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De la leçon de choses à la prévention par les pairs
Il fut un temps où les « choses de la vie », enseignées en cours de bio, étaient le point d’orgue de l’année. On dépoussiérait alors les planches des appareils génitaux, dépossédés de toute fonction sexuelle et si abondamment légendés que, de loin, ils ressemblaient à des poupées vaudou. Dans une ambiance de bloc opératoire, nous gloussions en blouses blanches face à une prof dont nous rêvions d’embrasser l’anatomie sur une paillasse de chimie. Le fantasme était inversement proportionnel à la technicité du discours : la verge et la vulve se regardaient en chiens de faïence sur le tableau sans jamais se frôler, voire s’emboîter. On rêvassait devant une démonstration qui manquait de vécu et de cul, attendant de se tripoter le soir venu. Franchement, on s’en branlait de la prostate et des trompes, des ovaires et de l’urètre.
Quelques décennies plus tard, je suis devenu, hasard de la vie et à cause d’une sale pandémie, animateur de prévention « sexualité » en lycée. Le sida, vautour viral, becquetait nos amours, et nous passions le plus clair de notre temps au crématorium du Père-Lachaise à pleurer des destins brûlés. Dans l’urgence, nous privilégions dans nos animations les modes de transmission, causant sodomie et fellation à des gamins qui ne s’étaient pas encore roulé des pelles. On insistait sur la porosité des muqueuses aux virus, les fluides sexuels comme vecteurs de transmission et les tests de dépistage. Bien planqués derrière le jargon scientifique, on évitait soigneusement de parler de sentiments, privilégiant le savoir au ressenti. Nous avons distribué des tonnes de capotes qui, pour la plupart, ont probablement dépassé leurs dates de péremption au fond des sacs Eastpak. À force de mettre des fantômes sous les draps, l’amour se faisait la peur au bas-ventre.
Puis, dans les années 1990, les trithérapies nous ont permis de sortir la tête de l’eau et des séropos. On s’est souvenu qu’il existait d’autres risques que les IST (maladies sexuellement transmissibles), comme la grossesse non désirée. Alors, on s’est remis à parler de contraception, de centre de planification, d’accès à l’IVG. Il a fallu que je rembobine ma vie, que je retourne in utero, vivre le féminin de l’intérieur. Le Chœur des femmes, de Martin Winckler, m’a été d’un grand secours. J’y ai découvert au fil des consultations gynécologiques, décrites avec respect et sensibilité, la complexité des émotions, le vécu des règles, les questionnements sur le désir d’enfant, la libido et le plaisir féminin, la peur d’être enceinte et l’impact de cette posture lointaine et peu concernée qu’adoptent beaucoup d’hommes. Je me suis essayé à l’empathie, moi, dont le corps de mâle ne connaîtrait jamais la douleur des contractions, n’éprouverait jamais la sensation d’une vie qui débute. J’ai compris que pour bien parler de contraception, il ne suffit pas d’énumérer des techniques, sur un ton froid comme un spéculum. Pilules, stérilet, implant : à quoi bon les citer par cœur si on n’est pas foutu de connaître a minima les processus de son corps ! J’ai appris à prendre en compte les inquiétudes des jeunes filles face à des choix dont les garçons se dédouanent trop vite, leur solitude face aux regards appuyés et lubriques scannant un corps qui les déborde, leur douleur face aux cycles de la vie. Je suis entré en féminisme non pour faire genre, mais par obligation, puis par conviction. En offrant plus d’écoute, et surtout un vrai espace de parole aux filles, j’ai entendu leurs difficultés à porter au quotidien ce corps ultra sexualisé dans les pubs, la télé-réalité et les clips, à subir le sexisme et les insultes à répétition. J’ai définitivement arrêté de limiter la sexualité à la prise de risques et j’ai intitulé mes animations « la relation à l’autre ».
Du coup, j’ai ouvert la boîte à paroles. Travailler sur le regard qu’on porte sur son partenaire a logiquement amené les ados à réfléchir sur les limites qu’ils s’imposent ou que la société leur inflige, les désirs qui les submergent. Aujourd’hui, je passe plus de temps sur le consentement et la vulnérabilité de celles/ceux qui subissent les décisions de l’autre que sur les risques de grossesse ou le sida. La pornographie en 4G a tellement influencé les fantasmes des ados que je suis questionné sur la fellation, la sexualité en groupes, le fétichisme, le sadomasochisme, les godes, à un âge où on ose à peine déclarer sa flamme. Aujourd’hui, je fais fi des directives officielles pondues par des soi-disant spécialistes de l’adolescence, qui nous demandent de vendre de la laïcité ou du Pass contraception comme on fourgue des packs de textos gratuits.
L’avenir de la prévention, c’est l’éducation à la santé assurée par les pairs. Formons les jeunes à prescrire les bonnes attitudes à d’autres jeunes, à faire preuve de bienveillance les uns vis-à-vis des autres, à s’échanger les bonnes informations et les lieux ressources. Faisons d’eux des acteurs de leurs vies affectives et sexuelles. Nous avons reçu des leçons de choses, partageons des leçons de vie.
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Commentaires
1JoliratonVendredi 3 Juin 2016 à 09:50Bonjour ! Je lis, fascinée, votre blog depuis hier soir ! Donc d'abord merci ! Je me demandais : connaissez-vous le travail de Jacinthe Mazzocchetti ? C'est une de mes profs, elle est anthropologue et elle a entre autre travailler sur la question de la pornographie chez les ados... Certains de ses articles sont sur CAIRN ou sur academia...C'est un beau travail, sans jugement... C'est de la belle anthropologie en fait... Merci pour ce blog et bonne journée !Répondre
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