• Fils de MEDEF

    Hier, mon employeur m’a missionné dans le VIIIe arrondissement de Paris, dans un lycée privé sous contrat. Je suis donc devenu un des rares Français à profiter d’une vraie promotion sociale sous forme de délocalisation !
    C’est propre le VIIIe … Et cossu, surtout. Pas un scooter trafiqué, une poubelle à moitié fondue, des mégots de bédos abandonnés… Devant le lycée, accrochées aux barrières, une cinquantaine de trottinettes attendent patiemment la sortie des élèves. La vision est surréaliste. Devant mon regard amusé, un cravaté aux cheveux blancs descendant de son 4x4 version XL, m’apostrophe, en surlignant sa phrase d’un clin d’œil pubeux en villégiature au Club  : « c’est génial, non ? » avec ce petit accent qu’on doit entendre dans le dernier virage en stem, à la fin d’une piste rouge bien négociée, à Megève…

    J’attends l’intercours pour rejoindre la classe dans laquelle, je dois intervenir. Quelques affiches de promo pour le scoutisme côtoient une vierge qui berce l’enfant Jésus, qu’elle a pondu par l’opération du Saint-Esprit-Qui-Devait-Quand-Même-Avoir-Un-Gland. Et puis les élèves arrivent bruyamment. Comme partout.

    Pourtant quelque chose me met mal à l’aise et j’ai du mal à déterminer quoi. Ils sont joyeux, courtois entre eux, polis vis-à-vis de ma personne, ne se bousculent pas… Je viens d’être téléporté dans le meilleur des mondes et plutôt que de me réjouir, j’éprouve comme un malaise. Je ressens une tension, comme un début d’ulcère larvé sous le gras du bide. Puis, d’un coup, le "pourquoi du comment" illumine mon cerveau : tous ces ados sont blancs. De type européen comme on dit aux States.

    En Seine-Saint-Denis, on n’a pas l’habitude de baigner dans une atmosphère monochrome. L’immersion est totale et le choc, brutal. D'un coup, mon cerveau ne dispose plus de ce fameux nuancier des pigmentations de peau, symbole du grand mix international, miroir du vrai monde avec ses vrais gens. La foule de gosses est désespérément blanche. J’ai un peu le tournis. Je n’ai plus l’habitude. On devrait créer des sas de décompression aux portes de Paris pour ceux qui arrivent du nord. Le passage trop rapide d’un département métissé à une zone plane et blanche comme l’Arctique a un effet dévastateur sur l’équilibre psychologique. La pâleur des visages m’agresse la rétine. Brutalement, ma dépendance au mélange se fait invalidante et j’éprouve un manque. Dans la classe, il m’a bien fallu un bon quart d’heure avant de m’habituer au milieu ambiant, de respirer normalement dans cette atmosphère plus aseptisée.

    Dans ce magnifique décor Haussmannien, je m’imagine au cœur des vestiges du passé, au milieu des ruines d’une France hermétique aux autres continents. Je tâte mes poches, persuadé qu’on va me demander de payer mon café en francs. Saurais-je leur parler, moi qui viens de l’étranger, de l’autre côté du périphérique?

    Le sujet, c’était les produits psycho actifs. Dans mes petits papiers, j’ai trouvé plein de questions d’ados altruistes qui voulaient aider leur prochain, un peu trop toxico. Sont sympas les p’tits blancs friqués qui voient du GHB dans tous les verres… Mais c’est difficile d’imaginer les bas-fonds du haut de sa tour de Babel. Je me demande si je vais les croiser cette après-midi entre Répu et Nation, la canette à la main et le bédo aux lèvres, au milieu de tous ces noirs sans-papiers qui viennent du 93.

    Allez, viens, fils de MEDEF, on t’attend…


  • Commentaires

    1
    De passage
    Jeudi 19 Mars 2009 à 12:46
    on peut les kidnapper
    les fils du medef et demander des rançons après, non?
    2
    Jeudi 19 Mars 2009 à 13:23
    Hum,
    ça sent le retour des Brigades Rouges. Mes sympathiques fils de cadres sups ne méritent pas ça. Leurs pères, par contre…
    3
    alf
    Jeudi 19 Mars 2009 à 13:28
    chronique
    franchement: dommage que tu doives (je suppose) conserver un certain anonymat pour continuer à faire ton travail social sereinement, parce que ta chronique régulière de la réalité des ados 'en deça et au-delà' de la ligne de(la place)s Vosges' aurait son intérêt, sa raison et sa place dans le Charlie ou chez Siné...
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    4
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    Jeudi 19 Mars 2009 à 14:26
    Je reconnais pas trop mon XIII ,mais bon :)
    Le mien est assez mixte,des logements sociaux,des foyers pour migrants,une grosse communauté asiatique,pas mal d'hébergements pour sans domiciles,des bobos...Un bon mélange. Dans le Xème,je pourrais comprendre cette forme de repli,je l'ai moi même pratiquée pour mon gamin en le mettant dans une école privée pendant un an afin de le protéger de la violence ambiante.Ca n'a pas été sans bourrage de crâne mais nous étions là pour le débriefing. Enfin bref,je ne crois pas que ce soit le cas dans ce lycée mais dans les écoles privées des quartiers popus il y à pas mal de gens qui cherchent des alternatives au prix de sacrifices et pas que des cathos intégraux:),il suffit de discuter un peu avec les parents à la sortie... En tout cas ce n'est pas un truc que je ferais ici.
    5
    Vendredi 20 Mars 2009 à 08:12
    Alf
    plutôt Siné que Charlie. J'te rappelle que les deux ne sont plus compatibles...
    6
    Vendredi 20 Mars 2009 à 08:15
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    Le XIII, c'est pas le VIII, ça je te l'assure. Là, j'ai touché le haut du panier. Ceci dit, les gamins n'étaient pas désagréables. Par contre, le passage dans la journée, de Noisy Le Sec au VIIIe était violent. Y'a eu du Jet lag. ;)
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