• Après les huîtres et le champagne, j'ai repris, hier, le chemin des banlieues buissonnières. La destination ne fera jamais la tête de gondole chez lastminute.com, car il n'y a ni plages de sable fin, ni artisanat local, ni monuments historiques au Blanc-Mesnil. Le lycée est triste, dans un quartier gris, sous un ciel de plomb. Les élèves sont bien encapuchonnés et j'ai un mal fou à leur faire enlever leurs combinaisons de protection. Après quelques minutes, les visages finissent par quitter leurs nids de fibres et s'exposent, las et lointains ou dédaigneux et hautains, selon leur appartenance tribale, commun des mortels ou rappeurs professionnels. Je les sens nerveux, irrités, prêts à en découdre, comme à la pesée avant la montée sur le ring. Une rumeur de couloir circule et parle d'une grève pour s'opposer à un changement de règlement sur les retards.

    Dans la première classe, ils ont choisit l'option « provocation ». Autrement dit, chaque fois que j'énonce un chiffre ou une affirmation, ils rétorquent que c'est faux, que je n'y connais rien, que je les promène pour passer le temps... En gros, que je suis un bouffon. L'infirmière sourit pour masquer son malaise. Je continue une heure, puis je les envoie en permanence, fatigué de me justifier. Un plateau repas m'attend à la cantine, aussi gris et triste que l'environnement. A table, on parle peu. Les profs comme le personnel administratif semblent attendre l'heure de la sortie pour reprendre vie. La deuxième classe montre plus d'envie à participer, malgré les estomacs qui s'épuisent à digérer le mauvais cordon bleu de midi. Au moment où je fais un petit rappel juridique sur la notion de « consentement éclairé », ce fameux consentement clairement exprimé sans l'influence de produits psycho actifs, les visages se sont durcis et des réflexions très désagréables pour mon oreille encore un peu en vacances ont fusées :

    - Les meufs, elles n'ont pas à boire ou fumer. Ou bien elles assument aussi les conséquences.

    - Ouais, elles veulent. Après elles veulent plus et elles portent plainte. Facile.

    Des points de vue que j'ai déjà relaté dans ce blog et qui sont récurrents dans la bouche de ces ados. Les filles portent toujours plainte pour se faire du blé alors qu'elles étaient consentantes au départ. Mais cette fois, je les sentais plus impliqués, plus revendicatifs, plus tripales dans leurs réactions. A tel point, qu'on a dû changer de sujet pour éviter l'émeute à Alcatraz. Les filles, elles ont ce qu'elles méritent, « un bon coup de bite et ferme ta gueule », restera la conclusion de cette journée à oublier.

    J'avais déjà mon casque sur la tête quand l'infirmière, peu bavarde, m'a lâchée les raisons de leur énervement. Juste avant les vacances, une des ces cinq filles de l'établissement (pour 445 garçons) avait été violée dans un local à poubelle en face du lycée. Neuf élèves ont été arrêtés, dont cinq de la même classe, celle là même que j'ai eu en dernier... Ils avaient tous été très affectés par la garde à vue de leurs camarades mais aucun n'avait montré la moindre empathie pour la victime, cette pute qui l'avait bien cherché, qui avait joui avant de les dénoncer... C'était la dernière couche de crème sur la grasse galette que j'avais déjà dû incurgiter dans la journée. Je frisais l'indigestion. Et dire que j'y retourne le 17 janvier...

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