• Premiers frissons et peloteurs de première

    Au lycée, il y a toujours un couple officiel par classe. Autant enviés que les couples VIP sur papier glacé, ils éclaboussent de leur bonheur naissant tous ceux qui font encore l’amour buissonnier. La love story, avec ses premiers frissons et le dépucelage en trophée, c’est l’option que beaucoup d’ados aimeraient présenter au bac. Alors, en seconde, la compétition fait déjà rage entre ceux qui « maîtrisent » et profitent de mon passage pour réviser, ceux qui balbutient leurs sentiments et les recalés, sur liste d’attente, qui rongent leur frein.

    En général, les couples en herbe se tiennent maladroitement les mains sous la table et imposent le silence aux autres. Ils sont dans l’attente de réponses concrètes parce que, là où les autres fantasment devant leur écran, eux, « ils l’ont fait ». Quand j’aborde « la première fois », l’ensemble de la classe les dévisage. On peut
    lire alors de la fierté dans le roulement d’épaules du mâle et, par jeu de miroir, beaucoup de complicité et un peu de vénération dans le regard de la fille. Ils sourient malicieusement, se remémorant, sans doute, ce moment de fièvre, ces gestes maladroits qui les ont fait mûrir de dix ans. Souvent, les sourcils se froncent au sujet des préliminaires et du temps qu’on doit se donner pour mieux se découvrir, se préparer à la rencontre des corps. Alors que les uns pensent caresses, les autres
    miment avec leurs doigts le va-et-vient de la pénétration. Là où les romantiques, jugés trop serviles et qualifiés de « canards », imaginent une douce étreinte en se secouant le bas des reins, les plus pragmatiques invitent à « sucer » pour leur clouer le bec. Quand on définit les préliminaires, la classe fait toujours sécession.

    L’angoisse assombrit les visages des filles dès qu’on s’attarde sur les risques de grossesse ou de contamination par une infection sexuellement transmissible. Les garçons, eux, expriment leur détachement en regardant par la fenêtre. Le mélange des genres, c’était hier et au lit, mais certainement pas ici.

    Et puis, dernièrement, dans une classe de seconde générale, j’ai assisté à un clash. Entre les mots du garçon, la fille a entrevu la possibilité d’une autre, avant ou pendant… Alors, elle a agité l’épouvantail du sida comme une seringue de Penthotal pour obtenir la vérité. Il lui a fait prendre des risques, alors qu’elle lui a tout donné, virginité comprise. J’ai tenté de la calmer en lui signifiant que nous pourrions en reparler ensemble en aparté à la fin de l’animation. Mais elle n’entendait plus, s’imaginant contaminée, souillée par la tromperie, condamnée à mort par son infamie. Ses mains s’étaient déliées et, les nerfs en pelote, elle s’apprêtait à frapper. Lui souriait, niaisement, ne voulant pas perdre la face devant ses potes écroulés. Entre sauver sa réputation et salir
    sa relation, il avait choisi.

    Pour calmer le jeu, j’ai proposé un court-métrage qui met en scène des élèves parlant du sida dans une cour de lycée. Dans le semblant d’obscurité cinématographique, j’entends le couple se déchirer à mi-voix. Elle lui présente l’addition. À la fin des deux heures, je m’attends à jouer les conseillers conjugaux, mais ils quittent finalement la salle main dans la main. On se déchire et se pardonne vite à 15 ans. J’hésite à leur donner un dépliant sur les centres de dépistage, puis je me rétracte, ne voulant pas remettre de l’huile sur le feu.

    Dans un autre registre, dans un CFA hôtellerie, j’ai assisté à une empoignade de futurs serveurs prêts à tous les coups fourrés pour accéder au Saint-Graal : une place à côté des deux représentantes de la gent féminine. Au milieu du mobilier renversé, les vainqueurs ont exhibé le faciès fier du chef de meute qui a pris l’ascendant sur le reste du troupeau. Comme pour mieux signifier leur victoire, les deux coqs ont immédiatement posé leur main, l’un sur l’épaule, l’autre sur la cuisse de leur voisine. Celles-ci n’ont rien dit. Au moment où on se questionnait sur les notions de limites, de désirs, d’interdits, l’un des garçons en a profité pour passer la main entre les cuisses de sa voisine de table. Elle a pouffé, s’est tortillée un peu et, d’un clin d’oeil, l’a invité à aller plus loin. L’autre couple s’affairait aussi. J’ai surpris dans la même seconde le garçon en train de nettoyer l’oreille de sa compagne à grand coup de langue, la main gauche dessinant des courbes autour d’un sein. Les autres ayant du mal à contenir leur excitation, on frisait la partouze…
    Heureusement, l’heure de la pause clopes vint à mon secours. Je réussis à retenir l’un des couples :
    « Ça ne vous gêne pas de vous tripoter en plein cours.
    – C’est rien, ça, Monsieur, ça passe le temps, m’a-t-elle crânement répondu.
    – Tu ne t’es pas posé la question si c’était vraiment le lieu pour le faire ?
    – Mais je les emmerde, moi, les autres. Il me met juste la main sur la cuisse. Lui, je le connais. Je sais qu’il sait s’arrêter.
    – Si je vous demande de garder un peu vos distances après la pause, ça vous convient ?
    – Oui, oui, c’est bon. »
    Ils ne sont jamais revenus. À entendre les allusions des autres, j’ai compris qu’ils étaient passés aux travaux pratiques, en train de s’échanger quelques chlamydiae aux toilettes quand, à notre époque, on en était encore aux figurines Panini. Je n’avais même pas eu le temps de leur filer des capotes…


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