Invité sur BFMTV le dimanche 20 février, Jordan Bardella, second couteau de la Marine nationale, engoncé dans sa chemise bleue bien repassée, a joué sa partition sur l’immigration, tentant de ramener dans son giron ses ouailles ayant succombé aux sirènes de la Reconquête. Expert en ragots de caniveau et fin connaisseur de la cause féministe, il a martelé : « Il n’y a plus une seule femme qui peut se dire sereine quand elle sort dans les rues de France… Le harcèlement qu’elle subissent est un véritable cauchemar… Ce sont toujours les mêmes individus qui sont mis en cause… la quasi totalité du harcèlement de rue et de la délinquance est le fait d’étrangers, d’immigrés… de mineurs non accompagnés isolés… »
Au passage, rappelons qu’un rapport de la mission d’information à l’Assemblée Nationale parue en mars dernier sur le sujet, stipulait que seulement 10% de ces mineurs avaient un « profil de délinquant ». Perso, je les trouve plutôt dociles, vu la violence avec laquelle on les traite.
Bardella a conclu sa diatribe sur une punchline de xénophobe de tarmac : « Les harceleurs français doivent être mis en prison, les harceleurs étrangers dans l’avion ! »
Exit DSK, PPDA, Hulot, Bourdin and co ! Au RN, on préjuge qu’un agresseur est majoritairement noir ou arabe, vient juste de débarquer à cause de cette passoire de Frontex, fume du crack et n’a pas encore intégré les codes d’un vrai pays civilisé, qui respecte la Femme, lui.
Le lendemain, j’avais programmé une séance avec un groupe de jeunes hommes MNA (Mineurs Non Accompagnés) qui allait invalider sa réthorique de réac.
Pour participer à l’atelier sur la sexualité, ils étaient une petite dizaine de volontaires, accompagnés par leur référante de Médecins sans Frontières. On allait causer codes relationnels, plus facilement assimilables que le code civil et son article 375, censé les protéger mais constamment bafoué.
Information prise, le groupe était composé d’ivoiriens, de guinéens et de deux maliens. Tous parlaient français, que ce soit avec la langue, les mains mais surtout avec envie, car ces jeunes en ont à revendre. J’ai remarqué que l’un d’eux prenait en photo le jus de fruit et le bocal de capotes mis à disposition. Peut-être qu’il voulait rassurer sa famille, là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, en leur prouvant qu’il était en sécurité.
J’ai choisi de parler d’abord d’amour, non par romantisme mais par prudence. Aborder la sexualité avec des personnes ayant potentiellement subies des violences au cours de leurs parcours migratoires, n’est pas chose aisée. D’autant plus que les viols sont encore plus tabous quand ils concernent des hommes victimes d’autres.
Étaient-ils déjà tombés amoureux ? Avaient-ils eu le temps de vivre cet amour ? Ils ont unanimement répondu par la négative et assuré qu’ils ne se projetaient pas comme de futurs élus. Leurs cerveaux, saturés de problèmes à régler, n’était pas en capacité d’offrir un hébergement convenable aux sentiments.
Ils passaient beaucoup de temps dans la rue pour fuir la vie collective des foyers, se débrouiller, régler leur situation administrative. Or, le pavé n’est pas forcément l’endroit idéal pour rentrer en relation avec les autres. L’un d’eux a reconnu draguer dans le métro, les autres, tenter de conter fleurette sur les trottoirs de Paname et sa banlieue. En vain.
« Monsieur, si elles regardent nos chaussures usées, les femmes savent à qui elles ont affaire », m’a assuré l’un d’eux. La possibilité de pouvoir prendre leur pied dépendait de l’état de leurs semelles, donc de leur statut social. Or, pour l’instant, la France ne leur proposait que trois lettres, pas bankable ni chez Nike ni au Scrabble : MNA.
Ils aspiraient tous à se marier. Mais avec une femme blanche, parce que « les noires vont prendre notre argent pour l’envoyer au pays ! », m’ont-ils assuré. Dans la débrouille, la survie, on finit souvent par paranoïer, même vis à vis de sa propre communauté.
Mais avant de vivre sereinement leur parentalité, il leur fallait d’abord trouver un logement indépendant. Poser son toit avant de construire quoi que soit, ça défie toute loi architecturale mais pour comprendre, il faut avoir dormi dans la rue.
Ils s’imaginaient tous pères d’une progéniture évaluée à quatre enfants en moyenne. Ils allaient devoir être sacrément convaincants car, d’après l’INSEE, en 2021, l'indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) français s'établissait à 1,83 enfant par femme… Je ne sais pas si ce chiffre a pesé dans la balance mais un des jeunes maliens espérait avoir trois épouses. Quand je lui ai rappelé que la polygamie était interdite, il a rétorqué qu’il ne les installerait pas toutes dans le même appartement. Je l’ai invité à rester poly mais plutôt amour ou curieux, c’était plus égalitaire et surtout légal !
La contraception prise en charge, l’IVG autorisé, le mariage pour tou·tes… ça fleurait bon la liberté mais j’ai tempéré en ouvrant le volet #metoo et expression des masculinités. Ils n’en avaient pas entendu parlé. On a fait le distinguo entre drague et harcèlement. Pour que ce soit concret, j’ai expliqué, intuitivement, en illustrant sur le tableau, chaque situation par un cercle concentrique étouffant un point central : « Imaginez une femme (le point) se faisant aborder à 8H00 du mat quand elle part au travail, moment où on n’est pas pas vraiment disponible pour entamer une relation (premier cercle). Puis, un autre mec la drague à 10H à sa pause sur le trottoir. Un troisième, à midi, tente une approche devant la boulangerie et vous, vous arrivez chaud bouillant à 16H dans le métro sans imaginer que vous êtes le 4ème, voire le dixième de la journée ! »
Le nuage de cercles “harceleurs” dessiné frénétiquement leur a permis d’intégrer le concept de relous de service et de vol de charo. Aussitôt, l’un d’eux a reconnu avoir chassé du Snap mais sans jamais insister. Comme il s’en excusait, les autres ont salué son honnêteté et franchement, ça valait tous les tests de citoyenneté !
Sur la fin de la séance, je leur ai demandé s’ils avaient déjà anticipé le fait de rencontrer une femme qui ne désirerait pas d’enfants, voulant privilégier sa carrière professionnelle ou, qui sait, sauver la planète. Mais il leur était impossible d’envisager l’avenir sans descendance : « Au pays, avec des enfants, on parle de toi après ta mort. Ton nom continue de vivre. », m’a signifié un des guinéens.
En gros, quand on a risqué sa peau des centaines de fois, les rapports du GIEC, on s’en balek. Et oui, Jordan, cette envie de transmettre la vie à tout prix, de rêver d’éternité pour son nom, ne relève pas du droit du sol ou du sang mais du droit d’être, tout simplement.