nous invite, on débarque toujours avec nos machines à coudre pour partager notre expérience. »

    Sur leur site, ils ont prévu d’éditer des tutos pour prouver la facilité d’utilisation du « remonte-couilles ». Ils me présentent différents modèles, dont le jockstrap avec élastiques sur les fesses, qui, à l’instar du string, laisse la raie libre. Mais le joyau de la collection, c’est le soutien-gorge détourné de sa fonction mammaire. Un beau prototype en dentelle mauve, agrémenté d’un anneau pour le passage du pénis, vient bousculer les codes du masculin sous mes yeux. Aurélien précise, en s’appuyant sur l’exemple d’un zadiste de Notre-Dame-des-Landes fier de son slip fabriqué à partir d’un soutif en dentelle rouge : « Notre démarche inspire, libère l’imaginaire sur les sous-vêtements masculins. Beaucoup de mecs montrent leur envie de sortir des stéréotypes de genre. » Christian, lui, roule des chaussettes, coupe le bout, rajoute un lacet pour pouvoir adapter l’anneau ainsi formé à la morphologie de sa verge. Le lacet « devient un élément décoratif intéressant, puisque, perso, je ne suis pas trop porté sur la dentelle », nous confie-t-il. Pour ceux qui auraient peur de perdre leur identité de genre dans les frous-frous, ils m’assurent que le modèle cockring sous le maillot de bain pour aller à la plage fonctionne aussi très bien. Dans leur atelier de Quimper, un samedi par mois, n’importe qui peut venir fabriquer son propre « boulocho », comme ils l’ont baptisé. Benjamin estime que « c’est mieux de s’appuyer sur un groupe d’autosupport, porté par les usagers eux-mêmes, plutôt que de voir un toubib pas forcément au courant des techniques de contraception ».

    « Remonter les couilles, c’est facile, naturel, spontané et non douloureux… C’est ça notre message ! » tient à résumer Aurélien. Et Christian d’ajouter : « Pour les observants, on n’a aucun échec répertorié ! Avec un spermogramme, tu vérifies facilement ta fertilité. Si au bout des trois mois de spermatogénèse tu n’es pas en dessous du seuil contraceptif d’un million de spermatozoïdes par millilitre, tu changes de méthode ou tu portes le slip plus longtemps. »

    Un rien casse-couilles, comme j’abordais le problème de l’âge et des testicules qui pendent, Benjamin m’a renvoyé l’argument qui va cartonner dans les Ehpad : « Dans vingt ans, des sexagénaires auront des testicules de jouvenceaux parce qu’ils les auront soulevés toute leur vie ! »

    Même s’ils ne l’occultent pas sur leur guide, les Thomas Boulou ne sont pas trop portés sur la contraception hormonale pour les mecs. Anticapitalistes et écolos, ils essaient de s’affranchir de la toute-puissance des labos et de leur chimie marchande. L’avantage de la contraception thermique, c’est qu’elle peut totalement être prise en charge par les usagers. Christian ­imagine même réaliser un jour lui-même ses spermogrammes. Les Thomas Boulou tiennent à leur liberté de choix et à leur indépendance. Forcément, ça ne va pas plaire à tout le monde, mais ça force le respect. Perso, vu qu’ils m’ont offert deux prototypes de slip, je ne vais pas me gêner pour les soutenir.

    DR KPOTE

    Permanence atelier : chaque premier samedi du mois, de 14 à 17 heures, à La Baleine, 35, rue du Cosquer, Quimper (29). Site du collectif : contraceptionmasculine.fr


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  • Le 18 juillet, Santé publique France a publié une étude inquiétante démontrant une multiplication par trois des IST (infections sexuellement transmissibles) entre 2012 et 2016. Le chlamydia, bactérie qui kiffe les ados, et les infections à gonocoques, plus connues sous la dénomination fort éloquente de « chaude-pisse », sont particulièrement visées. Selon les informations traitées, la tranche d’âge la plus touchée est celle des 15-24 ans, les jeunes femmes étant les plus exposées. Cerise sur le tréponème (bactérie responsable de la syphilis pour les non-averti·es), on peut aussi évoquer le grand retour de la vérole (autre petit nom de la syphilis), qui fait plus que pointer le bout de son chancre avec quatre à cinq cents nouveaux cas diagnostiqués par an. Dès publication de l’info sur la Toile, de nombreux haters ont incriminé les migrant·es africain·es venu·es jusque dans nos bras infecter nos fils et nos compagnes, nous renvoyant aux années sombres du sida où la contamination était toujours le fait de l’autre, l’étranger, le tox, le pédé. Force est de constater que les temps changent, pas les boucs émissaires.
    Mais laissons là le racisme viral et revenons au cœur du sujet : une baisse significative de l’utilisation des préservatifs. Comme j’aime à le signaler aux jeunes, on ne va pas créer une police de la capote qui verbaliserait, sous les draps, tout ce qui bouge à découvert. La peur a fonctionné un temps, au plus fort de l’épidémie de sida, mais aujourd’hui, ses ressorts semblent rouillés. Pour ne pas faire dans la morale anxiogène, j’affirme aux ados que la prise de risque est recevable à condition qu’elle soit éclairée, partagée et non subie, ce qui est loin d’être le cas à leur âge ! Je ne manque jamais, bien sûr, d’en lister les conséquences, invitant à tempérer toute velléité de trompe-la-mort.
    Sur les réseaux, beaucoup de parents se plaignent d’une absence d’éducation sexuelle auprès des jeunes, mais les mêmes qui la réclament une fois le nez dans les IST étaient parfois les premiers à discréditer notre passage dans le bahut de leurs morpions. Adieu zézette et zizi ! Nous sommes profondément désolé·es de vous apprendre que pour prévenir intelligemment, on doit mentionner le vagin, le pénis, l’anus, lister des pratiques sexuelles variées, dénoncer le porno sans capotes visible par tous, rappeler qu’une bonne partie de jambes en l’air peut se conclure chez le gynéco ou le dermato. Pour être efficace, il faut faire dans le concret et pas dans le registre bucolique de la cigogne qui ferait germer des gosses dans les roses et les choux bio. On a beau proposer des préservatifs depuis les années 1980, la prévention n’est pas une science exacte. Savoir ne signifie pas faire. Avoir ne veut pas dire utiliser. De nombreux freins existent à l’utilisation des capotes, et ce n’est pas juste une histoire d’information, même si on réclame depuis des lustres l’application de la loi qui prévoit trois séances par an de la sixième à la terminale. Lorsqu’on interroge les jeunes sur les raisons de leur non-utilisation du préservatif, certain·es tentent un « la flemme, c’est trop cher », argument aussitôt démonté par l’infirmière qui en distribue gratuitement toute l’année. La weed, le tabac, les dernières Nike sont rarement rationnées quand le latex l’est. Logique, à un âge où la prise de risques est v­alorisée et le fait de prendre soin de soi vu comme une fragilité. Le site Onsexprime.fr a répertorié les pires excuses pour ne pas utiliser un préservatif. Du classique « moins de sensations », très exagéré pour des novices, on passe au « ça fait débander », qui peut être une vraie réalité peu verbalisée. Toutefois, un garçon à Villemomble (Seine-Saint-Denis) a daigné nous éclairer sur sa technique perso : « Tu demandes à ta meuf de twerker nue pour t’exciter. Et toi, tu enfiles le truc en la matant pour rester dur. »
    Effectivement, mettre une capote à deux, scénariser la pose, peut préserver de ce fameux coup de mou pénien tant redouté par le mâle en herbe, inféodé à l’injonction érectile. La complicité dédramatise l’instant et favorise l’utilisation. Si certain·es jeunes se protègent lors du premier rapport, une fois qu’ils et elles se sont intimement découvert·es, ils et elles ont tendance à être moins observants avec le temps. Et si l’un ou l’une avait été contaminé·e avant ? Et si l’un ou l’une l’était depuis la naissance ? Je surprends des regards interrogateurs entre couples qui présagent de bons débats à la cafèt et de tests à venir.
    À Ivry (Val-de-Marne), j’avais rencontré un mec beaucoup plus radical sur le sujet, en mode « Call of au plumard » : « Ma copine-cochon [sic], je la termine à balles réelles [sans capotes]. Les mecs qui baisent avec des balles à blanc [avec des capotes], ce sont des baltringues. » Ce genre de mecs qui jouent à la roulette russe avec les virus, je les fais grimper à 120 battements par minute avec des histoires de cul qui se sont terminées en cendres au Père-Lachaise. Une fois désarmés, ils demandent où se faire tester.
    Dans les couples hétéros, les stéréotypes de genre s’invitent au moment de la négociation du préservatif et impactent la décision ou non de se protéger. Certains garçons, éduqués en bons mâles dominants, exagèrent les codes d’une virilité qui les prédispose à une prise de risques sexuels. Que ce soit pour tirer à « balles réelles » ou simplement pour afficher leur maîtrise des choses de la vie en se retirant avant éjaculation, ils vont jouer la partition du « même pas peur ». En général, ils ont bien intégré en cours de SVT que, biologiquement, les filles sont les plus exposées et, du coup, ils s’estiment immunisés. Certaines filles, elles, mises sous pression par les « forceurs », ne se sentent pas légitimes, voire en capacité de refuser un rapport non protégé. Le fait de les maintenir dans l’ignorance de leurs corps et de leurs propres choix sexuels nuit grandement à leur santé affective ! Au moment de la négo du préso, cette vulnérabilité les met en danger puisqu’elles finissent par accepter ce qu’elles voulaient refuser. Travailler sur l’égalité et la légitimité de chacun·e à choisir et vivre pleinement sa sexualité, c’est œuvrer à la réduction des risques sexuels bien plus qu’en balançant des tonnes de latex à la sortie des lycées.
    Chez les HSH – les hommes ayant des ­rapports sexuels avec d’autres hommes, qu’ils se vivent hétéros, bi ou homos –, l’augmentation des infections à gonocoques et de la syphilis intervient alors même qu’on aspire à tendre vers le « zéro contamination » par le virus du sida. La PrEP, qui consiste à prendre un médicament préventivement afin d’éviter une contamination au VIH, s’est exposée en 4 x 3 cet été, avec un message trop succinct pour être compris du grand public. Outil supplémentaire dans l’arsenal préventif, elle peut être prise en continu ou « à la demande » en anticipant un potentiel rapport à risques. Si ce traitement prophylactique a fait ses preuves, il montre ses limites dans l’augmentation de relations non protégées et l’exposition aux autres virus. Même si Aides nous certifie que c’est faux sur Tetu.com, j’ai entendu quelques témoignages de très jeunes gays, fraîchement sortis du placard et pouvant enfin vivre pleinement leur sexualité au grand jour, influencés par des aînés pas toujours prévenants avec eux. Là aussi, entre vrai choix et relation sous emprise, la frontière est ténue.
    Santé publique France a lancé une campagne digitale pour promouvoir l’utilisation du préservatif avec le slogan « Un préservatif, ça peut te sauver la vie. Gardes-en toujours sur toi ». Pour mieux atteindre les jeunes, l’agence a repris les codes du life hacking, ces astuces que l’on partage sur YouTube pour faciliter le quotidien. Ces vidéos mettent en scène les vertus du préservatif dans des circonstances décalées : la capote, c’est aussi pratique comme étui imperméable pour son smarphone. Pour être franc, je n’adhère pas au concept. On se plaint que les IST augmentent et on fait dans la métaphore. On vante toujours le côté cash des pays nordiques dans leur façon d’aborder la prévention, mais on est incapable de leur emboîter le pas. À trop ménager la chèvre et le chou, on a fini par zapper le bouc.
    DR KPOTE

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  • Cortège de tête ou défilé de teub ?

    Photo Flickr / Valk

    Les slogans de manifs ont parfois du mal à dépasser le stade anal et le haut de la ceinture. Malheureusement, le sexisme s’y invite aussi. À ce sujet, j’ai questionné une bande de Riot Grrrl, engagées et « déter » comme on dit dans le cortège de tête, fortes d’une bonne expérience des occup’ de facs et des gardes à vue, afin de faire le point sur la place du féminisme dans les luttes. Un soir, porte des Lilas, à Paris, elles sont cinq étudiantes à avoir répondu à ma requête, Rosa (1), 20 ans, en études théâtrales, Olympe (1), 20 ans, en lettres modernes, Louise (1), 21 ans, Marie (1), 20 ans, et Angela (1), 21 ans, toutes trois en médiation culturelle.

    Comme je leur proposais d’aborder le sexisme en milieu militant, souvent bien planqué sous le vernis de l’engagement, Louise, en blouson Harrington et Doc Martens, qui a fréquenté le milieu libertaire antifa, lance le premier pavé à la terrasse du café où nous sommes installé·es : « C’est pas facile d’être une gonzesse dans le cortège de tête. Les mecs te protègent contre ton gré parce qu’ils estiment que tu risques plus ta vie qu’eux. Les groupes affinitaires, c’est le rendez-vous des gros bras très mascus. Il y a peu de nanas et les minorités de genre ne sont quasiment pas représentées. » Louise dit être entrée dans le collectif en tant que « meuf de » et qu’elle est restée la « meuf de » jusqu’au bout de son aventure. Elle se souvient qu’un mec accusé de viol n’avait pas été exclu par le collectif, celui-ci arguant que « le groupe n’avait pas à se suppléer à la justice et aux keufs ». La solidarité de couilles prendrait donc le pas sur l’égalité des droits chez certains antifas. Olympe souffle : « Ces vieux schémas sexistes perdurent, car les anciens forment les jeunes qui veulent en découdre. On reste entre mecs cis qui privilégient l’action musclée et font les candides quand tu pointes leur sexisme. »

    Louise s’est vite rendu compte que même ceux qui se disent alliés n’assurent pas le minimum syndical. Elle s’explique : « Dans les bastons, les mecs ont le syndrome du white knight, le cavalier blanc qui vient à notre secours, même quand on n’en a pas besoin. Et ils n’ont toujours pas capté que “pédé” n’était pas une insulte. »

    Au niveau des intentions féministes, les mecs se sont un peu trop reposés sur les lauriers de leur Fred Perry. C’est plus facile de tagguer de grandes idées que de les appliquer.

    Pour les occup’ de facs, Rosa explique qu’elles avaient posé des règles en AG, dès le début. La principale stipulait une éviction en cas de propos discriminatoires. Angela précise que c’était important de « créer un espace qui soit le plus safe possible, où les filles et les minorités de genre puissent prendre la parole sans être emmerdées. » Mais Olympe tempère : « Pendant l’occupation, beaucoup d’agresseurs (militants et soutiens ponctuels) ont été outés. C’était surprenant pour ce milieu. »

    Sur la base du volontariat, la « team sécu » était composée d’une majorité de filles. Angela tient à souligner que les mecs cis partants étaient de bons alliés. Du moins sur le papier, car en vivant en communauté, la promiscuité, lutte commune ou pas, génère des tensions. Olympe explique, l’air lassé, que des mecs grattaient des câlins sur ses seins généreux, tentaient des rapprochements jusqu’aux dortoirs non mixtes, les collaient malgré leur refus. Louise rebondit : « Dès le premier soir, on a viré un mec qui a dit “Suce ma bite” à une fille. Il disait qu’il voulait nous enculer et des tas d’autres saloperies. Pour éviter son éviction, il ne s’adressait qu’aux mecs de la sécu. On était transparentes. »

    Angela, très remontée, continue : « À Paris 8, un groupe de mecs refusait que la sécu soit prise en charge par des meufs. Ils nous traitaient de salopes… Pour qu’ils daignent nous écouter, il fallait être maternaliste avec eux. Le comble ! » Louise se rappelle qu’elle s’est sentie extrêmement décrédibilisée, au point de pleurer, planquée dans une salle. Toute la journée, chaque fois qu’elle tentait de gérer un problème, les gens réclamaient le seul mec de la sécu, alors qu’elle portait ostensiblement le brassard idoine. Drôle de paradoxe quand on constate que certains de ces jeunes fustigent les services d’ordre de syndicats en manif, les accusant de jouer les gros bras.

    Lors des réunions, Louise a regretté des divisions au sein même de la consœurie des femmes. « Il y a eu une AG non mixte TERF [Trans-exclusionary radical feminist, ndlr], organisée par une asso de femmes cis qui rejetaient les minorités de genre. Pour l’une d’elles, les femmes trans étaient des mecs déguisés qui profitaient des toilettes pour violer les meufs ! Leur position n’était pas acceptable. »

    Face aux minorités de genre, les mecs cis pensent que l’ensemble des termes LGBT+ divisent plus qu’ils ne réunissent. « La notion d’invisibilité des minorités, ils s’en battent les couilles… Quand on évoquait la pansexualité ou les gender fluides, ils pensaient scission ! » s’irrite Olympe. Elle est persuadée que les filles militantes sont plus au fait des combats égalitaires que les mecs, qui ne comprennent pas l’utilité des AG non mixtes. Le jour où elles ont organisé une réunion pour leur en expliquer l’intérêt, ils étaient à peine une dizaine. Les autres avaient piscine, bon argument pour tester l’étanchéité de leurs lunettes de plongée avant les manifs ! Louise résume : « Le problème de la non-mixité, c’est que tu dois constamment la justifier auprès des mecs qui se sentent exclus, blessés dans leur petit ego. »

    Lors d’une réunion sur le féminisme, les filles ont dû répondre à des interrogations sur une éventuelle oppression inversée où les hommes seraient soumis à leur autorité. Après deux heures de réunion sur le sujet, elles ont dû réexpliquer que le sexisme anti-homme n’existait pas dans un système patriarcal. Rosa, très remontée, se souvient : « On l’avait organisée pour un mec de syndicat qui s’accaparait les temps de parole. Il nous a reproché d’être paternalistes et de ne pas porter la bonne parole du féminisme. Du pur mansplaining ! »

    Justement, cette manie qu’ont les hommes d’expliquer aux femmes ce qu’elles savent déjà était omniprésente sur les temps de lutte et d’occupation. En 1968, les femmes s’en plaignaient déjà. Quelles que soient les époques, les pavés volent, mais les mecs, eux, ont du mal à prendre de la hauteur. « On t’explique comment aller en manif, comment tracter devant les lycées, comment te tenir en tête de cortège et réagir en cas de charge. Le pire, c’est que c’est fait par certains types qui paniquent aux premiers gaz lacrymos ! » se moque Louise. Rosa se souvient que, dans beaucoup de réunions, les mecs cis ont mobilisé la parole sans soupçonner la dimension oppressante de leur attitude. « Ils cherchaient à nuancer nos propos parce que les féministes énervées, ils trouvaient ça chiant ! J’ai gagné deux étiquettes dans la lutte : féminazie et pute à chien », déclare Louise en allumant une clope roulée.

    Et puis, dans la sensibilisation au féminisme, il y a forcément le sujet du viol et des agressions sexuelles qui s’invite dans les débats. « Les mecs cis qui t’expliquent que le consentement peut être flou dans la tête des femmes, c’est hyper présent », reprend Angela. Elles relatent avoir viré un mec par soir, même si dans les milieux libertaires, ce genre de décisions n’est pas trop accepté. Angela est ferme : « Libertaire ne veut pas dire que tout est permis ! Un mec m’a assuré que marxisme et féminisme n’allaient pas ensemble, que la culture du viol n’existait pas. Pour un autre, le viol était subjectif. Le pire, c’est qu’il faisait psycho. »

    Dans les luttes, les mecs dénient leurs attitudes et leurs propos sexistes, se drapant dans leurs capes de militants. À entendre ces jeunes femmes, l’émergence de la lutte communautaire s’inscrit comme une évidence. Celles·ceux qui rejoignent le Pink Bloc ou le Witch Bloc s’y sentent probablement plus en sécurité, protégé·es non pas des CRS mais bien de leurs propres « allié·es » de lutte. Prises entre la matraque et la teub, les femmes et les minorités de genre ont intérêt à rester bien déterminées et soudées.

    Dr kpote

     

    (kpote@causette.fr et sur facebook)

     

    1. Les prénoms ont été échangés avec ceux de militantes féministes célèbres.


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