• Il est plutôt agité, secoué de drôle de tics, déclenchant un remontée d'épaule peu esthétique, façon Le Quesnoy dans "la vie est un long fleuve tranquille". Il parle vite, bafouille un peu. Sur l'homosexualité, il a une opinion très tranchée : il ne comprend pas. Il n'a pas envie de comprendre. Pêle-mêle, il justifie son point de vue en associant des arguments religieux (Dieu a créé l'homme et la femme), esthétiques (c'est moche deux hommes qui s'embrassent), l'obligation de procréer, ce qui se fait, ce qui ne se fait pas, l'image insupportable d'un sexe pénétrant un anus... Il en fait beaucoup. Presque trop.

    - « M'sieur. Je me souviens d'une fois, gare de Lyon, on avait croisé un type avec un chapeau à <st1:PersonName productid="la Michael Jackson." w:st="on">la Michael Jackson.</st1:PersonName> Il avait une jupe et un sac à main. Je lui ai chopé le sac et le mec, on l'a déchiré... » Il mime un poing qui frappe un visage imaginaire. Sa main est molle, le coup fouetté, à mille lieux d'un geste martial.

    A la fin de l'animation, il passe à côté de moi et me remercie. Je lui signale qu'il n'est pas obligé de frapper toutes les personnes s'habillant différemment de lui... Il me répond qu'il a exagéré l'histoire, que ce n'était pas vrai. Qu'il l'avait raconté juste comme ça, pour rigoler.

    - Pourquoi, alors ? Quel intérêt ? Tu avais quelque chose à prouver aux autres ?
    - J'sais pas, moi. Ses yeux fuient les miens.
    - Tiens, c'est le numéro de la ligne Azur. Si tu as de questions sur tout ce qui touche les orientations sexuelles... C'est gratuit et anonyme, bien sur.
    - Mais j'ai pas de problème, moi. Néanmoins, il glisse la carte dans sa poche.
    - Personne ne t'a parlé de problème. Tu posais des tas de questions sur l'homosexualité tout à l'heure. Je n'ai pas eu le temps de répondre à toutes mais eux, peuvent le faire. C'est tout.
    - Ah, ok. Merci.

    Ligne Azur : 0810 20 30 40 du lundi au samedi de 17h à 21h ou http://www.ligneazur.org


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  • BISSAU, 31 janvier 2008 (PlusNews) - Un cochon, la moitié d'un sac de riz, un peu de maïs noir et cinq litres d'eau-de-vie de sucre de canne : voilà les ingrédients qu'utilise un guérisseur traditionnel, en Guinée-Bissau, pays d'Afrique du l'Ouest, pour pratiquer un rituel qui permettrait, selon les croyances populaires, d'empêcher les femmes qui ont accouché de contracter le VIH. Selon certains, si ce rituel, connu sous le nom de tarbessadu, n'est pas pratiqué, la mère sera frappée par une maladie, qu'elle transmettra ensuite à son compagnon. Dilma (un nom d'emprunt), 27 ans, ne sait que trop combien ses concitoyens croient en ce rituel. Séropositive, elle a tenté en vain de faire en sorte que son mari aille se faire soigner à l'hôpital de la ville. Celui-ci refuse, convaincu qu'il n'y a qu'une seule explication à sa maladie : le fait que le rituel du tarbessadu n'a jamais été pratiqué sur sa femme (...)

    Le tarbessadu ne convient pas à tout le monde. En effet, il n'est pas barbu donc pas exportable sur les terres de Mahomet. Il faudrait remplacer le cochon et éliminer l'alcool... Curieusement, même si j'essaye toujours de faire l'effort d'intégrer les subtilités culturelles de mes interlocuteurs, j'ai du mal à éviter la critique vis à vis des guérisseurs, marabouts et autres charlatans qui contribuent au développement de l'épidémie. En son temps, Dieu garde son âme et laisse moi la mienne comme disait Desproges, Jean-Paul 2 s'érigea en chef des manipulateurs lorsqu'il proclamait, après sa succion des terres séchées des tarmacs africains, son anus en plastique érigé vers le ciel, que « seul l'abstinence pouvait sauver les Africains »... La fondation Bush (Tiens, un autre charlatan) a d'ailleurs repris le flambeau en ne finançant que les associations qui excluent le préservatif de leur programme de prévention.

    A une époque, j'ai animé un atelier d'aide à la recherche d'emploi, fréquenté exclusivement par des femmes africaines, séropositives et sans papiers... Autrement dit, tout ce que le français moyen de droite rêve de fréquenter... D'ailleurs, avec le recul, je me dis que mon salaire aurait pu me servir pour cantiner si le mec de Carla  avait été au Ministère de <st1:PersonName productid="la Raffle." w:st="on">la Raffle.</st1:PersonName>

    L'histoire de ces femmes avait en commun la découverte de leur séropositivité au moment de leur grossesse. Et comme en Guinée, leur ami/mari étaient persuadés que la maladie était le fait de leur femme et non l'inverse. Le vieux coup de la pomme version virale. Certains étaient dans le déni total, quand bien même leur compagne et parfois leurs enfants étaient séropositifs. Aujourd'hui, je me dit que plutôt que leur proposer un café ou un thé, j'aurais dû leur cuisiner un petit tarbessadu bien arrosé...


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  • Une fois n'est pas coutume, je vous fait du resaucé... Pour ceux qui ont vu le reportage de Caroline Fourest sur Envoyé Spécial, hier, dont le titre était "certifiées vierges" (tiens), voici un petit supplément de vécu avec ce texte que j'avais publié en juillet dernier... Bon allez, c'est pas tout ça, mais je prends le périph' direction le sud, moi...

    (...) C'était avant la fameuse loi sur le port du voile à l'école, ou bien dans un établissement où celle-ci n'était pas appliquée à la lettre, je ne me souviens pas très bien. Par contre, j'ai bien en mémoire les visages de ces trois jeunes filles qui ne voulaient pas entendre parler de sexualité, en pleine période de ramadan, et qui avaient, pour montrer symboliquement leur hostilité, relevé leurs foulards et couvert leurs oreilles.

    Qu'importe. Plutôt que les inviter bêtement à sortir, je m'étais dit qu'elles pourraient toujours entendre une partie de l'intervention et y prendre ce qu'elles voulaient. Comme la classe était peu réactive, j'ai proposé les « petits papiers » : les élèves posent une question anonyme par écrit et nous tentons ensemble d'y apporter une réponse.
    J'avais repéré le papier à gros carreaux utilisés par les trois jeunes filles et j'ai pu facilement les identifier :
    « Peut-on être "déviergée" par derrière ? »
    « Pourquoi la sodomie donne des grosses fesses ? »
    « Peut-on attraper le sida par les fesses ? »

    Sodomie et virginité, les frères ennemis de la religion, l'association lubrique qui fait que probablement les nuits des croyants sont plus lubrifiées que leurs jours, surtout du côté de l'Orient... Derrière tout ça, émerge la question de la vraie définition de la virginité. Une fille peut-elle être considérée comme encore vierge si elle pratique la sodomie ? Ou la fellation ? La virginité se limite ou pas au caractère intact de l'hymen ?...

    Les élèves sont souvent partagés sur la question, toutes confessions confondues. En tout cas, celles qui se battent chapelets et ongles pour limiter la virginité à la seule pénétration du vagin, ont parfois des petites aventures anales ou buccales à cacher... Dans l'intensité du débat, ça finit toujours par transpirer et surtout ça jette un petit froid... Pour résumé, et à l'unanimité, ça se pratique au bled, mais ici, silence radio, le téléphone arabe est au abonné absent...

    Après avoir tant bien que mal régulé un débat parfois houleux, je me souviens avoir posé la question : « l'hymen d'une jeune fille vierge est-il toujours un peu ouvert ? »
    La réponse a fait l'unanimité. C'était non. L'hymen était un voile (tiens, encore là, lui), dur, fermant hermétiquement le vagin, une sorte de couvercle Tupperware assurant la fraîcheur du produit...
    J'avais imprimé quelques dessins de différents types d'hymen trouvés sur un site de gynécologie (http://www.aly-abbara.com/livre_gyn_obs/termes/hymen.html ). Je les ai fait passé en parlant de la compliance de l'hymen, de son ouverture plus ou moins importante selon les filles et de cette possibilité d'une première fois indolore et sans écoulement sanguin... Certaines étaient en état de sidération, au point de se demander si je n'étais pas rémunéré par le gros poilu aux sabots et à l'haleine de bouc pour semer le trouble dans les esprits sains. Je risquais le bûcher, frisais la lapidation. Heureusement que nous n'étions ni au Yémen, ni au Nigeria...

    Je leur ai fait part d'un témoignage d'une jeune femme qui le soir de ses noces s'était vu répudier par son mari d'importation parce que la pénétration avait été trop facile à son goût, à cause d'un hymen certainement compliant. L'acte avait provoqué des doutes quand à la véritable virginité de son épouse et le type avait demandé l'annulation de la cérémonie... Encore un mariage qui reposait sur l'amour et la confiance entre deux êtres et voué à la réussite !!

    Les trois jeunes filles écoutaient attentivement. Je le devinais à la concentration de leurs visages. J'ai proposé ensuite une séance de scénarios à laquelle, elles ont refusé de participer en s'installant au fond de la classe... On frisait l'overdose de révélations. Aussi, je les laissais un peu mariner.

    À la fin des deux heures et au moment où les élèves sortaient, je décidais de les interpeller pour leur demander leurs avis. J'ai d'abord lu l'incompréhension dans leurs yeux. Puis les doigts ont fouillé maladroitement dans les poches. Des lecteurs mp3 sont sortis et sous les voiles, j'ai distingué des écouteurs... C'est drôle quand la tradition vient masquer l'arnaque, ça démystifie le concept d'intégrisme. Le voile se faisait malin. Prises la main dans le pot de confiture, elles se sont marrés, non sans rajouter gentiment : « Merci, m'sieur, on a appris des choses ! »

    Je suis certain que les intégristes de tout bord ne vont pas tarder à demander la mise en place d'une norme ISO, certifiant la virginité et estampillée par le grand mufti, le rabbin en chef ou le pape... Avant d'épouser une femme, ils chercheront l'étiquette et comme devant la barbaque au supermerde, ils exigeront la traçabilité... Pour peu, on assistera alors à l'émergence d'un nouveau métier : éleveur de vierge.

    Pour illustrer mes propos, j'ai pris ce petit texte à la volée via google sur un forum beur (fautes comprises) :
    L. - 07/02/2006, 19h46
    Moi franchement ça m'angoisse de ne pas saigner la nuit de noce, mon mari va forcément se poser des questions. Et la belle famille qui attend de voir la tache de sang. Imagine qu'il n'y en ai pas, je me sentirai trop male.


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  • Deux heures et puis s'en va... Deux heures, c'est la durée d'une animation. Deux heures, c'est parfois long, quand la classe s'en fout, que les esprits s'enfuient, que les visages sous les parkas s'enfouissent. Et puis deux heures, c'est souvent trop court, quand les questions fusent sur les filles, les garçons, les histoires, les embrouilles, la fellation ou la sodomie, la transmission des virus, les moyens de contraception, l'orientation sexuelle, les agressions... Deux heures, ça suffit parfois à réveiller les vieux démons, à redonner vie aux cauchemars bien rangés, sous perfusion d'oubli, au fond de la mémoire. Je remarque alors un changement d'attitude, un regard mouillé, un rictus nerveux. Quelquefois, n'y tenant plus, certains ou certaines se lèvent et sans un mot, sortent, pour se jeter dans les bras de l'infirmière qui leur a embrayé le pas. Ensuite, il y a un blanc et des rires forcés.
    Hier, dans un centre d'apprentis au cœur de Paris, c'est une jeune fille qui a patienté pour partager son intimité. Je l'ai trouvée toute suite cernée, comme très éprouvée par l'animation. Les mots se sont bousculés, véritable foule de syllabes tentant d'échapper aux flots des sanglots en train de monter. J'entends l'inceste, les rapports sexuels forcés avec un cousin plus âgé quand elle avait 11 ans... La police qui n'a rien voulu entendre, la culpabilisant... Les moqueries, les insinuations, et puis la vie qui balbutie... Bancale, la vie... Erigée en Tour de Pise sur ses fondations violentées... Sa sexualité bloquée sur son corps souillé... Sa boulimie, ses tentatives de suicides... Son copain, exceptionnel, qui comprend, qui soutient mais qui fatigue parfois. Je manque de temps car j'ai une autre classe dans la foulée, qui trépigne dans le couloir. Répondant à ses envies judiciaires, je lui conseille quand même de porter plainte car il n'y a pas prescription, de se faire accompagner car le combat sera rude, de tout mettre en œuvre pour faire reconnaître son statut de victime, condition à sa reconstruction. Je suis obligé d'être concis, professionnel, presque froid. Des élèves arrivent pour investir la classe, le prof s'agace... L'intimité est brisée, l'échange avorté... Un dernier sourire triste échangé et son visage s'efface dans les bousculades de couloirs. Deux heures et puis s'en va...

    En rentrant chez moi, j'ai décidé de briser la confidentialité de notre entretien et j'ai informé l'assistante sociale du CFA de cette situation, craignant que l'animation ne l'invite à se taillader une nouvelle fois les veines... L'assistante sociale, émue, m'a dit qu'elle ferait tout pour rentrer en contact avec elle sans lui faire part de mon appel. Pourvu que...

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  • C'est une classe de BTS, avec des élèves plus âgés que dans mes interventions habituelles. Elle est au troisième rang, pile dans mon viseur lorsque je passe en revue la classe. Au milieu de l'animation, la voilà qui se tortille dans tous les sens, les deux mains dans le tee-shirt, tirant sur les bretelles de son soutien-gorge, dénudant ses épaules. Ses seins, plutôt protubérants et méchamment secoués, finissent même par reprendre leur liberté et j'aperçois un mamelon surréaliste sous les néons froid de cette salle de classe. Elle me sourit et continue. J'évite de lui signaler oralement mon désaccord de peur que les garçons en profitent pour lui ruiner sa réputation. Je lui renvoie une moue, signifiant que sa gymnastique mammaire est un peu limite et surtout nuit un peu, il faut le dire, à ma concentration. Exprimer tout ça dans une moue me vaudra peut-être une nomination aux prochains césars...

    Qu'importe, le regard teinté de provocation de jeune adulte en pleine crise hormonale, elle continue à se tortiller, m'invitant malencontreusement au lapsus :

    - Bon vous me parliez des malades et de la prise en charge... Et bien l'accès aux seins...

    Blanc. Eclat de rire. J'ai dû rougir un peu. Elle, hilare, rééquilibre une dernière fois sa poitrine et reprend ses notes, avec un brin de fierté d'avoir réussie à me déstabiliser.

    - Je voulais donc dire vous l'avez compris, l'accès aux soins... Et me voilà à embrayer sur la prise en charge des malades du sida et le coût d'un traitement...

    A la cantine, je raconte ma mésaventure au prof qui accompagne mon steack-frite. En décrivant la fille, il sourit et me dit aussitôt :

    « Celle-là, c'est une spécialiste du genre découvert. Régulièrement, je lui demande de reboutonner son décolleté et de fermer le canyon du Colorado... »

    Est-ce bien la peine de spécifier que c'était un prof d'histoire-géo.


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