• Comme un gland

    C'est les vacances scolaires et les lycées se sont vidés. Les CPE et les profs prennent un repos bien mérité. En ce qui me concerne, je suis donc au chômage technique. Mais j'ai gardé quelques tranches de vie en stock pour les périodes creuses.

    <o:p> </o:p>... La classe se vide à grand bruit de chaises qu'on traîne et de tables violentées. On devrait créer une association de défense du mobilier scolaire (ADMS). C'est vrai, aucun candidat n'en parle du mobilier scolaire sauvagement traité, tailladé dans son vernis, souillé au marqueur indélébile par des insultes débiles, tagué en rainures, crotté de déjections nasales... Et aucun CRS pour le protéger le mobilier scolaire et gazer ces salauds de lycéens qui le maltraitent. Enfin, bon, ils s'en vont tous, en toute impunité, un dernier coup de pied vachard dans la table qui se tait. Tous, sauf une fille, que j'avais à peine remarqué pendant l'intervention, appartenant à cette majorité silencieuse qui sourit des blagues des bouffons de service ou qui s'en dédouane par un haussement d'épaules. Elle semble empruntée, vérifie par-dessus son épaule qu'aucun élève n'est revenu.
    - « Monsieur, vous avez parlé des violences physiques mais aussi psychologiques. Comment  peuvent-elles se traduirent ? »
    - « L'intimidation, la contrainte, la jalousie trop importante, l'isolement... tout ce que peut mettre en place, consciemment ou inconsciemment, le partenaire pour exercer un emprise sur l'autre. »
    - « Mon copain ne veut plus que je vois mes amis. Surtout mon meilleur copain, mon ami d'enfance. Il est très jaloux. Il ne veut pas que je sorte sans lui. Je ne peux pas en parler avec mes copines car elles le trouve tellement sympa, qu'elles m'envient et ne comprennent pas que je me plaigne. »
    Séduire les copines et se présenter en martyr plus qu'en bourreau, c'est le modus operandi de tous les hommes violents. Certes, le type n'a que 18 ans mais visiblement, il maîtrise déjà la technique.
    - « Il a déjà été violent avec toi. »
    - « Non... Heu, une fois, il m'a poussé contre les portes de l'ascenseur. Le jour où je lui ai dit que je n'étais plus vierge. Il m'a accusé de lui avoir menti au début de notre relation. Moi, je n'avais rien dit. »
    - « Tu l'aimes ce garçon ? »
    Elle me dit qu'elle n'est plus très sûre. Qu'elle a surtout peur de le provoquer, de lui dire. Elle craint sa réaction.
    Je lui répète qu'elle n'a que 17 ans. Qu'on ne construit pas une relation sur la peur. Qu'elle doit lui parler. Essayer. J'ai un peu la sensation d'être un de ces généraux de cavalerie qui envoyait ses hussards à la mort tout en sirotant une fine agrémentée d'un cigare. J'anticipe un peu le vent du boulet qui risque de la couper en deux.

    Doucement, son visage se ferme. Ses épaules s'affaissent et des sanglots la secouent. Elle pleure. De grosses larmes de tristesse mais aussi de peur. J'hésite à la prendre dans mes bras car d'autres élèves scrutent de loin notre discussion et je crains les quolibets et les sous-entendus. Je lui pose la main sur l'épaule et lui propose de venir à l'infirmerie. Elle se reprend, respire un grand coup, refuse, prend congé, le tout en deux mots et quelques secondes. Je suis mal à l'aise. Je sens bien qu'elle ne dira rien, qu'elle craint pour son intégrité physique, qu'elle va subir la relation. Je ne peux rien y faire. Pour éviter d'être submergé car j'embraye sur une autre classe, je me durci. Comme un gland.


  • Commentaires

    1
    Mercredi 11 Avril 2007 à 15:10
    Ouai...
    le problème au sortir de ces relations là, c'est que l'on n'est jamais indemne, et je ne parle pas de sentiments. Si l'équilibre dans une relation n'est que théorique, il y a des limites qu'il ne faut pas dépasser, car elles mènent à des actes irreversibles.
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    2
    Mercredi 11 Avril 2007 à 15:17
    Effectivement
    les dégâts risquent d'être important. On ne devrait pas être sérieux quand on a dix-sept ans, qu'il disait le poète et pourtant...
    3
    sab
    Mercredi 11 Avril 2007 à 17:54
    vive l'ADMS
    libérez les tables et les chaises !
    4
    freddy le Psy
    Mercredi 11 Avril 2007 à 22:52
    Durcissement
    Salut Did, Bon, tu reconnais te durcir, mais tant que tu conserves ton humour, tu auras toute ma sympathie. Frustrant, ces métiers ; chiante, cette forme de distance socialement correcte… Tu bosses pas en lien avec des psys ? Et toi, bénéficies-tu d'une forme de supervision ?
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