• C'était dans le Causette de l'été. Mais la rentrée s'annonce bien engagée et je suis prêt !


    « La morale laïque est un ensemble de connaissances et de réflexions sur les valeurs […] qui permettent, dans la République, de vivre ensemble selon notre idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. 1 » Vincent Peillon.

    Eh bien Vincent, je peux te répondre que les valeurs du vivre ensemble, je les cultive depuis un bail. Mais pendant que j’ai les mains dans le cambouis, tes copains en profitent pour tailler dans les budgets de prévention et détruire tout ce qui entretient le lien social.

    Aujourd’hui, mes bailleurs me demandent de faire preuve de méthodologie même pour aller pisser, de pondre du projet au kilomètre et de noircir de la paperasse avant, pendant et après mes animations pour justifier le budget qui m’est gentiment alloué. L’introduction de cette culture issue du capitalisme financier dans les pratiques associatives est désastreuse : je ne suis pas rentable et j’espère bien le rester.

    Plutôt que de te donner du chiffre et de la stat, Vincent,je vais essayer de dresser un bilan de ce que j’ai fait et qui entre dans le cadre de ta fameuse morale laïque : accueillir la parole des jeunes sans distinctions sociales, réguler leurs échanges, insuffler une réflexion sur les préjugés et les stéréotypes, travailler sur l’égalité des droits(hommes-femmes, hétéros-homos) et le respect de l’autre, insister sur la nécessité du consentement dans la relation… Bon début, non ?

    Ceux qui travaillent auprès des SDF évoquent souvent l’odeur nauséabonde et puissante qui atténue le sens olfactif. Moi, ce sont les mots qui me hantent. Ces mots violents, grossiers, qui ponctuent mes animations et me donnent parfois envie de tout arrêter. « Putes »,« salopes », « pédés », « cracher dans la chatte », « déboiter » et autre « défoncer », autant de termes associés à la sexualité qui salissent ce qui nous reste d’humanité. « Si vous banalisez des mots violents, vous banalisez des actes violents. »Combien de fois j’ai martelé cette phrase, jusqu’à avoir l’impression de la bégayer !J’ai une pensée pour ces gamins d’Epinay-sur-Seine, à la sève bien francilienne malgré des racines lointaines en Afrique subsaharienne, à qui j’ai demandé d’échanger sans s’agresser :

    « M’sieur, vous voulez qu’on soit courtois comme des blancs, des céfrans… »

    Dans cette réponse, on mesure l’échec d’une politique source d’apartheid, et ce n’est pas la morale laïque au bahut qui va rattraper toutes ces années de négationnisme social.

    Les religions s’invitent de plus en plus dans nos débats,écoles confessionnelles ou pas. La virginité jusqu’au mariage est devenue un sujet central au point d’occulter les MST et les risques de grossesse non désirée.Curieusement, le dogme vulgarisé n’a de précepte que pour les filles et certains parlent d’emmener leur copine chez un gynéco comme une voiture au contrôle technique. Quand je rétablis la vérité anatomique sur l’hymen et que j’évoque la masturbation féminine, les filles sont partagées entre gêne et soulagement pendant que les mecs tchipent 2 leur désaccord. Et puis je n’oublie jamais de rappeler aux anti-IVG que l’avortement n’est pas un problème mais une solution. Ce n’est pas de la morale laïque, Vincent, mais de l’utilité publique. 

    Cette année, j’ai eu mon lot de polémiques avec la loi pour le mariage pour tous. Globalement, j’ai trouvé les jeunes moins virulents dans leur propos que leurs aînés, même si l’adoption par un couple homosexuel est inimaginable pour la grande majorité d’entre eux. L’image de la famille, c’est Adam et Ève qui l’ont donné et qu’importe qu’ils aient fait preuve de consanguinité pour créer l’humanité.

    Lancer de grands débats stériles et déclencheurs de propos violents pour lutter contre l’homophobie, je n’y crois plus. Par contre, dire systématiquement« avec ta copine ou ton copain » aux élèves, et ceci quel que soit le genre de l’interlocuteur, participe à faire de l’homosexualité une orientation sexuelle intégrée et tout à fait naturelle dans une société très hétéronormée.Et puis quand la discussion s’envenime, je mentionne ce regard plein d’amour entre les deux mariés de Montpellier, filmé par des centaines de télés. Certains sont touchés.

    En relisant quelques petits papiers de questions anonymes glanés dans les lycées  – « Pourquoi les filles sont considérées toujours comme des putes ? », « Pourquoi un homme doit-il se sentir supérieur à une femme ? » « Pourquoi les garçons ne nous respectent pas ? » – , je me dis que ce n’est pas en deux heures qu’on révolutionnera la vie de ces lycéennes. Et puis que pèse ma parole face ausexisme ordinaire vomi par la télé-réalité, les vidéos de rap et Internet ?Mais ça, Vincent, qui s’en préoccupe ?

    Un jeune, aux Pavillons-sous-Bois, a parfaitement résumé le délire ambiant : « Ma mère m’a dit qu’elle s’en foutait que je regarde du porno sur Internet parce mon père fait la même chose »…

    Je termine la saison le moral dans les capotes, un peu usé par l’énergie déployée. Aussi, pour me ressourcer, cet été, je vais éviter les plannings familiaux, les lieux de culte, les meetings de droite et les débats sur la morale,qu’elle soit laïque ou pas.

    Surtout penser à désactiver mes alertes Google « adolescents » et « sexualité » pour vraiment décrocher.

    Dr Kpote (Kpote@causette.fr)


    1. Citation sur le portail Internet du gouvernement.

    2. Exprimer sa désapprobation envers quelqu’un en émettant unson avec la bouche


    2 commentaires
  • Au lycée, il y a toujours un couple officiel par classe. Autant enviés que les couples VIP sur papier glacé, ils éclaboussent de leur bonheur naissant tous ceux qui font encore l’amour buissonnier. La love story, avec ses premiers frissons et le dépucelage en trophée, c’est l’option que beaucoup d’ados aimeraient présenter au bac. Alors, en seconde, la compétition fait déjà rage entre ceux qui « maîtrisent » et profitent de mon passage pour réviser, ceux qui balbutient leurs sentiments et les recalés, sur liste d’attente, qui rongent leur frein.

    En général, les couples en herbe se tiennent maladroitement les mains sous la table et imposent le silence aux autres. Ils sont dans l’attente de réponses concrètes parce que, là où les autres fantasment devant leur écran, eux, « ils l’ont fait ». Quand j’aborde « la première fois », l’ensemble de la classe les dévisage. On peut
    lire alors de la fierté dans le roulement d’épaules du mâle et, par jeu de miroir, beaucoup de complicité et un peu de vénération dans le regard de la fille. Ils sourient malicieusement, se remémorant, sans doute, ce moment de fièvre, ces gestes maladroits qui les ont fait mûrir de dix ans. Souvent, les sourcils se froncent au sujet des préliminaires et du temps qu’on doit se donner pour mieux se découvrir, se préparer à la rencontre des corps. Alors que les uns pensent caresses, les autres
    miment avec leurs doigts le va-et-vient de la pénétration. Là où les romantiques, jugés trop serviles et qualifiés de « canards », imaginent une douce étreinte en se secouant le bas des reins, les plus pragmatiques invitent à « sucer » pour leur clouer le bec. Quand on définit les préliminaires, la classe fait toujours sécession.

    L’angoisse assombrit les visages des filles dès qu’on s’attarde sur les risques de grossesse ou de contamination par une infection sexuellement transmissible. Les garçons, eux, expriment leur détachement en regardant par la fenêtre. Le mélange des genres, c’était hier et au lit, mais certainement pas ici.

    Et puis, dernièrement, dans une classe de seconde générale, j’ai assisté à un clash. Entre les mots du garçon, la fille a entrevu la possibilité d’une autre, avant ou pendant… Alors, elle a agité l’épouvantail du sida comme une seringue de Penthotal pour obtenir la vérité. Il lui a fait prendre des risques, alors qu’elle lui a tout donné, virginité comprise. J’ai tenté de la calmer en lui signifiant que nous pourrions en reparler ensemble en aparté à la fin de l’animation. Mais elle n’entendait plus, s’imaginant contaminée, souillée par la tromperie, condamnée à mort par son infamie. Ses mains s’étaient déliées et, les nerfs en pelote, elle s’apprêtait à frapper. Lui souriait, niaisement, ne voulant pas perdre la face devant ses potes écroulés. Entre sauver sa réputation et salir
    sa relation, il avait choisi.

    Pour calmer le jeu, j’ai proposé un court-métrage qui met en scène des élèves parlant du sida dans une cour de lycée. Dans le semblant d’obscurité cinématographique, j’entends le couple se déchirer à mi-voix. Elle lui présente l’addition. À la fin des deux heures, je m’attends à jouer les conseillers conjugaux, mais ils quittent finalement la salle main dans la main. On se déchire et se pardonne vite à 15 ans. J’hésite à leur donner un dépliant sur les centres de dépistage, puis je me rétracte, ne voulant pas remettre de l’huile sur le feu.

    Dans un autre registre, dans un CFA hôtellerie, j’ai assisté à une empoignade de futurs serveurs prêts à tous les coups fourrés pour accéder au Saint-Graal : une place à côté des deux représentantes de la gent féminine. Au milieu du mobilier renversé, les vainqueurs ont exhibé le faciès fier du chef de meute qui a pris l’ascendant sur le reste du troupeau. Comme pour mieux signifier leur victoire, les deux coqs ont immédiatement posé leur main, l’un sur l’épaule, l’autre sur la cuisse de leur voisine. Celles-ci n’ont rien dit. Au moment où on se questionnait sur les notions de limites, de désirs, d’interdits, l’un des garçons en a profité pour passer la main entre les cuisses de sa voisine de table. Elle a pouffé, s’est tortillée un peu et, d’un clin d’oeil, l’a invité à aller plus loin. L’autre couple s’affairait aussi. J’ai surpris dans la même seconde le garçon en train de nettoyer l’oreille de sa compagne à grand coup de langue, la main gauche dessinant des courbes autour d’un sein. Les autres ayant du mal à contenir leur excitation, on frisait la partouze…
    Heureusement, l’heure de la pause clopes vint à mon secours. Je réussis à retenir l’un des couples :
    « Ça ne vous gêne pas de vous tripoter en plein cours.
    – C’est rien, ça, Monsieur, ça passe le temps, m’a-t-elle crânement répondu.
    – Tu ne t’es pas posé la question si c’était vraiment le lieu pour le faire ?
    – Mais je les emmerde, moi, les autres. Il me met juste la main sur la cuisse. Lui, je le connais. Je sais qu’il sait s’arrêter.
    – Si je vous demande de garder un peu vos distances après la pause, ça vous convient ?
    – Oui, oui, c’est bon. »
    Ils ne sont jamais revenus. À entendre les allusions des autres, j’ai compris qu’ils étaient passés aux travaux pratiques, en train de s’échanger quelques chlamydiae aux toilettes quand, à notre époque, on en était encore aux figurines Panini. Je n’avais même pas eu le temps de leur filer des capotes…


    votre commentaire
  • Session de rattrapage pour ceux qui ont raté le Causette#31

    Travailler sur la notion d’intimité avec les adolescents, c’est forcément évoquer Internet et ses dangers. Une exposition virtuelle mal gérée peut être une vraie menace pour la dignité de l’individu et pour son intégrité psychique. On peut parler de nouvelles vulnérabilités liées à l’utilisation des nouvelles technologies. Chantage à la sextape entraînant un suicide, tchat privé sur webcam diffusé sur YouTube sans autorisation, les histoires édifiantes lues au hasard des médias trouvent aussi écho dans mes animations de prévention…

    Dans un CFA de Seine-Saint-Denis, les apprentis trépignaient, la veille de mon arrivée, car ils en avaient une bien bonne à me faire partager. Ils avaient échafaudé un vrai traquenard pour l’un de leur pair dont ils étaient très fiers. En effet, quelques semaines auparavant, l’individu ciblé avait d’abord reçu par texto, avec numéro inconnu de son répertoire, une série de déclarations enflammées de la part d’une certaine Priscilla du bahut d’à côté. Signalons tout de suite qu’il avait été élu sur sa naïveté, aussi prégnante dans sa personnalité qu’un nez au milieu de la figure. Véritable miracle dans sa vie pauvre en rencontres affectives, une fille était séduite par son aura, et il s’en vantait à la cantonade, sans imaginer un seul instant la moindre tartuferie. Il venait soudain de rallier la caste enviée des « beaux gosses », lui, le paria !

    Le couple échangea à distance bon nombre d’amabilités, puis des propos stimulants et, pour finir, tout un tas de cochonneries. Du texte, on est passé naturellement à l’image. La fameuse Priscilla a envoyé une photo de ses seins – chipés sur Google Images. Lui a répondu à la demande par des poses de gangsta, des photos de ses pecs et de ses abdos… Un matin, Priscilla a exigé une mate de son sexe pour, disait-elle, se mettre en appétit. L’ingénu a foncé aux toilettes pour s’astiquer, puis immortaliser son vit au garde-à-vous et l’envoyer en one-touch à la belle virtuelle. Mais le numéro de Priscilla était un leurre, et le destinataire a fait circuler le gros plan du gland turgescent au reste de ses complices. Quand le pauvre garçon est revenu des toilettes, quinze individus hilares l’attendaient, écran allumé à la main, lui renvoyant l’image de sa virilité forcément écorchée.

    Quelques semaines plus tard et en présence du dindon de la farce, ceux-ci tenaient donc à me montrer l’appendice. Bien évidemment, j’ai refusé l’invitation afin de ne pas cautionner le pire. La victime était blême, avec un sourire forcé qui faisait vraiment peine à voir. Certes, la bonne blague entre potes façon « bites au cirage » et autres réjouissances masculines de colonies de vacances ont toujours existé, mais là où les blagues de potaches se réglaient par une bonne partie de manivelle, aujourd’hui, elles se scénarisent à l’infini sur le Net. Les nouvelles technologies ont amplifié le phénomène d’exposition et, surtout, sa diffusion. Auparavant, la rumeur de l’outrage subi finissait par s’estomper avec la distance et le temps. Désormais, les images se partagent, se commentent férocement, se likent, s’archivent, peuvent resurgir à tout moment des disques durs pour un outing aussi inattendu que destructeur. On a tous des gigaoctets de la vie des autres en stock ou en libre accès.

    On a travaillé avec le jeune homme sur ce qu’on donne à voir aux autres, sur le partage de son intimité et sur les conséquences de cette nouvelle manie de s’exhiber sur la Toile. Avec les autres, on a débattu sur le droit à l’image et les dégâts de la circulation de l’info quand, tout en se dédouanant de ses responsabilités en jouant les passeurs, on participe à la destruction d’une vie. Mais, face à une génération pour laquelle sa propre mise en scène est banalisée, peu d’entre eux comprenaient ma réaction d’hostilité. Ce jeune homme devra s’accommoder du fait que, quelque part en Ingouchie comme à deux pas de chez lui, des milliers de geeks connectés peuvent voir son sexe googlelisé.

    Pour illustrer les conséquences de leur acte et les aider à mieux les cerner, je leur ai raconté cette histoire qu’une infirmière du Val-d’Oise m’avait rapportée. Une fille avait accepté de faire un petit porno maison, en faisant une fellation à son mec devant la caméra de son téléphone. Probablement fier de sa réalisation, celui-ci n’a pas pu s’empêcher de la diffuser à son meilleur pote. Aujourd’hui, tout va si vite : on filme, on looke et on partage. Des regrets ? Trop tard. La fibre optique téléporte l’objet du délire à la vitesse de l’ADSL 2 méga. Et le partage se faisant viral, en l’espace d’une matinée, une cinquantaine de types du quartier voisin avaient délaissé la glande pour venir voir cette « salope qui suce » et en profiter. L’infirmière a dû enfermer la fille dans l’infirmerie pour la protéger. Une plainte a été déposée, mais la famille, ne supportant plus de se faire apostropher, insulter, traiter, a été contrainte de déménager. Ils ont beaucoup ri de cette fille facile qui s’était fait piéger, et puis, l’histoire avançant, j’ai ressenti leur empathie pour cette famille dévastée par la bêtise et l’irresponsabilité.

    On s’est accordé un temps de réflexion sur ces outils qui accélèrent nos vies avant qu’elles nous échappent. Mais à quoi bon, si même les parents vivent leur life par procuration derrière la caméra d’un iPad tout en abonnant leurs enfants à leur fil d’activités ! Big Brother, aujourd’hui, c’est toi, moi, nous…


    votre commentaire
  • Pour changer des lycées, on m’a demandé d’intervenir dans une MECS 1 dans les Hauts-de-Seine. Le placement en MECS a notamment lieu dans les cas de violence familiale, de difficultés psychologiques des parents, de carences éducatives, de problèmes comportementaux de l'enfant... Au téléphone, pour préparer l’animation, la psychologue de l’établissement m'avait averti que le foyer n’accueillait que des jeunes filles. La plupart d’entre elles avaient une histoire chargée, et pour certaines, en lien avec la sexualité. Elles allaient probablement tenter la carte de la séduction dans cet espace sans présence masculine, les pensionnaires n’ayant pas le droit d’inviter d’amis et l’équipe éducative n’étant composée que de femmes. Avec une salopette et la gouaille de Coluche, j’aurai pu titrer : c’est l’histoire d’un mec qui va dans une MECS où il n’y a que des filles !

    Mon GPS m’ayant amené à destination dans les temps, je découvre une maison cossue, à flanc de collines, dans un environnement très boisé. Un cadre bucolique qui invite immédiatement à la détente.

    L’effet psycho actif de la verdure fut de courte durée. À peine, avais-je poussé la porte d’entrée, que je tombais nez à nez avec la directrice, fraîchement descendue de son mirador et qui m'attendait de pied ferme dans le couloir.

    - Ah, non, ça ne va pas être possible. J'avais demandé une femme !

    Je venais de franchir la porte et les jeunes filles, en file indienne, me dévisageaient comme un virus grippal passé au détecteur de chaleur. J'avais l'horrible sensation d'être Tony Curtis dans Certains l'aiment chaud, surpris la perruque de travers au milieu d'un orchestre de pin-up en bikini.

    J’ai fait immédiatement le lien avec certains lycées dit plus sensibles que d’autres, qui insistent pour avoir un intervenant masculin et prévenir ainsi les risques d’agression verbales, genre « la salope qui vient nous parler de cul ». Si par malheur, un jour, nous répondons positivement à ce type de demande, nous aurons alors perdu le fondement de notre combat basé sur l’égalité des sexes.

    En général, les infirmières de lycée sont plutôt ravies de voir des hommes, notre discours étant souvent vécu comme complémentaire de celui qu’elles tiennent aux élèves.

    Pendant des années, l’éveil au corps et à la sexualité était uniquement une histoire de bonnes femmes et beaucoup de pères répondaient aux questionnements de leur progéniture par un « demande donc à ta mère, j’ai à faire » sans appel. Mais le mâle a su forcer ses instincts primaires pour théoriser, lui aussi, sur les choses de la vie. Ce bel effort d’évolution méritait plus de sollicitude de la part du dragon qui fulminait devant moi.

    Dans le couloir, c’était Il était une fois dans l’Ouest

    - Merci pour l'accueil. Nous pourrions peut-être débattre de ce problème en aparté.

    - Mais je n'ai rien à cacher à MES filles…

    Mes filles ! je l’avais donc dérangée en train de couver… Pour une professionnelle de l'accueil social, son attitude manquait vraiment de discernement.

    - Beaucoup de ces filles ont connu des soucis avec les hommes. Alors, ça suffit…

    On y était. Je devais donc porter toute l’histoire de l’ignominie masculine sur mes épaules, payer l’adition salée laissée par tous les phallocrates de l’univers. Je savais que cette situation pouvait arriver un jour, mais là, je n’avais pas prévu de coquille.

    Pour alléger l’atmosphère, je risquais une vanne sur cette attaque sexiste pouvant entraîner une saisie de la HALDE, mais elle ne daigna pas rebondir.

    - Vous devriez être au courant puisque j'ai eu la psy au téléphone. Je propose qu'on pose la question aux filles pour voir si le fait que je sois un homme les gêne vraiment, ou pas.

    Nous avons réuni la quinzaine de pensionnaires de l'établissement, non sans mal, car les choses ayant plutôt mal démarrées, certaines avaient déjà regagné leurs chambres.

    Je leur ai signifié que je ne les questionnerais pas sur leur vécu, laissant ce rôle à l’équipe éducative. Une animation de prévention, c’est un temps de réflexion sur la relation et le moment de vérifier certaines informations sur les risques encourus ou pris.

    Elles ont accepté du bout des lèvres et le dragon m’a fait comprendre qu’elle m’avait à l’œil. L’animation s’est parfaitement déroulée. Après une bonne demi-heure de silence total, les filles ont fini par se détendre et s’exprimer, allant même jusqu’à partager des expériences intimes. Craignant le mauvais lapsus ou l’erreur d’interprétation, je suis resté très concentré. Cette vigilance m’a certes permis d’assurer mais m’a probablement fait perdre en humanité.

    Avant de partir, je décidais d'affronter une nouvelle fois le dragon.

    - La façon dont vous m'avez accueilli et présenté au groupe est inadmissible.

    - Si vous avez été déstabilisé, c'est votre problème personnel, pas le mien.

    La discussion commençait par sérieusement s'envenimer lorsqu'elle a fini par me lâcher :

    - Seule une femme peut parler de sexualité féminine avec des femmes… Vous êtes incapables de nous comprendre…

    Tout débat semblait inutile et pour éviter de me les faire couper, j’ai tiré ma révérence. J'ai une pensée tout de même pour l'équipe éducative qui m'a semblé en désaccord avec elle et surtout pour les pensionnaires de l'établissement qui auront bien du mal à se reconstruire dans l'antre du dragon.

    1 Les Maisons d'Enfants à Caractère Social sont des établissements sociaux ou médico-sociaux, spécialisés dans l'accueil temporaire de mineurs relevant de l'Aide Sociale à l'Enfance. Celles-ci fonctionnent en internat complet ou en foyer ouvert.


    2 commentaires
  • Six classes de filles en deux jours! Pas l’ombre d’un testicule moulé à la braguette, même pas dans la salle des profs. Pas de panique, je ne fais pas référence à un soudain génocide masculin orchestrée par une chienne de garde aux crocs empoisonnés mais le lycée où je me suis rendu, propose, tout simplement, des formations qui n’intéressent principalement que la gent féminine : du social, quoi… Je suis donc retourné au bahut en mode d’avant les années 70 : pas un gramme de testostérone, de slip kangourou et de free-fight programmé pour la récré. Et bien, même si les bavardages demandent un peu plus de flicage, je me suis re-po-sé !

    Et en plus, ce fût enrichissant. Que demande le travailleur social ? Les filles se sont exprimées comme jamais. C’est quand même plus facile quand il n’y a pas de taliban pour leur intimer, d’un regard bien appuyé ou d’une réflexion assassine, de la fermer. Ainsi libérées, les deux heures d’animation (on aurait dit leurs vagins à une époque plus militante), leur appartenaient pleinement. Tellement c’était serein, Sohane et Samira ont dû s’en étouffer en plein festin de racines de pissenlits.

    Bien entendu, elles ont exprimé cette difficulté à porter des jupes, elles ont témoigné de l’obligation de s’habiller sans mettre trop en valeur leurs formes, de ne pas être trop femmes… Rien de bien nouveau dans ce monde profondément machiste avec ses traders de merde qui jouent au Monopoly avec notre pognon (oui je sais ça a peu de rapport mais je viens de voir Inside Job, alors…). Certaines se la jouent plus bonhommes pour avoir la paix. Mais rouler des épaules, se saper en jogging et cracher par terre, ça ne les fait pas vraiment bander. Celles-là aussi, expriment leur lassitude d’avoir à jouer les Big Jim pour protéger leur réputation. Exit les « Ni putes, Ni soumises », un « Ni fille, Ni mec » serait plus d’actualité. Comment, à 15-16 ans, ces filles de l’entre deux genres, peuvent-elles se construire dans leur identité féminine ? Quelles femmes seront-elles une fois adultes ? Sommes-nous en train de vivre l’émergence d’un troisième sexe, une sorte de transgenre qui n’aurait aucun lien de parenté avec celui qu’on rencontre au coin du bois, les soirs d’exutoire aux heures de fermeture des bureaux ?

    Faire l’amour à l’envi, ce serait « ne pas se respecter ». Voilà ce qu’on leur a dit et répété, à tel point qu’elles ont fini par l’assimiler totalement. Mais ce qui me chagrine le plus, c’est qu’il n’y a pas que la rue qui véhicule ce discours simpliste, leurs familles, aussi, les maintiennent dans ce rôle de future proie facile en refusant de les voir grandir, en leur interdisant de s’émanciper. Alors, elles répètent ces mots carcéraux, pas toujours convaincues mais au moins pour la galerie. Après tout, on ne sait jamais. Et si le grand frère laissait une de ses oreilles traîner dans le coin ou si une copine venait à vendre la Mèche pour s’acheter une conduite …La peur des représailles est répandue chez certaines.

    Certes il y a celles disent s’en battre les couilles (tiens une expression bien masculine, non ?) et qui mettent un gros kick aux mecs qui les font chier. Ces filles-là, on sent une drôle de violence dans leur regard, une violence plus jusqu’au-boutiste que celle de n’importe quel mec élevé dans un chenil de pitbull. Elles adoptent toutes les attitudes masculines, par un mimétisme de survie, comme ces animaux qui arrivent à se fondre dans la nature pour se rendre invisibles à l’ennemi. En jogging basket souvent, elles parlent fort et serrent la main. Leur vie affective est mise entre parenthèse et les expériences sexuelles, renvoyées aux calendes grecques, un jour de St Glinglin.

    Il y a celles qui résistent par la provocation, exhibant le superflu pour mieux conserver l’intérieur, faisant claquer fort leurs talons comme si à chaque pas, elles organisaient leur propre marche des fiertés. Elles se disent lasses de se faire traiter de putes par les mecs mais aussi par leurs pairs qui ont mis un mouchoir sur leurs convictions, mais n’ont pas envie de lâcher l’affaire. Pour celles-là, on peut craindre le pire, la punition suprême au fond d’un RER ou d’une cave, traînant leur sale réput’ jusqu’au bled comme d’autres leurs années de placard.

    Et puis il y a une grande majorité silencieuse aux sourires crispés, des filles qui s’angoissent par avance de croiser au détour d’une soirée ou d’un vestiaire, un de ces monstres couillus et poilus, qui se feront fort de les déflorer à la hussarde en les plantant là, la vulve offerte et l’amour en jachère. Celles-là, elles s’abreuvent des histoires des plus précoces et se signent intérieurement pour expier cette chaleur dans le bas-ventre qui les culpabilise tellement.

    Je leur pose la question de la mixité. Je leur demande si ça leur manque les garçons dans ce lycée où les orientations proposées n’intéressent qu’elles. D’abord elles assurent que non, qu’elles ont la paix, qu’elles sont plutôt bien. Au pire, oui au pire, les keums, elles peuvent toujours les voir le week-end ou le soir. Elles regrettent qu’on en soit arriver là.

    Soyons réalistes, ce type de situation ne se vit pas de partout. Il y a une spécificité à ce type d’environnement. L’univers de la cité, de certaines cultures machistes y est pour beaucoup. C’est sûr que ce type de débat n’existe pas les lycées du XIV ou du Ve où je vais quelquefois.

    J’ai signé la pétition contre le viol lancée par Osez le féminisme. « La peur doit changer de camp » est-il dit en sous-titre. Mais y’a-t-il vraiment un camp ? Doit-on forcément opposer les deux sexes ? Doit-on répondre à la peur par l’intimidation. Et si on misait tout sur l’éducatif, l’accompagnement, l’écoute de ces mecs qui eux aussi subissent la loi de la performance, du plus fort, des faux-semblants.

    Une psy disait l’autre jour que les ados décompensaient de plus en plus violemment et que notre société anxiogène en était le terreau. « La peur doit changer de camp », moi, ça m’inspire pas trop. Ça pue trop l’escalade.

     


    8 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique