• Le bling-bling, en référence au bruit des chaînes clinquantes portées par certains rappeurs, illustre bien notre époque où le nombre de vues sur YouTube prime sur la qualité du propos. « Être vu, c’est la base, m’ont dit des lycéen·nes parisien·nes, parce que ça fait du cash ! » Dans cette société du m’as-tu-bien-vu, les rappeurs et les footeux sont devenus les Dolce & Gabbana de la junk mood. Ces derniers ont familiarisé des tas de gosses avec le mot « sextape », désormais aussi usité que les cartes Pokémon dans les cours de récré.
    À la façon de Kalash Criminel, des jeunes veulent le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière, autrement dit « le salaire à Messi et la sœur à Neymar ». Les footballeurs, gladiateurs des temps modernes tatoués jusqu’au SIF (sillon interfessier) et icônes du Mondial de la coiffure, ont engendré l’image d’une virilité surgonflée dans des survêts bien ajustés qui cartonne dans les lycées. Chantres du bling-bling, rappeurs et footballeurs se kiffent tellement qu’ils n’ont de cesse de nous faire partager leur virile amitié, suivie par des millions de fans.
    Sur YouTube, on peut découvrir que Booba et Benzema apprécient les courses en Lamborghini à 300 000 euros. Mais s’ils « portent leurs couilles en se tirant la bourre », me signalait un mec en chaudronnerie, celles-ci doivent être bien lustrées, car le rappeur demeure un rien maniaque avec ses sièges : « Suce-moi dans ma Lambo sans faire de tache », nous susurre son Auto-Tune dans le morceau B2oba. Cabella, le joueur prêté par l’OM à Saint-Étienne, réussit l’exploit de faire le signe Jul sans se tromper de nombre de doigts quand il marque, parce que ce rappeur « l’inspire » quand il chante : « Pétard en billets violets, te déshabille pas, je vais te violer (1). » Matuidi et Niska font « charo » commun tout en faisant « des repérages de femmes sur les réseaux (2) ». Et Serge Aurier avait peut-être remplacé l’eau de sa chicha par la « limonade de chatte (3) » de son poto Kaaris, le jour où il a traité son coach de fiotte sur Periscope. Quelque part entre la queue et les pieds, ces types nous proposent donc une vision de l’humanité en dessous de la ceinture et au ras d’un gazon qu’on broute en chanson.
    Forcément, à ce stade de mon propos, vous vous questionnez sur la place des femmes dans ce grand déballage de testostérone. Les compagnes de footeux, regroupées sous l’acronyme WAGs (Wives and Girlfriends), sont cantonnées à rivaliser dans leur propre championnat sur Insta, celui de la plus sexy, la plus à poil sur le Net, ou la plus hot, sans que jamais on n’évoque leur carrière personnelle. Elles sont donc désignées comme « femme ou petite amie de… », sans autre qualité, juste bonne à accompagner leur compagnon, roi du petit pont. Une recherche sur Google avec « femmes de footballeur » montre clairement qu’elles sont référencées uniquement sur des critères « plastiques » : « Top 35 : les plus belles WAGs » ; « Les 17 femmes de footballeur les plus canon », etc. On les cantonne donc au rôle de belles plantes qui prendraient racine sur les pelouses du parc de leurs princes. Les WAGs, entre deux poses sur les réseaux sociaux, seraient majoritairement des pompeuses de « bites et de pognon », aux dires de certains jeunes amateurs de ballon rond et de gros nichons.
    « Monsieur, quand on voit la gueule de certains joueurs et les femmes qu’ils se tapent, on devine pourquoi elles sont là.
    – Heu… pourquoi ? [Je joue volontairement les candides.]
    Elles michetonnent. Elles sont là pour le fric.
    – Mais certaines ont des métiers très rémunérateurs, comme mannequin ou chanteuse, sans avoir à vivre aux crochets de leur mec.
    – Elles veulent toujours plus ! Et puis leur beauté de mannequin, avec le temps, ça va passer…
    – C’est sûr, reprend un autre, les footballeurs ne vont pas rester avec une meuf de 40 ans toute fripée, même au niveau des fesses. Ils préfèrent, comme nous, du frais !
    Comme je leur suggérais que c’était peut-être une association bien calculée pour faire le buzz et engranger un beau pactole pour anticiper des retraites précoces de sportifs et de mannequins, ils ont résumé mon hypothèse par un truculent « après le double Big Mac, le double micheto ! ». Les footeux comme les mannequins étant bons pour la casse à 35 piges, si les premiers peuvent se reconvertir en entraîneurs, proposer aux secondes de finir entraîneuses reste plus touchy.
    On a abordé le cas de la jeune star Mbappé, joueur du PSG, qui aurait « liké sur Insta des meufs », et l’une d’elles « l’a affiché plutôt que de lui piquer sa thune ». Le débat s’est tout de suite porté sur la bêtise de cette fille. « Un mec friqué et connu te kiffe sur Insta, tu lâches pas l’affaire ! » ont assuré les filles à l’unanimité. Quand je leur ai dit que femme de footballeur ce n’était pas une vie, à suivre son cramponné de mari, elles m’ont répondu qu’elles étaient partantes pour un tour du monde du shopping. « En même temps, tous ne jouent pas au PSG, au Barça ou à l’AS Roma, et arpenter les rues de Manchester sous le crachin, ou les tribunes du FK Chakhtar Donetsk, en Ukraine, ça ne doit pas toujours être hyperglamour », leur ai-je fait remarquer. « Monsieur, la vraie WAG, elle tape niveau Ligue des champions, genre Real ou Bayern. Elle ne va pas aller se faire chier à Montpellier ou Dortmund ! »
     
    Rap et foot : l’union sacrée
    Comme je leur demandais si ça ne les gênait pas d’être moins considérées que leur mari, l’une d’elles m’a sorti que « avec une belle paire de seins siliconés, elle lui ferait la misère sur les réseaux sociaux ». « Le problème, c’est que le mec ne sera jamais vu comme un michto, alors que l’inverse, si », lui a rappelé, désabusée, une bonne copine de classe. Comme quoi, même si on a l’air de prendre son panard, on est rarement sur un pied d’égalité.
    Récemment, le rappeur belge Damso a été choisi pour écrire l’hymne des Diables rouges belges pour le Mondial de foot 2018, en Russie. Quand on écoute ses textes, on comprend que ce choix ne tient pas du hasard. En effet, le chanteur a la langue bien pendue et la queue fourchue quand il déclame : « Ça casse les couilles comme quand t’as plus d’capotes/Devant biatch qui a le DAS qui arrête pas de mouiller (4) ». Ça, c’est pour nous rappeler que les « chiennes » qui mouillent sont forcément conta­minées par le sida. On stigmatise une fois de plus la liberté sexuelle des femmes comme support de maladie. « J’ai séché les cours, pour mouiller des chattes pendant que j’ai le barreau, bitch (4) » et « Si t’as pas de fesses, j’espère qu’au moins tout le reste est siliconé-é-é (4) », sont deux autres punchlines qui en disent long sur les fantasmes du jeune homme.
    Les mondes du foot et du rap vont donc unir leur verve poétique pour faire chanter les supporteurs et supportrices. Un choix qui cautionne parfaitement cette fameuse exemplarité vis-à-vis des jeunes générations que n’ont de cesse de réclamer les coachs… Damso a balayé la polémique en sortant ses larmes de croco philanthropique sur son compte Insta : « Cette tournée m’a fait comprendre une chose : je les emmerde avec leur polémique à la con. Venez à mes concerts, il y a des jeunes filles, des jeunes garçons, des mères, des pères, des adultes, des Blancs, des Noirs, des Arabes, des Asiatiques, des “HUMAINS”, tout simplement. Ça sera ça le titre de l’hymne. Un grand merci. #Dems »
    Mais oui, Dems, c’est beau, toute cette humanité, ça donne presque envie de pleurer… Heu, non ! de mouiller. De la chatte, bien sûr.
     
    1. Sors le cross volé, Jul.
    2. Réseaux, Niska.
    3. Arrêt du cœur, Kalash Criminel feat, Kaaris.
    4. IVG, Damso.

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  • Parce que les hastags appartiennent à l’ordre des éphéméroptères, avec une espérance de vie avoisinant quelques jours sur les fils d’actus, celui dénonçant les attitudes porcines des mecs a quitté doucement la case « Tendances » de mon Twitter pour migrer vers un passé archivé. La dénonciation de comportements inappropriés, harcèlement et violences, demeure malgré tout une priorité de mon métier, l’éducation à la sexualité. Certes, tout ne fut pas vain puisqu’il y aurait, nous dit-on, une augmentation des plaintes pour violences sexuelles déposées dans les gendarmeries, et que l’image de quelques célébrités a été sérieusement écornée. Les paroles libérées ont eu donc leur effet. Toutefois, on peut d’ores et déjà parier que nombre de harceleurs passeront l’hiver la bite au chaud dans la main gauche, pendant que la droite jurera qu’on ne les y reprendra pas. Après la baffe médiatique, tout le monde cherche des solutions miracles et, forcément, on se tourne vers nous, les travailleuses et travailleurs sociaux, juste parce qu’on est resté·es au contact de ce fameux terrain que les politiques n’ont de cesse de citer sans jamais y mettre les pieds. Il n’y a pas un repas entre ami·es sans qu’on nous questionne sur le sujet. La deuxième bouteille de rouge à peine finie, on exige même des réponses : « Comment protéger ma fille ? Comment éduquer mes fils et les mecs en général ? Que fait l’école ? Comment en finir avec cette société patriarcale ? Toi qui es à leur contact, rassure-moi, les jeunes sont inclusifs, non ? » À peine le dernier verre ingurgité, certain·es, bien déshinibé·es se livrent un peu plus : « Les mecs des banlieues sont plus violents et moins éduqués que les autres, non ? T’en penses quoi des migrants qui harcèlent les meufs à La Chapelle ? Tu ne crois pas qu’il y a des femmes qui provoquent, qui montrent trop leur cul ? Entre nous soit dit, on ne peut plus rien faire, alors qu’avant on roulait sans cein-tures, la clope au bec, le coude sur la fenêtre et la main droite sur la cuisse de la femme qu’on raccompagnait. On était plus libres, non ? » Au-delà de ces échanges « conviviaux » où, tout en augmentant mon taux de Gamma GT, je fais le ménage dans mon annuaire téléphonique, j’ai reçu pas mal de mails et de messages privés sur Facebook, émis par des professeures ou éducatrices qui avaient osé défendre la campagne #balancetonporc auprès d’un public majoritairement masculin en lycée pro ou structure d’accueil social, sans anticiper la violence du retour de manivelle. Du coup, certaines m’ont contacté en urgence pour éteindre l’incendie, pensant qu’avec deux vidéos et mon cartable de compétences psychosociales, j’allais pommader les couilles meurtries de mecs blessés dans leur virilité, tout en les caressant dans le sens du poil de l’égalité.

    Putsch féministe

    En effet, beaucoup d’hommes ont vécu cette campagne de « délation » comme une attaque en règle du masculin, une tentative de putsch féministe à la manière de ce fameux « grand remplacement » si cher à l’extrême droite. Entre porcs et truies, la guerre des genres est donc déclarée, et ce sont les meufs qui se retrouvent accusées d’avoir tiré les premières. Beaucoup d’entre vous souhaitent un sursaut éducatif qu’il nous appartiendrait d’orchestrer, parce qu’au final, nombreux sont celles et ceux qui se disent débordé·es face aux enjeux de l’éducation à l’égalité. Tout d’abord, histoire de vous rassurer (ou pas d’ailleurs), sachez que je suis comme vous, en proie à des tas d’interrogations. Comme beaucoup de parents, je n’ai pas vraiment anticipé que smartphones et tablettes étaient en train d’élever nos gamins à notre place. Google, Facebook et autres géants du Web peuvent se frotter le microprocesseur. Pendant qu’on nous endort avec des histoires d’intelligence artificielle qui devrait augmenter notre temps d’oisiveté, on prend soin de nous inoculer de la connerie universelle, nous condamnant à l’ilotisme intellectuel. Ce bon vieux big data souffle dans les oreillettes blanches rivées aux oreilles des ados tout un tas de trucs pas nets du tout. Mais bon, comme il ne faut surtout pas passer pour des « vieux cons », les adultes se mettent à singer les gamins connectés et se rassurent en se disant que leur gosse est plus intelligent·e que les autres. Pour éviter de jouer l’« expert » invité sur les plateaux télé, je vais donc mouiller le maillot perso. Et pour ce faire, je partage avec vous un de ces petits moments qui rythment la vie familiale et nous révèlent parfois à nous-mêmes. Récemment, en pleine campagne #balancetonporc, j’évoquais, entre le fromage et la poire, le cas de Kingsley Coman, attaquant du Bayern de Munich et de l’équipe de France, jugé pour violences conjugales. Je signalais mon indignation devant la minoration judiciaire de ses actes. En effet, le type a été condamné à seulement 5 000 euros d’amende pour un salaire avoisinant les 166 000 euros par mois ! De plus, il représente toujours la France lors des compétitions internationales, alors que les entraîneurs n’ont de cesse de vanter l’importance de l’exemplarité dont devraient faire preuve les stars du ballon rond auprès des jeunes. Mes ados, évoluant donc dans un environnement dit « éduqué », me répondent alors « que les michetonneuses qui épousent les footeux pour leur fric n’ont que ce qu’elles méritent… » Tiens, prends ça dans la gueule, le militant du féminisme qui ferait mieux de balayer devant sa porte avant d’aller embrigader la progéniture des autres ! Le repas dominical s’est donc métamorphosé en animation bien testostéronée d’une classe de mecs en lycée pro (parce que c’est le seul endroit où je rencontre des classes non mixtes et logiquement les postures y sont plus ancrées, stéréotypées). Mais, à la différence d’une séance devant un groupe d’inconnus, l’intimité de la relation filiale offre la possibilité d’apporter une réponse sur le registre de l’histoire familiale. Pour reprendre la main, je leur ai donc rappelé que leur grand-mère suicidée, qu’ils n’avaient pas eu la chance de connaître, avait subi des violences conjugales et en était morte. Le silence qui a suivi m’a fait dire que l’argument avait porté. À tort, car, là où, professionnellement, j’aurais pris le temps de déconstruire, l’affect a pris le dessus sur un débat censuré dans l’œuf. Le monde qui nous entoure ne se gêne pas pour interférer dans cette belle éducation qu’on croit donner, ces valeurs qu’on espère inculquer. On parle d’égalité ? Eh bien, les copains, la 4G, le quartier, le club de sport ou l’oncle « éternel séducteur » que toute la famille adore vont réduire à néant nos efforts de grands discours égalitaires. J’ai fait l’expérience de lire avec mon collégien de fils les paroles de Booba, Kaaris, PNL, Niska et compagnie, avant de les copier sur son MP3. Je crois que j’étais le seul père à le faire, et ça l’a gonflé grave en mode « tu saoules avec ton métier ». Mais j’ai la faiblesse de penser que s’il est hétéro, il ne se demandera pas à chaque rencontre si sa partenaire « le sucera pour du Armani », comme Booba pouvait le lui suggérer dans l’oreillette sur le chemin du bahut. À ce sujet, récemment, un lycéen m’a lâché : « Heureusement que mon père ne comprend rien aux mots du rap que j’écoute, sinon, il me tuerait ! »

    Open source toute l’année

    J’ai mal à mon parental, écartelé entre limites à poser et liberté de surfer, dans un monde où la morale est devenue un gros mot réservé aux réacs du siècle dernier. Je m’essaie à la régulation des heures dédiées à la vénération du big data, mais dans la famille d’à côté ou chez les potes, c’est open source toute l’année. On se croit à l’abri avec un forfait Free à 2 euros sans la 4G, et le partage de connexion au collège ruine nos rêves de maîtrise du flux de merde qui envahit tous les jours les écrans. Avec les footeux, les youtubeurs et les rappeurs, le fric et la vie bling-bling dégueulent alors en live de Miami, et je suis bien obligé d’avouer qu’avec mon salaire du social, je n’irai pas en « voyage, m’en battre les couilles, […] faya* » au soleil comme PNL. Pour reprendre une métaphore footballistique, je crois que je suis bien meilleur à l’extérieur qu’à domicile. Appliquer ce que je fais toute l’année auprès des jeunes, c’est plus difficile à réaliser à demeure. L’histoire personnelle et son lot de casseroles émotionnelles viennent foutre leur bordel. Mais tant pis, il faut se dire que les graines semées vont, un jour ou l’autre, germer. J’entends trop souvent des jeunes filles se plaindre d’une éducation inégalitaire entre elles et leurs frères. La famille reste le premier laboratoire éducatif, le champ prioritaire de l’égalité. Il faut le marteler à ces pères, fiers d’avoir transmis le gène du BG, qui s’enorgueillissent des conquêtes de leurs fils, tout en interdisant à leurs filles de s’habiller trop léger, ou à ces mères qui excusent la confiscation de l’espace récréatif à l’école par leurs fils parce qu’ils auraient plus besoin de se défouler que les filles. Si on laisse faire, on n’est pas sorti de l’auberge « mascu ». Chaque message a son importance et, en tant que parents, nous sommes les premières références d’un homme ou une femme en devenir. Personne ne sensibilise les parents aux inégalités générées par une éducation trop genrée et ils se débrouillent avec leur héritage éducatif. Mais si la famille doit insuffler, toute la société se doit de prendre le relais. Car elle aussi a son rôle à jouer. Combien de « porcs » seront réellement condamnés ? Quels moyens vont être réellement débloqués pour combattre le fléau du sexisme ? Quelques heures de prévention au collège et au lycée n’en viendront pas à bout. Quelques initiatives de profs engagé·es non plus. La police et la justice sont concernées, car, régulièrement, des jeunes filles me signalent qu’elles ont perdu confiance dans ce système incapable d’accueillir leur douleur, de les accompagner dans les procédures et qui les renvoie trop souvent à leur solitude de victime. Les entreprises, les associations, les partis politiques sont concernés. Qui va les inviter à organiser des débats internes sur le sujet ? Qui va orchestrer les formations ? Qui va les financer ? Les lieux publics, les universités, les grandes écoles, les bars, les boîtes de nuit, les salles de concert doivent être aussi impliqué·es.C’est nécessaire de parler d’un projet de loi contre le harcèle-ment de rue, mais ce n’est pas suffisant. Il nous faut les moyens de financer une véritable révolution de l’éducatif pour bousculer, au cœur de la transmission intergénérationnelle, les stéréotypes de genre et les inégalités qui en découlent. Si on ne s’y attelle pas rapidement, les #metoo seront sorties du placard pour rien. M. Macron et ceux et celles qui suivront, l’urgence nous le réclame haut et fort : #balancezdufric pour la prévention et l’éducation. Et n’oubliez jamais que vous nous devez l’exemplarité.


    3 commentaires

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    Alors qu'on essayait d'être attentifs aux témoignages de ces femmes ayant subies des violences, j'ai entendu les mecs les décrire une à une : "bonne ou moche" sans se soucier de leur vécu. Du coup, j'ai remis au début et j'ai insisté sur la parole :"- Bon les gars, maintenant que vous vous êtes bien défoulés, on va se concentrer sur le contenu. Et non la forme ou les formes… "
    Au deuxième passage, ils étaient encore deux à balancer des vannes pourries sur le physique de certaines d'entre elles. Comme je les ai un peu bousculé, l'un d'eux a finit par lâcher : "Désolé m'sieur mais c'est grave gênant."
    - Si vous êtes gênés, c'est plutôt bon signe. À la troisième écoute, vous serez, je l'espère, scandalisés, horrifiés par ce qui est raconté.
    - On va le revoir, là…
    - Oui


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  • Depuis quelque temps, nous sommes face à une urgence sanitaire sans précédent : les détracteurs de l’éducation affective et sexuelle à l’école prolifèrent plus vite qu’une joyeuse bande de chlamydiae dans le jacuzzi d’un spa ! Sur la Toile comme sur le bitume, ils bonimentent pour fourguer leur conservatisme mal lubrifié du siècle dernier et, pour diaboliser nos actions de prévention, ils ne sont pas avares d’inepties. Le Free Speech Bus du collectif chrétien Citizen Go sillonne l’Île-de-France pour répéter à l’envi que « l’Éducation nationale se rend coupable de déconstruction et de déstabilisation d’un public fragile » tout en réclamant « la suppression de la théorie du genre à l’école ». Leur vieille copine Farida Belghoul, initiatrice de la « journée du retrait de l’école », où elle éjaculait son fiel à l’extérieur des bahuts, plussoie en jouant les fossoyeuses de trans : « On peut modifier le déguisement, mais pas la biologie, la spiritualité. Il est faux qu’on puisse changer de sexe. Toutes les tentatives qui vont dans ce sens ne peuvent conduire qu’à la mort ! »
    Le Pr Joyeux, surfant sur la vague d’émotion que suscitent les onze vaccins obligatoires, en profite pour cracher, lui aussi, sa bile sur l’éducation sexuelle à l’école, faisant de nous – rien que ça – des initiateurs de futurs pédophiles : « Va-t-on permettre de parler de masturbation infantile précoce à des enfants de maternelle, de décrire des positions de pénétration vaginale à des collégiens […], de leur expliquer comment se pratique la sodomie et pourquoi les acteurs de films pornographiques éjaculent hors du vagin de leur partenaire ? […] Cela ne peut qu’augmenter les cas de pédophilies et d’incestes. » L’initiative « Les professionnels contre l’éducation sexuelle et les droits sexuels » de Maurice Berger, pédopsychiatre momifié qui ne sait pas que ses petits-enfants kiffent Tchoin * sur leurs tablettes, exige qu’on arrête de parler de la « théorie du genre » et souhaite « limiter l’information sur la sexualité à la prévention des risques, sur la base de données scientifiques ». Que vous soyez les ventriloques de la parole de Dieu, de Freud ou d’Hippocrate, vous n’êtes que de vulgaires manipulateurs au service de l’obscurantisme, rêvant de chasser tout ce qui n’est pas hétéro et cisgenre de vos existences consanguines.
    Non, nous n’organisons pas des exercices de masturbation collective, ni n’invitons les jeunes à rentrer dans un protocole hormonal pour changer de genre. Par contre, quand ils nous questionnent, nous leur répondons sans tabou. « Knowledge is a weapon » (« La connaissance est une arme »), scandaient les militants d’Act Up face à la rétention d’infos des labos et des médecins. Si les culs-bénits veulent maintenir les nouvelles générations dans l’ignorance, c’est pour les garder bien au chaud sous leur emprise sexiste, homophobe et patriarcale. On ne change pas un monde qui merde, hein ?
    Le chœur de mes animations dépasse de très loin le cadre de la sexualité en s’inscrivant dans celui de la « relation à l’autre » avec la pluralité des sentiments qui nous traversent. Je respecte le vécu et le rythme de chacun-e, qu’ils-elles se disent dans une sexualité active ou ne l’envisagent pas avant le mariage, qu’ils-elles aient roulé des pelles à leur partenaire ou se soient juste entraîné-e-s avec l’oreiller.
    Vous n’avez pas chômé, ces dernières années, et la morale pour les nuls, vous l’avez vicieusement glissée dans le cartable des écoliers. Alors, forcément, on doit batailler pour accompagner les jeunes dans la déconstruction des clichés et leur offrir un bon bol de liberté et d’égalité. Aussi, quand j’écris le mot « CHOIX » en lettres capitales au tableau, c’est toujours émouvant de voir les épaules se relâcher. Bien avant de parler de sexualité, je les encourage à identifier les stéréotypes de genre et les normes sociétales qui influencent fortement notre construction et notre vie affective. Ça doit être cela que vous nommez la « théorie du genre » et qui cristallise toute votre haine. Nous osons sortir de la binarité hommes-femmes, de l’hétéro­normativité, et ça bouscule pas mal de professionnels qui n’ont pas dépoussiéré leurs représentations depuis un bail.
    Dans sa vidéo, Maurice Berger fustige « ce programme qui introduit la théorie du genre » et qui représente « une attaque des processus d’affiliation, car l’enfant pourrait en quelque sorte choisir à quel sexe il souhaite appartenir ». Pour asseoir votre société aseptisée, vous extrapolez totalement sur notre action. Votre fumeuse « théorie du genre », épouvantail agité pour que la graine du papa LMPT (La Manif pour tous) germe bien dans le ventre de la maman LMPT, n’existe pas. Dans nos animations, on n’invite pas l’enfant à choisir son sexe, mais on verbalise l’étendue des possibles, au-delà de son sexe d’assignation. On donne une visibilité aux trans, aux neutres, aux fluides, à tous ceux qui ne se retrouvent pas dans vos cases bien normées. Mais pour rendre vos nuits moins blanches, je vous assure qu’avec nous les jeunes ont aussi le droit d’être hétéros.
    Vous souhaitez « limiter l’information sur la sexualité à la prévention des risques, sur la base de données scientifiques ». Pourtant, cette prévention hygiéniste a montré ses limites face à la pandémie du sida. La prise de risques est subordonnée à de nombreux facteurs comme l’état de la relation, le rapport dominant-dominé, le consentement, la négociation des moyens de protection, la prise de produit psychoactifs, le respect et l’attention qu’on porte à son partenaire, l’estime de soi, la connaissance et l’acceptation de son corps, le vécu, l’environnement, etc. Balancer des capotes en énumérant des risques et des données scientifiques n’a aucun sens. La vulnérabilité des uns et des autres au moment du passage à l’acte se joue bien en amont.
    Vos observations nient totalement l’émergence d’une nouvelle culture des relations orchestrée par cette véritable révolution numérique que sont les réseaux sociaux et l’accès à Internet aux très jeunes. Nous n’invitons pas à la sexualité, nous ne faisons qu’accompagner le flux continu de cul gratuit qui inonde déjà leurs vies. « Pourquoi ne pas attendre que les enfants posent des questions sur la sexualité au moment où ils en ressentent le besoin ? » questionne Maurice Berger. Mon gars, tu as un point G de retard sur ton smartphone, car les enfants ne posent plus de questions, ils vont chercher les réponses sur les sites référencés par Google, sur des forums de gamers et auprès de youtubeurs bien plus influents que leurs parents. Alors, plutôt que d’attaquer les programmes de prévention, mobilisez-vous contre ces multinationales du sexe spéculant sur la pornographie, cette industrie du clip qui cultive les stéréotypes, ces talk-shows qui banalisent le sexisme et l’homophobie…
    Je distribue des capotes pour que les ados ne contractent pas le sida, une mauvaise blennorragie ou évitent une grossesse non prévue. Mais tout « initiateur-séducteur » que je suis d’après nos détracteurs, j’ai l’intelligence de les tendre uniquement à ceux qui viennent les chercher, sans pousser à la conso. Libre à chacun-e d’en prendre ou pas.

    Pour conclure, je tenais à vous délivrer un beau message d’espoir qui va vous faire mouiller sous vos robes de bure. Nous sommes une espèce en voie de disparition. On va bientôt nous remplacer par des chatbots, des logiciels programmés pour simuler une conversation en langage naturel. Exit les temps d’échanges humanisés où, face à une révélation de violences sexuelles ou une prise de risques, l’animateur-trice, rompu-e aux techniques de counselling, accompagne les mots, accueille les émotions. Le logiciel, lui, rappellera à vos enfants les procédures à suivre à coups d’empathie préprogrammée. L’outil, sans vécu émotionnel, n’aura que la froideur de sa matrice à partager. Alors cette main qui se posait sur celle de vos gosses, ces mots qui réconfortaient et accompagnaient, ce partage d’expériences qui redonnait de l’espoir, tout ça sera définitivement rangé au rayon vintage de la prévention.


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  • Rock’n’pelote

     
    Photo © s. Iuncker/agence vu
     
    Cette année, à Rock-en-Seine, risque d’attentats oblige, il fallait traverser un bataillon armé avant d’accéder aux stands des associations partenaires. Voir des militaires encadrer un espace festif, ça n’invite pas à avoir la banane, gominée ou pas. « Le rock est mort le jour où Elvis est parti à l’armée », avait lâché John Lennon en 1958. Sache, John, que le monde « all the people living life in peace » que tu imaginais s’est fait grave vigipiraté depuis.
    Une fois les checkpoints passés et ma tenue de militant revêtue, je me suis fait bizuter par un groupe de festivaliers désinhibés par le rosé, qui ont parodié sans pudeur les cris orgasmiques de leurs ex, au prétexte que je leur proposais à la fois des capotes et des bouchons d’oreilles ! L’un d’eux a même osé : « Les meufs, c’est comme les machines à laver, c’est pas les plus silencieuses qui essorent le mieux ! » Sans tambour mais pompettes, ils ont filé au bar. Dans les dernières moiteurs de l’été, outils de prévention en main, j’ai donc maraudé entre les différentes scènes, à la rencontre des amateur-trice-s de décibels.
     
    Un couple – des quadras post-punk aux pieds coqués – semblait parti pour rentabiliser à mort son « pass journée ». Une pause entre deux concerts n’était probablement pas prévue dans leur programme à en juger leur empressement. Je leur ai quand même tendu des préservatifs.
    Le mec (irrité) : « Non merci, on est ensemble depuis vingt ans. Les capotes, on n’en a plus besoin ! »
    Moi (taquin) : « Et si madame a envie de faire un break dans la contraception et de partager avec vous le poids de celle-ci ? »
    Sa compagne s’est retournée et, pleine de malice, s’est écriée : « Tiens, je n’y avais pas pensé. Bonne idée. » L’envie de me finir dans la ruelle, à l’Opinel, a probablement traversé l’esprit du mâle. Plutôt que de dodeliner de la tête sur Ulrika Spacek, il se retrouvait à justifier ses choix intimes devant un militant à la con. Sa compagne a jugé que le coup de la contraception partagée était une bonne idée pour appâter les couples installés. « Never mind your bollocks * en Seine ! » aurais-je pu crier.
     
    Depuis le témoignage du chanteur d’Architects, Sam Carter, qui a interrompu son concert, le 18 août au Lowland Festival (Pays-Bas), pour dénoncer une agression sexuelle, le spectre des violences lors des concerts a hanté la fin de l’été. « Je t’ai vu attraper son sein. Ce n’est pas ton putain de corps. […] Ça n’a pas sa place ici », s’est-il exclamé sur scène. L’épisode, largement relayé sur la Toile, s’est ajouté à l’annulation préventive du prochain festival suédois de Bravalla, entaché cette année par quatre viols et vingt-trois agressions sexuelles. Cette double actu s’est logiquement invitée dans mes entretiens avec les festivaliers.
     
    Un jeune couple enlacé de la tête aux pieds a ouvert le bal. Après quelques banalités d’usage, je leur ai demandé s’ils avaient anticipé le risque d’attouchements dans les fosses. La jeune fille a exprimé ses hésitations matinales qui l’ont amenée à troquer son minishort pour un jean. « Pourquoi, tu m’as rien dit ?! » lui a lancé son copain, surpris. Un peu gênée, elle lui a rétorqué que ça s’était fait à l’instinct. La possibilité d’une agression bien intégrée dans son inconscient a généré un réflexe de défense dans le choix de ses vêtements. Le garçon étant en short, je l’ai cuisiné : « Tu t’es posé la question du harcèlement, toi, avec tes jambes nues ? » Sa réponse négative nous a permis de mesurer la différence de statut et de vécu, que l’on soit assigné « fille » ou « garçon », dans un espace public. La fille a insisté sur l’appropriation des corps par ceux qui se croient tout permis, sûrs de leur toute-puissance et de leur impunité. Pour certains, l’atmosphère festive sert d’alibi à des gestes déplacés qu’ils ne se permettraient pas ailleurs. Le jeune homme, qui n’en revenait pas, a lâché dans un soupir : « Je ne pensais pas que c’était aussi présent dans ta tête… »
     
    Dans la foulée, une famille avec deux ados a pris le relais. La mère, bienveillante, a pointé les bienfaits de la parole libérée. Le père, lui, était plus en retrait. Comme j’insistais, il s’est fendu d’un « elles sont un peu jeunes, non ? » qui lui a valu les moqueries de ses filles et de sa femme. Comme une certaine gêne s’installait, la mère a embrayé, à la grande surprise de tous, sur un souvenir douloureux de frotteur dans le métro. Une des filles surenchérissant de son propre vécu, on a basculé dans la thérapie familiale. Sauvé par le début du set de Girls in Hawaii, le père s’est échappé pendant que sa femme fourguait quelques capotes dans sa poche, clin d’œil à l’appui.
     
    Plus tard, une fille m’a décrit ce moment où un mec s’était accroché à ses « boobs » en sautant dans le métro. Devant son courroux, le type lui avait sorti un « désolé, ils étaient là ! », très décontracté du gland. « Ah ouais, ils sont là, à dispo, donc je me sers, hein ? » avait-elle répliqué dans l’indifférence générale. À Solidays, c’était un type bien éméché qui lui avait aussi empoigné les seins. « Eh oui ! je suis bien fournie, me dit-elle en soulevant sa poitrine. Mais bon, les mecs doivent gérer leurs pulsions, merde. » Le dernier s’était « mangé un bon coup de pied dans les couilles ». On s’est dit que se battre à chaque sortie, ce n’était pas une vie. Alors, fallait-il organiser des zones non mixtes ? « C’est chiant ! J’ai pas envie de vivre comme ma grand-mère en Algérie, qui a attendu son mariage pour voir un mec ! » Faire plus de répression ? « Tu parles, j’ai une pote qui a cherché refuge vers la Sécu, et les types l’ont tripotée… Il faudrait des polices de meufs en mode warrior qui seraient plus sensibles à notre vécu. Le problème, c’est qu’on est minoritaire dans tous les trucs de sécurité. Et les mecs, ce n’est pas un uniforme qui les change. » On a convenu qu’éduquer les hommes à corriger leurs attitudes en public était la solution idéale, mais que ça allait demander des siècles de baratin. « Alors, en attendant, je peaufine mon coup de pied sous la ceinture », a-t-elle lâché.
     
    En fin de soirée, après le service, en partageant une bière avec un collègue, on a échangé avec une jeune originaire de Cardiff (Pays de Galles) et son amie berlinoise. La génération Erasmus nous a donné sa vision des choses : « En France, il y a une culture du vin. Comme vous buvez dès midi, vous tenez l’alcool. Dans les bars, les Français draguent d’une manière progressive. En Angleterre, les gens boivent comme des trous dès l’ouverture des pubs à 17 heures. Ils se défoncent sans te parler de la soirée et attendent d’être bien bourrés pour t’aborder. » Après une gorgée de blanc, la jeune Galloise reprend : « Rock-en-Seine, c’est familial, tranquille. Il y a peu de drogues, et les gens se tiennent bien. Sur les festivals électro, ils sont défoncés, et ça craint grave. Je prends de la D [MDMA, ndlr] ou du LSD, mais j’assure. Mon grand-père me filait de la bière pour que je grossisse, alors je sais me tenir avec les produits. Ce n’est pas le cas de tout le monde. »
    Elles étaient d’accord pour dire que les violences sexuelles étaient proportionnelles à l’âge des participants et à la quantité de dope ingérée. La meilleure des préventions, pour elles, c’était de mixer vieux et jeunes, et que les premiers soient des initiateurs dans la découverte des produits. Pas vraiment du politiquement correct !
    Le soir, sur la scène de la Cascade, Lee Fields, dans son habit de lumière, nous a redonné un peu d’espoir. « We can make the world better if we come together » a repris en chœur la foule. De jeunes couples s’embrassaient, et j’ai eu envie de le croire.
    Dr Kpote
     
    * Allusion à Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols, premier album du groupe punk britannique sorti en 1977.

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