• Pas de quartier pour les machos

    [Chronique de mars]
     
    Mi-janvier, après un début de semaine sous tension Omicron dans un collège de l’Essonne, je me suis terminé, le vendredi, dans un chic arrondissement de Paris. De Corbeil à Paname, soit 45 km sur Mappy sans escale à Ibiza, j’ai eu la sensation d’avoir changé de continent, tant les deux mondes étaient aux antipodes. Après les dégradés façon Peaky Blinders, j’ai joué mon scalp devant des crinières de surfeurs. Ces derniers étaient cinq, squattaient les derniers rangs, dépassaient d’une bonne tête les autres élèves et arboraient l’attitude des pénibles de service.
    Pendant deux heures, ils m’ont mis la fièvre, les beaux gosses, méprisant tout ce qui avait trait au féminin, minimisant l’importance des violences faites aux femmes, niant l’évidence des inégalités, même celles sourcées et chiffrées. En aguerris de la Tartufferie, ils introduisaient chacune de leurs diatribes par un « Je suis pour l’égalité mais… », agrémentées d’un grand sourire que même leurs masques ne pouvaient dissimuler.
    Selon eux, les féministes en lutte cherchaient surtout à se débarrasser des hommes. Mais pour une espèce en voie de disparition, je les ai trouvés plutôt vaillants sur la confrontation, exerçant une vraie emprise sur le groupe.
    J’étais au cœur d’un fan-club d’Emmanuel Todd, qui s’était fendu le jour même dans Le Figaro d’une interview titrée : « Le patriarcat n’a pas disparu en Occident, il n’a jamais existé ». L’historien comptait sur cette ineptie pour faire la promo de son dernier ouvrage, qu’il a probablement écrit avec une plume trempée dans son jus de prostate.
    J’ai passé deux heures à jouer au CSA en temps d’élection, leur demandant de faire des pauses dans leur logorrhée misogyne afin que les filles puissent bénéficier de vrais temps de parole, sans être interrompues. Confrontés aux chiffres des violences sexuelles, ils ont agité le drapeau du #NotAllMen (« pas tous les hommes »). Une fille leur a quand même signalé qu’ils avaient une fâcheuse tendance à jouer les « forceurs ». Quand j’ai remplacé le mot « forceur » par « agresseur », ils m’ont fusillé du regard.
    J’ai joué à fond mon rôle d’allié en accompagnant la parole de celles qui se risquaient à monter au créneau. C’était vendredi, la fête aux raccourcis :
    – Les femmes gagnaient moins ? Donc c’était à elles d’aller chercher les gamins !
    – Les femmes se faisaient agresser ? Elles n’avaient qu’à moins traîner.
    – Les hommes agressaient ? Logique puisqu’ils étaient plus forts physiquement.
    Comme par hasard, ils avaient tous deux potes qui avaient été faussement accusés d’agression. Sentant l’embrouille, j’ai pris le taureau par les cojones (couilles) et les ai invités à m’accompagner pour déposer plainte pour diffamation. Évidemment, ils se sont dégonflés arguant que ça ne servait à rien de remuer le passé.
    Pour sortir un peu du débat sur les violences sexuelles, une fille a évoqué sa solitude et celle de ses consœurs dans le choix des méthodes contraceptives, la prise de contraception d’urgence ou une IVG à programmer. Un des garçons l’a interrompue : « Et les torsions testiculaires, on en parle ? » J’ai senti son besoin imminent d’être caressé dans le sens du scrotum. Les hommes aussi ont leurs problèmes génitaux, il fallait en convenir. J’ai donc répondu en stipulant que le problème concernait près de 15 % des jeunes mâles entre 12 et 18 ans et qu’au-delà de la douleur sa prise en charge relevait de l’urgence, au risque de perdre le testicule concerné. La pause torsion allait-elle faire baisser les tensions ? Pas vraiment puisque l’un d’eux critiquait le fait que le choix d’aller au bout d’une grossesse revenait aux filles. Il caricaturait le slogan « Mon corps, mon choix » en féminisant outrageusement ses gestes.
    Une fille, au premier rang, s’est levée, a balancé son masque pour être certaine que sa voix porte davantage. Les mains un peu tremblantes mais la voix ferme, elle a pointé que, depuis le début, ils ramenaient tout à leur personne, occultant le fond, soit les inégalités filles/garçons et les notions de domination. Dénués d’utérus, ils n’étaient pas légitimes pour nier le harcèlement, le sexisme et les violences faites aux femmes. Elle leur a crié que ça faisait partie de son quotidien à elle, pas du leur. Un des mecs a ironisé qu’elle n’avait pas le physique pour être « emmerdée », mot décidément à la mode ! Elle ne s’est pas dégonflée et leur a renvoyé qu’ils cautionnaient la culture du viol.
    – « Pas la peine de faire l’hystérique », a lâché l’un d’eux.
    – « Connard », a‑t-elle répondu avec un doigt d’honneur.
    Ils se sont levés comme un seul homme, me prenant à témoin sur le préjudice subi ! « Vous ne dites rien ! Si un mec avait fait ça, il serait déjà au commissariat ! » m’a interpellé l’un d’eux. J’ai repris en signalant qu’« hystérique » était une insulte sexiste utilisée pour décrédibiliser les paroles revendicatives des femmes. Certes, le mot « connard », tout comme le doigt d’honneur, était de trop, mais là où ils entendaient de la violence, je traduisais plutôt par de l’exaspération.
    Qu’importe, c’était trop tard ! Ils avaient leur os à ronger. Tout débat était devenu impossible. Tant qu’elle ne s’excuserait pas, ils crieraient au doigt ! J’ai stoppé la séance, dix minutes avant la fin. Les mecs m’ont toisé en partant et un petit groupe de filles m’a remercié pour ma ténacité. « Ça doit pas être facile tous les jours avec eux », ai-je compati. « L’enfer », a lâché l’une d’elles. Assurément, elles allaient devoir faire preuve de sororité pour finir l’année.
    Épilogue : la CPE m’a éclairé sur les raisons d’un tel anti- féminisme. Deux des garçons concernés s’étaient affrontés pour une fille, qui avait quitté l’un pour l’autre. Le passif s’est soldé avec une droite dans la face du concurrent et une réputation de « pute » pour la fille. Convoqué en conseil de discipline, le puncheur s’est pointé avec l’avocat de la famille, qui lui a sauvé la mise. Par la suite, les deux familles, issues de la même classe sociale, se sont miraculeusement rabibochées sur le dos de l’« entremetteuse », qui s’est vu attribuer l’étiquette de fille facile.
    Cette solidarité de couilles a provoqué le départ du lycée de celle-ci, qui n’en pouvait plus de subir la pression. La CPE a su qu’elle avait quitté le premier mec, car il passait son temps à la contrôler. Les jeunes, confortés par leur famille dans leur posture toxique, ont profité de la séance de prévention pour me présenter l’addition. Vous me ferez penser à organiser une séance de sensibilisation à l’égalité avec les parents !

     


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