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Le frottis de foetus
Au printemps dernier, par un temps à ne pas mettre un tee-shirt dehors, je me suis laissé guider par mon GPS vers une ZAC du Val-de-Marne et son centre de formation pour apprentis. J’avais rendez-vous avec une classe de BEP en mécanique auto, dans ce type de bahuts où les jeunes sont incollables sur les marques de bécanes et où la qualité d’un moteur se mesure en décibels.
Une forte odeur de vestiaire en pleine sudation hormonale a importuné mon sens olfactif dès mon arrivée. J’ai vite compris que l’ambiance de la classe serait masculine, virile et très cuir.
Une vingtaine de jeunes semblaient faire acte de présence, ni particulièrement motivés pour vivre allongés sous un train arrière, une clé de douze à la main, ni ayant assez l’expérience du bleu de chauffe pour en être totalement dégoûtés. Ils avaient 16 ou 17 ans, et causer sexe dès potron-minet ne semblait pas les gêner… Au contraire, ils se disaient chauds comme des pots.
Parler de lubrifiant avec des apprentis en mécanique, c’est l’assurance d’avoir un auditoire attentif : pas besoin de faire de hautes études d’ingénieur pour toucher sa canette en mécanique des fluides ! La mouille – les sécrétions vaginales, en langage soutenu –, ces futurs spécialistes de la vidange et du contrôle technique, ils la trouvaient dégueulasse, un rien salée pour ceux qui disaient l’avoir goûtée. C’était le genre de groupe où on préférait se faire sucer que lécher, le gland étant forcément plus propre que la schnek.
Si les bagnoles tournent au diesel, au sans-plomb 95 ou 98, les meufs, elles, fonctionnent avec d’autres carburants : la cyprine, les règles et les pertes blanches. Bien souvent, les aventuriers de la vulve se mélangent un peu les crayons quant à la fonctionnalité des liquides féminins. « C’est quand même grave compliqué, les meufs. » Quand je leur ai expliqué la menstruation et la désagrégation de l’endomètre, ils ont réagi comme si je leur résumais la dernière saison de The Walking Dead… Pour les pertes blanches, j’ai fait court en évitant les mots « leucorrhée » ou « glaire d’ovulation », un rien traumatisants.
Bien sûr, je n’ai pas omis de leur rappeler que la plupart d’entre nous naissaient par voie naturelle. J’ai senti de la gêne quand ils ont pensé à leur mère.Il faut le savoir, pour une section « méca auto », les filles n’ont aucune autonomie. Sans conducteur pour les chauffer, elles n’ont aucune chance d’être transportées par leur sexualité. Programmées pour mouiller à l’approche du mâle et péter une durite grâce au sex-appeal des mécanos de la libido, elles en pincent pour la pénétration. La vraie, pas le petit va-et-vient de pédé, comme on dit dans les ateliers. Alors, quand une fille se masturbe, elle ne fait pas dans la dentelle et la caresse. Elle ne carbure pas à l’érotique. Elle se sert de ses doigts pour se pénétrer le plus profondément possible, là où la jouissance est certainement le plus forte. Les zones érogènes au niveau de la vulve étant totalement occultées par les rois du piston en plein mouvement à deux doigts, je me suis dit qu’il était temps de causer « anatomie ».
J’ai demandé un volontaire pour dessiner un sexe féminin au tableau. Du coup, ça frimait moins et ça bayait aux corneilles. Après un « bande de bouffons » jeté à la cantonade, un courageux s’est levé et approché. Il s’est appliqué à dessiner une chatte, comme le lui ont soufflé ses copains d’atelier. Il a hésité. Combien de lèvres ? Deux, trois ou quatre ? La classe s’est divisée, dans l’incapacité de googliser.
Finalement, il a opté pour quatre, rassuré par mon approbation de la tête. Puis, sous sa craie, la vulve s’est enrichie d’un corps. Elle s’est humanisée. D’autant plus que, autant par souci de véracité que par provocation à mon égard, le petit malin nous a ajouté une forêt de poils pubiens, anachroniques pour cette génération antitoison, réactualisant au passage les vieilles gauloiseries sur les Portugaises.
« Peux-tu nous montrer les zones qui peuvent générer du plaisir? On les appelle les zones érogènes. Ce terme vous parle ?
[Silence.]Comment les filles se masturbent ? Tu as oublié d’ailleurs un organe important sur la vulve.
– Ben, quand une fille se masturbe, elle se frotte le foetus. »
Je me retourne vers la classe, me préparant à un tsunami d’invectives… qui ne viendront pas.
« Vous êtes tous d’accord ? Une fille peut se caresser le foetus ? C’est quoi le foetus ?
– Euh… c’est pas un bébé ? – Si, le foetus, c’est le futur bébé, à l’intérieur de l’utérus de la mère…
– Oui, peut-être, mais même s’il y a un bébé dedans, ça n’empêche pas les filles de se frotter aussi l’utérus. C’est vrai, monsieur, y en a que ça gêne pas d’avoir un bébé et de se toucher.
– D’ailleurs, si on nique une femme enceinte, on peut sentir la tête du bébé, non, m’sieur ? »
On était dans la gynéco de comptoir. Chacun avait sa petite idée sur la question, mais personne ne savait vraiment. Alors j’ai placé le clitoris sur le dessin et on a parlé de l’ultime tabou : la masturbation féminine, sans pénétration. Une révélation : une fille pouvait se faire plaisir sans assistance masculine !
Quelques semaines après, j’ai eu, à Maisons-Alfort, dans un autre établissement, la preuve que la méconnaissance de l’onanisme féminin n’était pas l’apanage du mâle dominant. Une meuf m’a en effet lâché très sérieusement : « Quoi ? Une fille peut se masturber ? Mais elle n’a pas de sexe, pourtant…»
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Commentaires
Passionnant, comme d'hab :)