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Very bad trip sur Essonne
Déambuler à huit heures du matin dans les rues d’une cité dortoir de l’Essonne, avec ses maisons témoins bien rangées, relève de la Near Death Experience. Période hivernale oblige, il fait encore nuit à l’ouverture des lycées et je partage le blues des ados emmitouflés dans leurs parkas, rejoignant, dans les premiers frimas, ce qui ressemble plus à un pénitencier qu’à un bahut. Cerise sur le space cake, les gendarmes locaux organisent une fouille à la descente des bus, sous commission rogatoire, d’après l’un d’eux. Il ne manque plus que le rythme cardiaque amplifié pour pasticher Midnight Express…
Mauvaise coïncidence, les drogues étant le sujet de mes animations, j’ai dû me justifier toute la journée, les jeunes m’ayant identifié comme baqueux à la recherche d’éventuelles balances. Pourtant, la répression, ce n’est pas ma came. Surtout quand elle est stéréotypée comme me l’ont signalé les élèves de la première seconde rencontrée. Seuls l’Arabe et le noir de la classe avaient été palpés, alors que les gros fumeurs étaient des céfrans bien blancs. Forcément, on a disserté sur les stéréotypes qui associent bêtement les jeunes de cités avec la vente et la consommation de cannabis, sur l’obstination des keufs à farfouiller dans l’illégal alors que des produits comme l’alcool ont pignon sur rue. Je leur ai rappelé quand même au passage que la vente d’alcool aux mineurs était interdite, ce qui les a bien fait marrer tant la loi semble peu appliquée.
Discourir sur les drogues dans un cadre institutionnel, ce n’est pas simple. Même si j’insiste sur le caractère confidentiel de mon intervention, les jeunes se méfient des oreilles qui traînent. Mais, en axant sur le festif et ses excès, on réveille vite le vécu du dernier week-end à la manière d’un relargage de THC. La classe se scinde : il y a ceux qui ont exploré les limites du conscient et les autres qui regardaient Koh Lanta avec les darons. Un élève signale que c’est dans le cadre festif que le cannabis et l’alcool se banalisent, les conséquences étant minimisés par l’ambiance, le partage et les bonnes barres qu’on se tire entre potes.
Ils racontent le dernier anniversaire où les parents (ben voyons) avaient limité la conso à trois bouteilles de whisky. Mais on n’est pas sérieux quand on a quinze ans, et une fois l’autorisation entérinée, la mise de départ avait triplé, histoire de « se mettre bien ». Après tout, comme le résume si bien Raoul dans les Tontons Flingueurs : on n'est quand même pas venus pour beurrer les sandwichs.
On a félicité les abstinents d’un soir en convenant que résister aux pressions du groupe, ce n’était pas si simple. Entre mecs, il n’est pas rare qu’on se traite de pédés ou de castrat si on ne fait pas comme les autres : c’est une vraie bolosserie, comme le glissera l’un d’eux. Un piège à cons en quelque sorte. On a fait un point sur les risques encourus dans l’abus : coma éthylique, étouffement par les vomissements, accidents de la circulation… Mais c’est malheureusement toujours la peur de se faire engueuler qui prime sur la survie du pote en bad.
Comme à chaque fois, le GHB s’est invité dans le débat. En évoquant uniquement son utilisation criminelle (tentatives de soumission chimique), les médias se bâfrent de viols en boite pour mieux nous vomir du fait-divers. Du coup, les ados conjecturent sur la présence ou pas de cette molécule dans leurs verres, même s’il s’agit d’un produit à très faible prévalence à leur âge. On en oublie que la véritable drogue du violeur, c’est l’alcool. Après plusieurs vodkas, on peut ressentir une envie forte de passage à l’acte et être débordé par ses émotions désinhibées. Le cocktail au mauvais goût d’agression sexuelle, c’est la fille qui strip et le mec qui trip. J’évoque « le consentement éclairé » tout en ironisant sur le fait que cela n’a rien à voir avec le nombre de lampes de chevet autour du lit, histoire de détendre l’atmosphère. En général, le silence qui suit est évocateur : à deux grammes, l’autre devient plus un objet sexuel, une cible potentielle que l’icône de la love story à construire. On bégaye plus facilement du pipeau qu’on sort les violons.
- Monsieur, si la fille porte plainte et que nous aussi, on était bourré ?
- Le fait d’être soi-même sous l’emprise d’un produit n’excuse rien. Monsieur le juge, j’ai braqué la banque mais j’avais bu, ça ne marche pas alors pourquoi ça excuserait un viol ?! Le consentement éclairé s’adresse surtout aux vautours qui bavent sur leur proie titubante.
- Ouais mais si la meuf bourrée, elle chauffe grave…
- Rien ne vous empêche de la raccompagner en lui expliquant qu’elle n’est pas en état. Quitte à lui soutirer son 06 et la rappeler le lendemain !
Chez l’ado, la consommation immédiate étant un précepte de survie, ma proposition de repousser au lendemain le coup programmé ne trouve généralement que peu d’écho favorable.
Dans cette société où les bars vendent du Before et du Happy Hour à tout va, où les alcooliers parrainent les fêtes étudiantes et où l’initiation à l’alcool se passe en famille, nous nous devons de repenser la prévention et ses outils. Vu que les adultes font plus l’apéro que leur boulot, le regard bienveillant des pairs, la sensibilisation à l’empathie au sein de la bande peuvent en faire partie. Ce que je leur ai dit, histoire de se quitter sur une note d’espoir.
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