• Addict à la Prev’, dans mon salon, je m’énerve.

    Addict à la Prev’, dans mon salon, je m’énerve.

     
    Je suis comme les footeux, ma saison est terminée. Même notre finale de ligue des champions à nous, le point d’orgue de notre saison, Solidays, est annulée. Pour garder la forme dans l’adversité, j’ai décidé de continuer à faire de la prévention, en huit clos, auprès du seul public à ma disposition, ma famille.
     
    Confinement oblige, ma zone d’action est passée de 12 012 km2 (superficie de l’Ile-de-France) à 70 m2. Exit le regard anxieux sur Sytadin au petit matin avant de rejoindre Trappes ou Melun ! Mais un embouteillage pouvant en cacher un autre, j’ai dû paramétrer mon GPS prostatique sur les heures creuses de notre périph intérieur en direction de la Porte des Toilettes parce qu’à cinq, il faut bien viser pour éviter de se tortiller. Je fais des économies d’essence mais sur ma note de frais, dois-je indiquer l’énergie dépensée pour aller du lit à l’ordinateur, soit à 4,50 mètres sur Mappy ? Le plus difficile à vivre, c’est l’effondrement significatif de mon public. Il faut être lucide, je n’ai pas le talent de M pour jouer du ukulélé dans ma cuisine. Du coup, là où je pouvais rencontrer jusqu’à une centaine de jeunes par jour, je n’en ai plus que trois sous la main. Les miens.
     
    Ce chiffre risque de s’inscrire dans la durée vu que ça ne fait pas neuf mois qu’on est collé-serré. Soyons sincère, mes histoires de Dr Kpote, ils en ont soupé, mes gosses. Au début, je me suis dit que j’allais leur foutre la paix mais c’est plus fort que moi, faut que je cause stéréotypes, clito, consentement, identité de genre et masculinité toxique. Mon territoire d’intervention s’étant rétréci, j’ai basculé dans la lutte de salon.
    « Et si ce virus qui tue majoritairement les hommes dans la force de l’âge avec un bon embonpoint sonnait le glas d’une époque et invitait les femmes plus résistantes à prendre le relais ? » ai-je déclaré. Mes fils m’ont détaillé des pieds à l’estomac et m’ont lâché que je devrais moins la ramener avec mon profil de condamné. Je me suis vengé en les traitant d’esclaves du capital, asservis à la PS4 et aux séries, tout en tweetant sur mon Iphone. Tous les soirs à 20H, j’ai commencé à radoter qu’« au lieu d’applaudir, on ferait mieux de descendre dans la rue et qu’on n’était pas assez nombreux aux manifs et gnagnagna… » Au lieu de faire de l’éducatif, je donnais dans le militantisme contre-productif. Mon cœur de métier frisait l’arrêt.
     
    À n’importe quelle heure de la journée, je cherche un sujet de prev’ pour vérifier que je ne me suis pas rouillé. Je maraude dans l’appart un info/intox à la main sur les IST en interpellant le premier qui me tombe sous la main, je cherche un coin d’intimité pour m’auto-explorer au cas où le COVID aurait viré génital, je surveille ma propension à l’addiction en réalisant un AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test) dès que je décapsule une bière et je n’ai de cesse d’interroger notre consentement à être confiné.es. J’ai même pensé à tester la fiabilité des centaines de capotes que j’ai en stock mais cela nous obligeait à éteindre nos caméras pendant les réunions Zoom avec le boulot. Au niveau du frigo, j’ai épuisé ma batterie de gestes barrières pour empêcher le pillage, qui maintenant se fait de nuit. Du coup, ça mastique de concert avec le hamster.
     
    Dès le réveil, j’ouvre une séance « bien être » face à la profusion des écrans dans l’appartement. En lycées, j’invitais les jeunes à faire émerger d’autres activités pour diminuer leur temps d’exposition, mais là, enfermés, c’est plus compliqué. Prohiber les écrans c’est voir des mecs en claquettes-chaussettes tourner en rond toute la journée, en creusant le sillon de leur ennui dans les lames du plancher. Cette vision m’a à peine effleurée que j’ai réactivé le pack « famille » de Netflix.
     
    Avant, j’allais dans les écoles et maintenant c’est l’école qui envahit mon ordi. Mais Blanquer a beau prendre son air crâne, on ne s’improvise pas prof en deux jours. Le livre de Camus à résumer s’est rapidement fait débordé par « Les Marseillais » sur le smartphone planqué au milieu des cahiers. En même temps, obliger des ados confinés à lire La Peste, c’est comme apporter une chicha à son pote en réa, c’est limite de l’euthanasie.
     
    Les psys n’arrêtent pas de nous conseiller de profiter de ce merdier pour recréer du lien. Alors, en famille, on s’est maté la série « Validé » sur Canal+. Avec des jeunes et du rap, on venait sur mon terrain et forcément, j’ai voulu faire « l’ancien ». J’ai éructé à chaque « ta mère la pute », traquant systématiquement sexisme et putophobie. Mes fils, eux, s’en battaient les couilles, car « vas-y le rap, c’est pas du Jean-Michel La Fontaine ». Ils m’ont rappelé que c’était illégal de bosser quand on était au chômage, tout en réclamant le respect de la distanciation sociale. En gros, que j’arrête de postillonner devant la télé. Mais je suis tenace et pendant huit épisodes, je leur ai mis la fièvre, pendant des heures… à tel point qu’ils ont appelé le 15, qui les a gentiment expédié, parce que rabâcher n’était pas un facteur de comorbidité. Je me suis demandé alors si le confinement ne commençait pas à me taper sur le ciboulot. Il me fallait à tout prix un groupe pour débattre sinon je risquai la décompensation. Quand j’ai évoqué l’utilisation de lubrifiant en remplacement du gel hydro-alcoolique pour faire la queue chez les commerçants, j’ai senti que mon état psychique inquiétait.
     
    Un soir, après les chiffres du loto pandémique donnés en direct par le nouveau présentateur de la FDJ, Jérome Salomon, on a joué à Sexploration*. On a parlé cul en famille. Le plus grand était gêné, la petite a pleuré parce qu’elle ne comprenait pas tout et celui du milieu, glandeur invétéré, a sérieusement tiré son épingle du jeu. Il avait révisé des nuits entières devant la saison 2 de Sex Education. À la fin de la partie, histoire d’évaluer ma mission et obtenir une reconduction de mes subventions « prev’ à la maison » par l’ARS (Agence Régionale de Santé), j’ai invité ma famille à noter ma prestation, réalité du travail social à l’ère de sa marchandisation et de la rentabilité immédiate. Une sorte de « Alors, heureux.se ? » que les statisticiens du social et de la santé nous ont demandé d’appliquer en conclusion des débats, probablement en référence à leur vision nombriliste de leurs propres ébats. Mes enfants m’ont assuré avoir kiffé le jeu et j’ai pu enfin souffler comme un hydroxychloroquiné marseillais.
     
    Avant de se coucher, mes fils me serinaient, pour la énième fois, sur la faiblesse du débit internet. Je leur ai fait croire que, la nuit auparavant, j’avais rêvé que le SAMU m’embarquait pour insuffisance respiratoire. Les fruits de mes entrailles me parlaient alors au travers de mon masque de plongée à la façon de ces mecs qui postillonnent devant l’hygiaphone pour réclamer un recommandé : « Papa, la wifi, elle déconne ! Fais quel que chose avant de partir ! » Avec ce petit sourire en coin qui lui va si bien, l’aîné m’a répondu : « C’est curieux, j’ai fait le même rêve et juste avant de mourir, tu me chuchotais à l’oreille « Masculinité toxique ! Masculinité toxique ». Je les soupçonne d’être pressés de me renvoyer au front.
     
     

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