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MIEUX VAUT ÊTRE WOKE QUE MAL ACCOMPAGNÉ
[C'est déjà du passé puisque c'est la chronique du mois dernier parue dans Causette et en même temps, on est grave dedans]
Question raciale, métamorphoses de l’antiracisme, intersectionnalité, Ma couleur lives Matter que la tienne… On a jamais autant kiffé notre race qu’en ce moment. Si le sujet est devenu le principal os à ronger des candidats à l’élection présidentielle, la question raciale s’invite depuis toujours dans mes séances de prévention. En effet, notre façon d’aborder l’amour et la sexualité, donc la relation à l’autre, est profondément influencée par notre histoire personnelle, notre environnement socio-culturel, donc nos origines. Comme je n’ai jamais craint d’être « grand remplacé », la question de l’identité ne m’a jamais fait flipper.Certes, il m’a fallu intégrer le concept de « white privilege », chose pas aisée quand on a connu des périodes pas très fastes dans sa vie. Mais je n’ai pas attendu Rokhaya Diallo pour capter que le racisme était un principe de réalité. Les jeunes ne sont pas dupes et ne tournent pas autour du pot pour exprimer que, dans certains établissements, les classes aux orientations peu cotées se calculent au nombre « d’arabes et de noirs » qui les composent. Une bonne base pour aborder la discrimination de classe, car au-delà de leurs origines, c'est bien de cela qu'il s'agit aussi.À force d’interroger mon « point de vue situé », autrement dit d’être conscient de la place que j’occupe pour ramener ma science, un matin, je me suis réveillé éveillé, autrement dit woke.Ce qualificatif faisait sens il y a encore quelques mois, après l’assassinat de George Floyd. Et puis les réacs s’en sont emparé en dénonçant une bien-pensance castratrice, faisant des progressistes, les néo-fachos ! Faire des victimes les coupables, un classique du patriarcat récupéré par la mouvance identitaire.En même temps, faut bien reconnaitre que le wokisme c’est relou quand c’est juste un concept de bobos blancs qui ne font que traverser la mixité en vélo-cargo sans jamais s’y arrêter. Par contre dans le travail social, on pédale bien dans la semoule pour expliquer que les liens entre les individus sont mis à mal et que l’universalité, c’est méchamment daté. Il n’en fallait pas plus pour que cette position qui tend à interroger et relativiser ses points de vue soit taxée d’obscurantisme indigéniste ou d’islamogauchisme !Il n’y a plus à tergiverser, la parole des concerné.e.s ne saurait être confisquée. Mais attention, même si je suis un « babtou fragile qui pleure devant Titanic » comme me l’avait signifié deux jeunes filles noires dans une séance où on évoquait les pleurs du mâle, je ne passe pas mes séances de prévention à me fouetter pour expier mes pêchés de mâle blanc cishet. On peut conscientiser sans s’excuser parce qu’après tout, on fait aussi avec son propre transgénérationnel.La baffe culturelle, je l’avais encaissée il y a une trentaine d’années en travaillant sur le sida au sein de la communauté migrante d’Afrique subsaharienne. J’avais beau me draper d’une empathie militante qui me satisfaisait au niveau de l’égo, sans l’aide des ethnopsychiatres et des personnes concernées, j’aurai souvent été à côté de la plaque pour prendre en charge correctement les familles.Je suis issu de cette génération qui a vécu le départ de la fameuse marche pour l'égalité et contre le racisme, surnommé « marche des beurs », à Lyon en 1983. Mais il m’a fallu pas mal d’années pour conscientiser les inégalités. Probablement qu’empreint de mon white privilege, un rien cold wave à l’époque, j’avais aussi minimisé toute la force sarcastique du "Douce France" de Charles Trénet repris par le groupe Carte de Séjour de Rachid Taha. Il revient à ma mémoire qu'on pogotait dessus sur les pentes de la Croix-Rousse sans imaginer alors que c’était déjà un acte intersectionnel.Chaque culture a ses propres représentations de l’autre. Je n’ai jamais oublié cette jeune ivoirienne séropo que j’accompagnais en famille d’accueil, qui m’avait balancé avec un large sourire : « Tu as 28 ans et pas d’enfants. Vous les blancs, vous n’aimez pas la vie. Vous attendez d’être vieux pour en avoir. » Je me rappelle avoir alors jugé les envies de parentalité chez des familles vivant avec le VIH. À tort.Dans les classes, je vis au quotidien la coupe du monde de la vanne visant les pays d’origine, autant d’étendards qu’on sort du placard par quête d’identité plus que par réelle passion aux relents nationalistes. Généralement, c’est la foire aux stéréotypes, avec des arabes inquisiteurs de virginité, des noirs polygames et des chinois à micro pénis. Combien de fois des jeunes racisé·es m’ont assuré que les blancs parlaient de sexe tout le temps et librement, contrairement à ce qu’ils vivent chez eux ! « - Évidemment, ai-je lâché à un groupe qui insistait, j’adore débouler nu et en érection au petit dej et demander à mes enfants devant leur bol de céréales : “alors, on s’est bien branlé cette nuit ?”»En caricaturant à l’extrême, je leur avais démontré toute la bêtise des préjugés et on a pu travailler sur ses représentations de l’autre qui relèvent souvent du pur fantasme !Dans les lycées d’Ile-de-France, je suis confronté à l’orientation à fort déterminisne social avec des gamins issus des quartiers populaires à qui on a ôté toute possibilité de choix.Dans les Yvelines, j’avais rencontré une classe "Accompagnement Soins et Services à la Personne", composée de 28 filles noires. La grande majorité d’elles n’avait pas choisi cette option professionnelle. Elles savaient pertinemment que nombre d'entre elles, iraient rejoindre une main d’œuvre mal considérée et mal payée pour des groupes d’Ehpad qui s’enrichissent sur le dos de leurs patient.es et salarié.es. Avec elles, j'ai abordé les notions d'intersectionnalité, de déterminisme social et on a évoqué la place de l’injonction au care dans l’orientation professionnelle des femmes. C’est totalement raccord avec la thématique « vie affective et sexualité », parce qu’une image de soi altérée, ça engendre de sacrées vulnérabilités dans la relation. Elles ont bien accroché. Comme quoi, ça sert de lire bell hooks et de se conscientiser à d’autres courants de pensée.Alors, à celles et ceux qui seraient tentés de m’interpeller : « Mais mec, c’est quoi ce délire de mainsplainner en mode appropriation culturelle. Tu mérites d’être cancelé », je serais tenté de répondre « viens donc mettre les deux mains dans le wok de la mixité pendant que Zemmour fait le cake à la télé. »Une pensée pour cette lectrice de 79 ans qui a écrit au journal pour me dire qu'elle préférait mes chroniques sans anglicisme. Pour celle-là, je m'en excuse auprès d'elle mais je pouvais difficilement faire autrement.
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