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Doris vaut bien une grève
Ils sont cinq à tenir le crachoir, postillonnant leur éternelles vannes de cités, niveau « vase-bitume ». Impossible de les calmer, le sujet les rendant prolixes. Certains des autres élèves sourient à leurs blagues, d'autres haussent les yeux au ciel. Ils ont démarré fort, par un grand classique des animations, ce que j'ai finit par appeler « la coupe du monde des séropos » :
- Monsieur, y'a beaucoup de malades au Mali ?
- Oui, le Mali est un pays touché par la pandémie. Mais...
Les rires fusent , les doigts désignent. Celui qui ne rigole pas reprend :
- Et au Congo, Monsieur ?
- Oui, le Congo aussi...
Les rires reprennent. Mais cette fois, celui qui ne rigole pas n'est plus le même... Et ainsi de suite, en passant en revue, le pays d'origine de l'un ou l'autre.
Afrique, tu te meurs et tes petits-enfants, français aujourd'hui, se foutent de ta gueule...
Puis, nous avons parlé des relations filles/garçons et comment ils envisageaient leur avenir amoureux. Hétérosexuel, bien sûr, l'avenir. Parce que c'est bien connu, l'homosexuel est aux quartiers, ce que Ness est au Loch, un monstre qui sommeille et qu'on aperçoit les soirs de fog au pays des hommes en jupe.
Leurs femmes seront vierges, fidèles, bien roulées, bonnes cuisinières et surtout devront avoir une bonne paire de "boops" pour satisfaire à la fois leurs fantasmes élevés aux mamelles pornographiques et allaiter la tripotée de morveux issus d'un siège continu de leur utérus. Mais avant la cérémonie nuptiale, elles ne doivent pas sortir seules et encore moins avec le string qui dépasse ou le short trop court. Autrement dit, elles n'ont pas le choix de leur garde-robe et doivent commander en VPC au rayon burka des Galeries Talibans... Pas question d'essayer en cabines, on ne sait jamais, avec les miroirs sans tain.
Ceci dit, je commence à être rodé à ce type de discours, un rien provo dans le conventionnel barbu... Autrement dit, je m'ennuyais presque.
Et puis, il y a eu un éclair : elle s'est présentée sous le prénom de Doris et leur a tout balancé aux Pits de la morale. Que toutes les filles n'avaient pas forcément envie de vivre dans des sacs, qu'elles ne les emmerdaient pas quand ils avaient le caleçon qui sortaient du pantalon porté aux genoux, qu'elle ne serait pas forcément vierge au moment du mariage et qu'elle n'irait pas se faire recoudre un semblant d'hymen, qu'elle travaillerait et que son mec, et ben, elle irait le chercher ailleurs...Ils ont été soufflés les censeurs. D'autant plus que Doris était assise à leurs côtés, qu'elle était jolie et que visiblement, plus d'un en pinçait pour elle. Je les ai senti déstabilisés, refroidis dans leurs ardeurs de jihad domestique... Doris avait lancé les hostilités et d'autres filles suivaient, voire d'autres garçons, plus effacés... Doucement, la classe a basculé dans la révolte. Les timides, les humiliés, les offensés ont pris à leur compte cette parole qu'on leur offrait, leur restituait. Deux heures de liberté pour se dédouaner du joug des dictateurs. Le débat a duré, avec des cris et beaucoup de bruit. J'ai essayé tant bien que mal de réguler avec équité les temps de parole et j'ai surtout laissé faire. Je me suis dit que l'école publique prenait là toute sa vraie dimension, celle de l'éducatif et du débat, celle de l'ouverture et de la liberté de parole, cette dimension laïque et indépendante qu'on se doit de défendre. Pour preuve, nous sommes rarement conviés dans le privé, où les ados, c'est bien connu, n'ont pas de sexualité. Alors, un jour de grève de temps à autre pour la soutenir cette école, c'est si grave que ça ?...
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Commentaires
Quoi ?
le type qui fait la révolution sur ses congés payés!! Bien trop à droite le postier de Neuilly...Ah lilly
une vraie révolutionnaire que voilà... Partie aux amériques sur les traces du Che...ça va t'y?Ah le Lisabuzz
j'ai vraiment de la chance d'être répertorié... J'en suis vraiment fier. Bon, t'as refilé du Jules Verne à tes élèves ?Cher Didurban
tu t'es arrêté de publier si longtemps pour ça ? un texte juste, habilement ponctué, aux dialogues qui dégagent un véritable témoignage dénué de jugement et de babioles de reportages style "envoyé spécial dans la ZEP du coin" ou pire "chez des bourgeois", comme photographie de l'invisiblement en marche, ou preneur de son du trop sourdement muet, et j'en passe. Là je devrais dire un truc comme "arrête toi d'écrire plus souvent alors", mais la logique a des raisons que le coeur de la pomme ignore. Si quelqu'un m'a compris, c'est chouette.Chu
en train de préparer un ptit listing de références à leur refiler... Mais, dis donc, Jules Verne c'est pas écrit au passé simple ?Cher Max
Je n'ai evidemment pas tout compris. mais c'est la plus belle lettre de mon courrier des lecteurs. Je la mettrais en exergue dans le numéro cent collector et double en kiosque prochainement. ceci dit, j'attends avec impatience comme l'ensemble de Bloggland le fameux "bout de prépuce dans l'autobus"non non, je m'y suis pris trop tard
faudra se contenter de "bout de nibard dans l'autocar", (c'est le titre luxembourgeois de "Traversée en autobus et bout de sein")...Z'ont pas
appris le passé simple, le but du cours étant avant tout de leur permettre de parler français, j'ai mis de côté le passé simple... Mais c'est sûr que s'ils veulent lire, va falloir s'y mettre... (Et puis enseigner la conjugaison, c'est d'un chiant !)Môssieu Didurban revient en force!
beau texte,bel espoir pourvu que Doris garde cette liberté de penser.Yoooo Maq kookoo !
Salut, Didu, je m'apprêtais à écrire la même chose que Maquettes. Je pense que je vais transmettre ton texte à de sympathiques étudiants en IUFM avec qui j'ai eu récemment d'assez longues discussions sur la laïcité à l'école et sur le rôle de celle-ci, si tu m'y autorises.Merci Maquettes et Cosmic
Pas de problème pour faire circuler. ça fait partie du pourquoi du comment de ce blog... Bises à vous deux25macMardi 27 Novembre 2007 à 16:23ha merde....
Alors on pourra plus dire à sa femme adorée : "viens ici salope et suce moi !" ? Hein ?... Je trouvais ça mignon moi...Je découvre
par ici. Et j'admire. J'adore. C'est marrant, quand j'étais petite, je voulais devenir assistante sociale. C'est le seul métier qui me bottait. Mes parents m'en ont fortement dissuadée. Avec le recul, je pense que je n'ai pas les épaules assez larges et si j'arrive déjà à surmonter mes propres questionnements et fragilités, ça serait déjà un grand pas. Merci pour ce texte et ton boulot!Ben merci Malaga
et surtout bon courage si tu veux être assistante sociale!!! ce n'est pas avec des Loïc le Meur que tu pourras répondre favorablement aux demandes de tes usagers...;)
Bah en fait, depuis, j'ai changé de voie, et je bosse dans un domaine qui n'a rien à voir ! (et qui est plus proche des domaines de Loic Le Meur, c'est pour ça que j'ai un peu peur ;)) Mais ce côté social reste dans un p'tit coin de ma tête, notamment... J'ai entendu parler d'histoires d'entreprenariat social, d'économie solidaire, toussakoa, à voir ... :) Bonne continuation en tout cas.
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comme histoire...