• On tutoyait doucement mais sûrement la fin de l’année scolaire, et j’éprouvais la terrible sensation du manque. J’avais l’assurance qu’il me manquait encore un sujet brûlant d’actu à aborder. En effet, après de multiples échanges vigoureux sur la bonne taille de bite, le sida en seringue dans les cinémas, les témoignages de viols, la méthode « AllahAkbarienne » en réponse à tout ou les histoires de pédés à défoncer, je n’avais pas eu droit au bon vieux débat sur les valeurs du panafricanisme ou du black power dans ces banlieues ghetto où Manuel Valls cherche désespérément "du blanc, du white, du blancos".


     


    La liste antisioniste menée par M. M’bala M’bala ayant réalisé ses meilleurs scores en Seine Saint-Denis et dans le Val d’Oise (4,50% à Saint Denis et jusqu’à 6% à Garges-lès-Gonesse!), je restais sur mes gardes, prêt à encaisser la première sagaie "ethnico-centrée".

    Et bien, c’est fait ! Mais en lieu et place d’un argumentaire érudit et passionné, j’ai eu droit à un sketch foireux sur la négritude et autres Dieudonniaiseries… En vrac, on m’a balancé en pleine poire le sida exporté en Afrique par les blancs, la sous-représentation des noirs à la télé (comme si j’y pouvais quelque chose, moi), l’absence de l’histoire de l’esclavage dans les manuels scolaires, l’omnipotence des juifs dans les médias… Etc.
    Pourquoi pas me direz-vous, même si notre sujet, en l’occurrence, les IST et la sexualité, n’est pas la meilleure porte d’entrée pour dénoncer l’effroyable déportation des Africains par les esclavagistes ?

    Le problème, c’est qu’on en est venu rapidement à faire la promo de Kemi Seba et du Mouvement des Damnés de l’Impérialisme (MDI). Sur son site, le mouvement se dit ethno-différencialiste et anti-raciste… Mon interlocuteur, lui, en voulait un peu à la terre entière et plus particulièrement au côté blanc de la force. Je l’ai senti chaud bouillant comme un accras chatouillé par l’huile, prêt à ventiler du black power à tout va, voire de la black savate rue des Rosiers ( "Des urnes à la rue, sachons ainsi déplacer le combat en adoptant des approches complémentaires. La liste Dieudonné a sonné le tocsin, accélérons la cadence et l’intensité des coups pour que la rue porte cette fois-ci l’estocade finale." Héry Djéhuty Séchat, Conseiller Politique de Kémi Séba.)

    En recherchant l’occurence sida sur le site du MDI je suis tombé sur une vidéo au titre accrocheur : "Les Békés : Un SIDA pour les noirs". Le contenu de la vidéo porte sur l’exploitation des salariés antillais par les békés que, bien entendu, on ne peut que condamner. Mais pourquoi ce titre ? Seba avait déjà associé le virus au conflit israélo-palestinien par ces termes "Les colons, c'est le SIDA de l'humanité"… Le Pen en son temps avait aussi utilisé le VIH pour stigmatiser tous ceux qui souhaitaient se mettre en travers de son chemin vicinal. Quand le nationalisme rejoint l’ethnocentrisme, et la connerie engendre la stigmatisation…

    De plus en plus belliqueux, le jeune homme s’en prenait aux pédés (persuadé que j’en étais), ces tafiolles qui avaient pignon sur écran alors que les autres minorités n’avaient droit au prime time que sous la rubrique faits-divers. Un de ses compagnons de classe lui rappelant, un peu trop facilement certes, que Magloire et Vincent Mc Doom étaient noirs, pédés et télégéniques, il a fini par vraiment péter un câble, criant à l’hérésie, au fake, assurant tout en se rassurant que l’homosexualité ne pouvait couver sous les peaux noires. Encore une invention du lobby juif… Vous me ferez penser à vérifier sur le site du Mossad, s’il n’y a pas une photo de Mc Doom, troquant ses talons aiguilles pour une paire de rangers, dans la cour d’un kibboutz, suite logique de ses exploits dans La Ferme Célébrités.
    Il s’est levé, a ramassé ses affaires et s’est barré, me toisant du regard au passage.

    Cette année, j’ai eu la sensation qu’il y avait la place en banlieue pour un Malcom X ou un Farrakhan. Dieudonné manque de divin pour faire la blague et Seba joue trop la carte du pédant qui aligne les citations pour séduire la grande majorité des jeunes issus de l’immigration africaine. Mais je reste persuadé que si un type arrive à faire sa petite cuisine avec la négritude, la religion, la banlieue, le racisme, le tout à la sauce mafé, on aura droit à un mouvement d’envergure, violent et légitime. Oui, vous avez bien lu. Légitime car juste. Parce que ça fait trop longtemps que certains d’entre nous s’enrichissent sur la françafrique et que d’autres célèbrent à grands coups de tonfa la moindre sortie de hall d’une jeunesse noire qui peine à trouver sa place. Mais légitime ne veut pas dire souhaitable. Et j’ose espérer que tous les hommes et femmes "darker than blue", nés en France seront enfin considérés comme Français sans avoir à passer par la phase insurrectionnelle ou la case Seba…


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  • On parlait du sida. Une fois de plus. Sûrement pas la dernière au regard des chiffres toujours exponentiels de la pandémie. Au fond, ils étaient deux, puis quatre puis huit à débattre, s’énerver, affirmer avec la main qui fouette l’air comme on claque d’une beigne les paroles de l’autre. Je me suis dit, naïvement, que j’avais une classe avide de débattre et je commençais, sans l’ombre d’un semblant de méthode Coué, à croire que le sujet plaisait.
    - Vous pouvez nous inviter dans votre débat ? ça a l’air si passionné et passionnant…
    - Ben, on se demandait si le KFC de Bondy était halal ou pas ?!
    - Heu. Et vous ne pouvez pas régler ça à un autre moment.
    - Non M’sieur c’est important…
    Du coup, le sujet a contaminé les rangs, aussi vite qu’une grippe porcine. Pas halal du tout, d’ailleurs la grippe porcine. Ils s’y sont tous mis. Les pour et les contre. Pas un à s’abstenir. Une classe entière en pèlerinage à la Mecque du poulet frit, le KFC de Bondy…
    Du coup, j’ai sorti mon portable et appelé les renseignements pour avoir le numéro de ce fameux KFC. Silencieux, ils m’ont regardé comme on dévisage un type qui aurait pété une durite. J’ai finit par avoir le KFC et un employé qui n'entravait rien du tout sur le sujet…
    - Ils n'en savent rien, on peut continuer sur notre sujet de départ. Le sida…
    - M’sieur. Peut-être que vous n’avez pas bien compris. Vous êtes un séfranc, vous.
    Et le débat a recommencé, puis s’est étendu aux kebbabs locaux halal ou pas. Alors, plutôt que d’établir la cartographie des nourritures célestes, je me suis barré. Avec mes préservatifs et mon militantisme à la papa. Le sida, c’est plus dans l’air des banlieues, mec. La religion a moissonné tous les neurones qui avaient survécu à l'ingestion de toxines en friture ou hamburger.
    Sur le net, je suis tombé sur un de leur copain, en grande errance mystique, lui aussi…



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  • Depuis une bonne demi-heure, les deux rigolos de service finissaient toutes leurs phrases par « suce ma bite, salope ! »

    Alors, elle s’est levée et tout en les apostrophant, a déclamé sa tirade d’un seul souffle :
    - "Vous n’êtes que des pauvres connards, des bouffons… Suce ma bite ! Suce ma bite ! Vous jouez aux rois du sexe et dès que vous rentrez à la maison, vous vous pissez dessus devant maman. Vous jouez les anges gardiens auprès de vos sœurs, vous garantissez la bonne morale de la famille et là, vous vous lâchez comme des merdes. Suce ma bite ! Vous allez le répéter devant votre mère, ça ! On vous sucera rien du tout, pauvres cons. Votre bite, on lui met un coup de latte. Fermez vos gueules maintenant. On parle d’un sujet sérieux et c’est pas des gamins comme vous qui vont m’empêcher d’écouter."

    Elle s’est assise. J’ai lu dans le regard des filles de l’admiration. Les mecs riaient. Mais pas franchement. Moi, je suis resté aphone, craignant un peu quand même pour son intégrité physique après mon départ.

    - " Ben allez-y, m’sieur" qu’elle a dit, sereine.

    Deux jours après l’animation, dans le même lycée, "suce ma bite" m’a ramené les trois capotes qu’il s’était empressé de mettre dans ses poches non sans crier haut et fort « qu’il allait se la donner grave ». Comme je le questionnais sur le pourquoi de ce retour au SAV, il m’a avoué qu’il craignait que sa mère ne les découvre…


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  • Ça y est, la journée de la femme est bien pliée, rangée au rayon "grandes causes" du placard démago, sur la même étagère que la Journée mondiale de lutte contre le sida et la fête des grands-mères... La vie des citoyennes, elle, continue sans grand bouleversement, loin, très loin des débats sur Agoravox...

    Je suis dans un lycée de la Seine-Saint-Denis, dans une classe de filles. Elles sont entre elles, et du coup, la parole est plus libre. Alors, elles racontent qu'en sortant du lycée, elles doivent faire face, à l'entrée de la cité, à un véritable barrage érigé par les autorités locales. En effet, tous les soirs, les mecs les attendent et leur demandent leurs carnets de correspondance pour vérifier leur assiduité aux cours. En cas de problème, d'absence, de retenues, de mots d'un prof ou du CPE, elles se font tabasser. Le carnet de correspondance est du coup devenu une sorte d'hymen scolaire. Intact, vierge de tous reproches, il ouvre les portes de la cité, d'une vie sociale, amicale, voire plus si affinités. S'il est souillé par des  réprimandes, si la malheureuse a fauté, alors s'en est fini de sa réputation, donc de son avenir au sein de la communauté...

    Ces mecs ne sont ni leurs frères, ni leurs pères. Mais ils se positionnent en tant que tel. Déscolarisés, survivants grâce aux petits trafics de came ou de matos, ils ont mis au point cette douane, ce no woman's land dans lequel, les filles doivent déclarer le contenu de leur journée. Ces quelques mètres carrés de bitumes qui font office de territoire sont soumis au diktat de ces garçons, pris entre deux modèles de société, celle de l'extérieur dans laquelle ils ne sont pas reconnus et celle de l'intérieur, celle de leur famille, dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Ils sont eux-mêmes les prisonniers de leurs propres frontières, s'érigeant en défenseur d'une morale qui ne s'applique pas à leur propre existence. Ce pouvoir sur les filles, c'est le seul qui leur reste, d'autant plus légitime qu'il est souvent cautionné par une lecture simpliste des écritures divines ou un machisme inhérent à la loi du quartier.

    On s'émeut beaucoup des actes fous d'un lycéen allemand ou américain portant le deuil de ses futurs victimes, qui défouraille à tout va grâce à l'artillerie de son paternel, mais on étouffe de notre indifférence cette violence muette qui fait le quotidien de ces jeunes et qui les marquera probablement pour toute leur existence, influençant leur relation à l'autre, déterminant leur future vie d'adulte.

    Que dire à ces filles qui rentrent la peur au ventre tous les soirs, rêvant d'une liberté que notre constitution était censée leur assurer : « Dormez tranquilles les filles, la journée de la femme veille sur vous. Fadela et Christine ne vous oublient pas. Des jours meilleurs sont à venir. Et surtout, après chaque rencontre, vérifiez bien vos carnets et votre hymen. »



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  • Le fantasme de la daronne lascive, le peignoir entrouvert sur une vulve bien huilée, qui ouvre sa porte à un ouvrier à l'entre jambe Siffredienne, les couilles moulées dans son bleu, a encore du crédit dans les CFA du bâtiment. Aussi, mesdames, en délicatesse avec votre tuyauterie, attention... Car si Freddy les griffe la nuit, Siffredi, lui, les défonce le jour. Les chauffagistes, les maçons et les menuisiers que j'ai rencontrés la semaine dernière sont tellement persuadés que la copulation de chantier est à portée d'éjac' faciale, qu'ils en ont fait leur principale motivation d'obtention du CAP. Pour ne pas dire la seule.

    Comme d'habitude avec les classes de mecs, on est entré rapidement dans le vif du sujet.
    "Moi, je suis un dalleux, je défonce de la chatte. Je suis comme un fou. J'ai toujours faim." Il pose dix questions à la seconde, y répond dans la même seconde, la pupille dilatée, le cerveau enfumé et les synapses en pilotage automatique. Il est agité, bourré de tics et je me dis que le cannabis joue à fond son rôle d'anxiolytique. En face de moi, assourdi par une logorrhée sans fin de pornographie ordinaire, je distingue une vraie bombe à retardement. Il est aussi petit que son compagnon de table est imposant. Il y a un côté « Des souris et des hommes » de Steinbeck, dans le couple. L'un parle, l'autre se marre, bêtement.

    Puis, le Lennie, genre toxico du kebab, se fait d'un coup plus sérieux. "Vous pouvez parler de la virginité, M'sieur ?"
    Aussitôt le petit nerveux éructe : "si tu défonces une vierge, et que tu la laisses, tu devras construire sept mosquées".
    Pour des maçons, je me suis dit que la construction de sept mosquées, ça pouvait leur assurer du boulot pour un paquet d'années. En ces temps de crise, voilà une bonne motivation pour se faire plus cochon.

    Après avoir usé de toutes mes planches d'anatomie pour bien montrer la différence entre le vagin, la vulve et l'utérus, expliqué que l'ovule n'était pas les sécrétions vaginales, et passé un temps incroyable à parler des hymens plus ou moins compliants, j'ai senti mon Lennie un rien dubitatif.
    Pour lui, une vierge, ça doit se voir. Pas question de se faire arnaquer au mariage! Alors tout en se grattant le crâne, il trouve sa solution: "une meuf vierge, on s'en aperçoit forcément. Quand on la défonce la première fois, elle n'est pas pareille, elle doit transpirer du cerveau"... Il a le sourire en coin, la langue qui balance d'une lèvre à l'autre. Je scrute ses mains, persuadé que je vais y apercevoir les restes d'une souris broyée, éviscérée...

    On a encore passé deux heures sur les putes qui se font défoncer et les vierges qu'on épouse. Cette fois, j'ai peu argumenté, comme fatigué. J'ai pensé à ma mère qui se faisait tabasser et qui a anesthésié sa douleur dans les médocs jusqu'à l'overdose. J'ai pensé aussi à ma fille, qui fête son premier mois de vie sur terre et j'ai écouté tous ces gamins cabossés, testostéroner pour fanfaronner, comme pour mieux exister, maîtriser... J'ai filé quelques capotes, avec la vague impression de distribuer une arme de poing à de futurs combattants. Pour un peu, je m'en serais voulu. Mais, quand le bâtiment va, il y va...


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