• D'entrée, elle m'a toisée du regard, en imposant un rapport de force, avec de vrais yeux revolvers (pour ceux ou celles qui ont la nostalgie des variétés des années 80). Les cheveux bien tirés, le jogging gris difforme, le tee-shirt dernière démarque de chez Sympa à Pantin... Elle semble osciller entre les deux sexes, masculine pour le direct au foie, féminine dans l'esquive, sapée plus sac que sexy au nom du Coran. Elle se promène dans la classe comme télécommandée par ses nerfs, évitant la position repos. Elle parle fort, joue avec son portable et m'insulte à mots couverts. Les mots, je les devine aux éclairs de son regard, je les traduis aux rires gênés de ses voisines. J'hésite à la virer car son agressivité parle pour elle : c'est ce qu'elle cherche. Je tiens la barre pendant 1 heure, partagé entre l'agacement et l'envie de la gifler.
    Elles sont 22 à bavarder entre elles comme si je n'étais pas là, me posant des questions sans en attendre les réponses, se traitant parfois de sale pute, mais toujours « sur le Coran ma sœur », en mâchant, la bouche ouverte par ultime provocation, un chewing-gum qui n'a probablement plus de goût.
    Du coup, je sors l'arme fatale, la fameuse histoire qui bruit dans les couloirs, grossissant de bouches en oreilles, le matin ruisseau, le soir tsunami... Une fille a sucé un mec et s'est laissé filmer par sa copine. Celle-ci a envoyé les images à d'autres et la scène a fait le tour du lycée. L'actrice a été virée et la réalisatrice graciée. Autrement dit, l'exhibitionniste est bannie et la voyeuse, starifiée... D'un coup, les filles prennent parti. La salope est jugée sans la moindre empathie. Sa réputation est faite et définitive.
    J'ai beau leur dire que la jeune fille n'a peut-être pas, tout bêtement, mesuré toutes les conséquences de son acte, qu'elle a certainement été doublée par sa fausse sœur et que la circulation des images n'était pas prévue au programme, que sa façon de s'exhiber cache peut-être une fragilité, un déséquilibre, une sale histoire... Qu'importe, elles l'ont clouée au pilori et je me suis dit que Badinter avait bien fait de proposer l'abolition de la peine de mort...
    Je n'ai pas trop insisté et, à la demande générale, nous sommes passé aux préservatifs, comme un sparadrap sur une jambe de bois, un cheveu sur la soupe, un diaphragme dans un anus...
    Alors, au moment de la manipulation des capotes, la nerveuse de service s'est approchée, a suivi le moindre de mes gestes, le regard bloqué sur le phallus en bois et s'est même fendue d'un sourire au moment de partir. Puis se reprenant, elle a ponctué sa sortie d'une savate sur la pauvre porte qui avait déjà tant souffert. Par la suite, l'infirmière me confirmera les difficultés familiales de cette jeune fille et ses nombreuses fugues, mises à pied...
    Ce qui m'a le plus désolé dans cette animation, c'est que les filles n'avaient de cesse de ponctuer leurs phrases d'un « vous les Français », détaché et parfois envieux. Elles s'autoproclamaient noires, arabes, musulmanes... J'ai écouté ce matin Fadela Amara sur France Inter. Elle a insisté sur l'importance de l'intégration et surtout du sentiment d'appartenance des jeunes des quartiers à notre société. Ces gamines qui sont françaises depuis parfois 3 générations sont loin du compte. Souriez, vous êtes expulsés...


    18 commentaires
  • Ils sont cinq à tenir le crachoir, postillonnant leur éternelles vannes de cités, niveau « vase-bitume ». Impossible de les calmer, le sujet les rendant prolixes. Certains des autres élèves sourient à leurs blagues, d'autres haussent les yeux au ciel. Ils ont démarré fort, par un grand classique des animations, ce que j'ai finit par appeler « la coupe du monde des séropos » :
    - Monsieur, y'a beaucoup de malades au Mali ?
    - Oui, le Mali est un pays touché par la pandémie. Mais...
    Les rires fusent , les doigts désignent. Celui qui ne rigole pas reprend :
    - Et au Congo, Monsieur ?
    - Oui, le Congo aussi...
    Les rires reprennent. Mais cette fois, celui qui ne rigole pas n'est plus le même... Et ainsi de suite, en passant en revue, le pays d'origine de l'un ou l'autre.
    Afrique, tu te meurs et tes petits-enfants, français aujourd'hui, se foutent de ta gueule...

    Puis, nous avons parlé des relations filles/garçons et comment ils envisageaient leur avenir amoureux. Hétérosexuel, bien sûr, l'avenir. Parce que c'est bien connu, l'homosexuel est aux quartiers, ce que Ness est au Loch, un monstre qui sommeille et qu'on aperçoit les soirs de fog au pays des hommes en jupe.
    Leurs femmes seront vierges, fidèles, bien roulées, bonnes cuisinières et surtout devront avoir une bonne paire de "boops" pour satisfaire à la fois leurs fantasmes élevés aux mamelles pornographiques et allaiter la tripotée de morveux issus d'un siège continu de leur utérus. Mais avant la cérémonie nuptiale, elles ne doivent pas sortir seules et encore moins avec le string qui dépasse ou le short trop court. Autrement dit, elles n'ont pas le choix de leur garde-robe et doivent commander en VPC au rayon burka des Galeries Talibans... Pas question d'essayer en cabines, on ne sait jamais, avec les miroirs sans tain.
    Ceci dit, je commence à être rodé à ce type de discours, un rien provo dans le conventionnel barbu... Autrement dit, je m'ennuyais presque.
    Et puis, il y a eu un éclair : elle s'est présentée sous le prénom de Doris et leur a tout balancé aux Pits de la morale. Que toutes les filles n'avaient pas forcément envie de vivre dans des sacs, qu'elles ne les emmerdaient pas quand ils avaient le caleçon qui sortaient du pantalon porté aux genoux, qu'elle ne serait pas forcément vierge au moment du mariage et qu'elle n'irait pas se faire recoudre un semblant d'hymen, qu'elle travaillerait et que son mec, et ben, elle irait le chercher ailleurs...

    Ils ont été soufflés les censeurs. D'autant plus que Doris était assise à leurs côtés, qu'elle était jolie et que visiblement, plus d'un en pinçait pour elle. Je les ai senti déstabilisés, refroidis dans leurs ardeurs de jihad domestique... Doris avait lancé les hostilités et d'autres filles suivaient, voire d'autres garçons, plus effacés... Doucement, la classe a basculé dans la révolte. Les timides, les humiliés, les offensés ont pris à leur compte cette parole qu'on leur offrait, leur restituait. Deux heures de liberté pour se dédouaner du joug des dictateurs. Le débat a duré, avec des cris et beaucoup de bruit. J'ai essayé tant bien que mal de réguler avec équité les temps de parole et j'ai surtout laissé faire. Je me suis dit que l'école publique prenait là toute sa vraie dimension, celle de l'éducatif et du débat, celle de l'ouverture et de la liberté de parole, cette dimension laïque et indépendante qu'on se doit de défendre. Pour preuve, nous sommes rarement conviés dans le privé, où les ados, c'est bien connu, n'ont pas de sexualité. Alors, un jour de grève de temps à autre pour la soutenir cette école, c'est si grave que ça ?...


    28 commentaires
  • D'entrée, il s'est mis à l'écart. Il est rentré dans la salle comme une balle, s'est précipité au fond de la classe, a reculé au maximum sa table et s'est bouché les oreilles... Puis il s'est écroulé sur celle-ci, faisant corps avec elle, pour disparaître de mon champ de vision, devenir une simple excroissance du mobilier... Comme inanimé. Je n'ai pas relevé, ne voulant pas le stigmatiser. Ce sont les autres qui en ont rajouté :

    - Il est puceau, M'sieur, il ne veut pas entendre le mot sexe.

    - Et pourtant, il kiffe grave... Regardez, il se frotte à la table.

    - C'est ramadan, M'sieur. Il dit qu'il n'a pas le droit d'écouter ça... mais c'est un chaud.

    Il a relevé la tête, preuve que les sons traversent facilement la paume des mains. Il a sourit bêtement, un rien gêné. J'ai senti un peu de détresse dans son regard fuyant. J'ai préféré laisser faire plutôt que de lui mettre la classe à dos, rappelant quand même le cadre de mon intervention, dans le respect des sensibilités de chacun.

    L'intervention s'est déroulée normalement avec une classe plutôt participative et les deux-trois grandes gueules habituelles qui avaient déjà tout vu, tout tenté, tout vécu, les professionnels de la baise. Je le surveillais du coin de l'œil et je m'aperçu rapidement qu'il avait légèrement incliné sa tête pour s'offrir un meilleur angle de vue et d'écoute tout en conservant une pseudo attitude de repli.

    Je n'ai pas remarqué le garçon qui grâce à une belle plongée en apnée sous les tables, avait réussi a récupéré le préservatif de démonstration dans la poubelle. A la sonnerie, il s'est précipité sur l'exilé du fond et lui a chatouillé l'oreille avec. Les autres, autour, comme une meute de hyènes, excitées par l'odeur du lubrifiant, se sont mis à hurler de rire. Une fille s'est saisie de la capote et l'a jetée sur le visage du malheureux garçon. J'ai entendu un hurlement et il s'est précipité à l'extérieur comme si le diable était à ses trousses.

    Au moment de quitter l'établissement, la proviseure m'a interpellé :

    - Que s'est-il passé, un élève est arrivé en courant et a demandé qu'on lui ouvre la porte rapidement...Il avait l'air tourmenté... Et il n'a pas voulu répondre à mes questions.

    Je lui narre la scène, signalant mon étonnement quand au caractère disproportionné de sa réaction. Nous convenons que l'évènement devra être repris le plus tôt possible avec l'infirmière.

    Plusieurs témoins ont vu le garçon dévaler la rue du lycée. Aux dernières nouvelles, il aurait pris la porte de Bagnolet, puis le périphérique. Peut-être qu'il continue de tourner aujourd'hui.

    Ses parents vont peut-être porter plainte pour « incitation à la débauche » ou « tentative d'homicide religieux par préservatif ». Je me suis dit que je contre-attaquerais pour « satanisation abusive de pulsions naturelles»...


    31 commentaires
  • Aujourd'hui, le préservatif fait partie des meubles. D'ailleurs on pourra bientôt l'acheter en kit avec des étagères Billy et un sandwich à la viande de renne. Il a migré du fond de la bibliothèque bien planqué derrière le Petit Robert au premier tiroir de l'armoire à pharmacie familiale, puis à côté des épices au-dessus du plan de travail de la cuisine. Certains en font même la collection, comme les figurines Panini ou les boites de camembert. Pour la plupart, ils font office de petit supplément qui vient pimenter la partie de jambe en l'air, au même titre que le porte-jarretelles ou le sex toy. On n'est plus dans les années 60, quoi !

    Le condom est banalisé, intégré, partagé, visualisé, échangé, marketé, tête-de-gondolé, publivorisé, voire ballonné ou bombaoïsé dans les collèges et lycées... Quand plus de 80% des jeunes nous assurent utiliser un préservatif lors de leurs premiers rapports, l'acteur de prévention que je suis devrait donc être sûr de son fait... Nous nous sommes enfin appropriés ce qui est censé nous sauver de ces saloperies de chlams et cette pourriture de rétrovirus. Et pourtant, un doute m'étreint. Pourquoi beaucoup de jeunes hommes ou adolescents avouent régulièrement s'en passer ? Pourquoi certains de mes potes d'âge mûrs (ils me pardonneront) soupirent et lèvent les yeux aux ciel lorsqu'on aborde le sujet ? Quand j'invite les lycéens à réfléchir sur les contraintes du préservatif, c'est essentiellement le manque de sensations qui squatte le haut du listing. L'épaisseur moyenne d'un préservatif  dans le commerce est de 0,060 mm. Franchement, le feu d'artifice d'hormones et sa kyrielle de fantasmes projetés en 3D dans notre cerveau, associé à toutes sortes de sensations tactiles, ça devrait facilement nous aider à dépasser les 6 microns de latex que nous avons sur notre sexe. Alors, le manque de sensation, il a souvent bon dos.  

    Au sein du groupe, on fait souvent référence au déficit de sensations causé par le latex, comme pour justifier de son expérience aux yeux des autres... Autrement dit, si on sait, c'est qu'on l'a déjà fait. Mais, curieusement, l'individu, une fois seul, et après avoir dans un mouvement circulaire de la tête vérifier que personne ne pouvait l'entendre, finit par avouer que le préservatif le fait débander. Et il se sent très con et très seul, le faiblard de la trique, la bite en berne, scrutant sur le visage de sa ou son partenaire le moindre rictus. Comme le préservatif l'empêche d'avoir une sexualité épanouie et bien basta... Mieux vaut bander et prouver sa virilité que choper la chtouille...

    Aussi quand les filles me disent qu'elles éconduisent immédiatement un mec qui refuse d'avoir un rapport protégé, je leur demande de faire l'effort de demander les raisons au principal intéressé avant de le congédier... Peut-être que c'est ce problème d'érection qui l'inquiète et que pour lui c'est difficile d'en parler. A quoi bon deviser sur la protection si on ne parle pas de relation, donc de discussion et de confiance ?...

    17 commentaires
  • (...) Quelques idées reçues persistent néanmoins dans ces populations, quant aux modes de transmission du VIH. Bien des personnes interrogées considèrent ainsi, à tort, que la transmission est possible par piqûre de moustique (32,8%) ou en embrassant une personne contaminée (24,4%). Et plus de 21% craignent d'être hospitalisées dans le même service qu'une personne séropositive. Enfin, près de deux déclarants sur dix sont persuadés que le virus du SIDA peut se contracter dans les toilettes publiques. En quelques années donc, de réels progrès ont été accomplis. Mais il reste du chemin (...) Source : INPES, 28 juin 2007

    A ces inquiétudes, je rajouterais la fameuse paranoïa de la seringue infectée sous les sièges du RER ou du cinéma... Cette rumeur, en passe de devenir une légende urbaine, vieille de quasi 25 ans (on l'entend depuis le début de l'épidémie) entend bien reléguer la fameuse rumeur d'Orléans avec ses cabines d'essayage téléportant leurs occupantes vers la prostitution, au rang du canular de potaches. Il y a toujours un élève qui sait, qui a entendu, à qui on ne la fait pas... à chaque fois, je continue d'en démonter les mécanismes mais un sceptique patenté va continuer à la véhiculer, donc à la faire vivre... C'est bien connu, on a tous, l'ami d'un ami qui avant de se taper l'ours, s'est fait piquer dans le RER et a contracté le VIH ou l'hépatite C.

    Derrière cette rumeur, on retrouve toujours les mêmes mécanismes de défense face à la pandémie : la négation de l'existence d'une contamination sexuelle et surtout cette notion de victimisation, où la personne a subi la contamination comme on subit une agression, c'est à dire par la faute d'un autre. Rares sont ceux qui s'estiment acteurs de leur contamination. Logique.

    Le plus gênant, c'est que cette rumeur invite à la discrimination des toxicos. En effet, la seringue infectée a été volontairement placée par l'insociable de service qui se défonce pour se venger de la société !!! Le sida a souvent servi d'alibi pour couvrir la chasse aux toxicos, soit pour les virer des squares, véritable sanctuaires familiaux, avec les autres indésirables, célibataires forcément pédophiles, SDF et jeunes à chiens, soit pour nettoyer un quartier et le rendre plus attrayant en terme de valeurs immobilières. A chaque fois, à la prévention, on préfère la répression et la relation de proximité mise en place par les associations d'aide aux usagers en prend un bon coup dans l'aile. Franchement, je ne connais pas de gamins qui jouent au docteur avec des seringues infectées dans les squares sans parler à leurs parents de leur drôle de découverte...

    En 25 ans d'épidémie, je n'ai jamais rencontré un seul quidam contaminé de cette manière. Il faut qu'il y ait injection de sang pour risquer une contamination et je vois mal une seringue remplie de sang, de surcroît infectée, attachée à un siège du RER ou d'un ciné, avec un système qui provoquerait l'injection au moment où l'usager innocent poserait ses fesses sur le siège... Moi, j'appelle ça du MacGyverisme... Alors, au ciné, vous pouvez sucer tranquillement votre esquimau, sans passer la main sous vos fesses toutes les dix secondes pour vérifier la présence ou non d'un objet contondant. Bon film.

    17 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique