« Monsieur, franchement, on en a marre du féminisme. La prof de français nous a fait l’année dessus ! À l’oral ? Le féminisme ! À l’écrit ? Le féminisme ! Limite elle nous suivait à la cantine pour nous faire bouffer du féminisme ! Alors si on peut parler d’autre chose, allez-y !
– On peut causer sida, herpès ou blenno, si ça peut te détendre ! » lui ai-je répondu. Et son visage s’est illuminé. La chtouille plutôt que le féminisme, la pustule plutôt que l’ablation, le mec avait bel et bien pris le parti de sauver une partie de ses parties !
Ce ras-le-bol exprimé par un lycéen de l’Essonne révèle un sentiment qui croît dans la gent masculine, toutes générations confondues. La saturation des hommes cisgenres devant la déferlante de comptes Instagram, chaînes YouTube, livres et prises de parole féministes est bien réelle. Certes, on peut ironiser sur les fils d’actu des fâcheux avec des #Ouin-ouin ou des #MaleTears, choisir de ghoster Pierre, Paul et Jacques en « sortant de l’hétérosexualité » comme Ovidie ou Chloé Delaume, mais mon job m’invite plutôt à identifier les ratés et à améliorer la transmission des messages. Après l’empathie suscitée par #MeToo, les mecs cis auraient donc atteint leur plafond de verre dans les engagements égalitaires. Du coup, comment remotiver les bonnes volontés pour passer à l’étage supérieur de la déconstruction ?
« Monsieur, les féministes sont souvent des extrémistes ! » a affirmé un jeune, faisant référence à la vidéo de Marie s’infiltre dans la marche #NousToutes, entourée d’hommes enchaînés portant des colliers de chien.
Forcément, il y a eu un peu de surenchère : « A Paris, j’ai vu une manif de féministes extrémistes qui brulaient des voitures de sports, genre Porche etc… » Pour lui, ces femmes montraient un vrai signe de jalousie vis à vis des hommes qui gagnent plus qu'elles et en profitent pour se faire mécaniquement plaisir ! Comme je ne me souvenais pas d’une telle manifestation, je me suis demandé s’il ne confondait pas Nous Toutes et les Gilets Jaunes. Une sorte de daltonien masculin qui verrait du mauve à la place du jaune…
Une fille lui a répondu qu’il y avait des extrémistes dans tous les mouvements. « Les vegans qui attaquent des boucheries, des musulmans extrémistes qui font des attentats… Faut pas généraliser un mouvement à quelques actions violentes ».
« Les féministes veulent l’égalité, mais elles passent leur temps à dire que les hommes sont des ordures ! » a repris un autre, profitant de l’ouverture du guichet réclamations. Pas simple d’expliquer à des mecs de 15 ans que le fameux #Allmenaretrash ne les concerne pas directement, mais cible les hommes en tant que groupe social afin de les inviter à s’interroger. J’ai tellement ramé sur le sujet que j’ai fini l’année scolaire bâti comme Schwarzy.
Depuis quelque temps, un doute m’étreint quant à la communication de notre positionnement de mecs féministes, alliés, soutiens, camarades de lutte… Rien que sur la dénomination employée pour se définir, sachez qu’on est attendu comme le Polanski à la frontière suisse. On peut se branler la nouille pendant des heures sans trouver le terme qui passe crème. Mais qu’importe l’appellation pourvu qu’on ait l’envie de révolutionner.
En tant que mec cis, hétéro, il faut accepter de militer tout en se faisant sniper sur ses privilèges. Pour s’y préparer, on pourrait éditer une sorte de Call of Duty, Modern Warfem pour apprentis féministes avec pour mission de déconstruire un max de privilèges sous les feux croisés d’une escouade commandée par Despentes et Solanas en duo modélisé. Et, qui sait, l’engagement à la sauce ludique pourrait en convertir plus d’un sur Twitch ou sur Discord !
Force est de constater que les garçons cis qui souhaiteraient s’engager dans les luttes antisexistes manquent cruellement de modèles, là où les filles et les minorités de genre ont pléthore de personnalités talentueuses, créatrices de contenus, donc inspirantes ! On les sent bien tendus du slip, les mecs luttant pour leur AOC féministe quand ils prennent la parole, craignant le rejet de leurs pairs, mais aussi la critique des féministes jugeant problématiques leurs prises de position. Du coup, ils marchent sur leurs œufs pour causer virilité, ont un mal fou à conjuguer décontraction et masculinité pour sensibiliser les plus rétifs. Laurent Sciamma est une bonne tête d’affiche, mais ce sont majoritairement des femmes qui vont voir le Bonhomme sur scène.
Dans le premier numéro de La Déferlante, Martin Page, éditeur engagé, questionne notre capacité à être vraiment féministes, écrivant : « Nous serons toujours des alliés décevants. » Même si on maîtrise les mécanismes de pensée qui amènent à ce constat, ce n’est pas très vendeur pour les non-initiés ! Dans son Petit Guide du « disempowerment » pour hommes proféministes, Francis Dupuis-Déri donnait déjà, en 2014, des pistes pour se positionner au bon endroit, mais son texte (disponible en PDF) mériterait une adaptation aux nouveaux codes relationnels. Par exemple, le type qui collerait au concept de boys watch (veille masculine), soit surveiller le comportement des autres hommes, pourrait aisément passer pour la balance de service et y laisser sa peau.
Jablonka, autre mâle féministe, se présente ainsi dans une interview donnée à Causette : « Je n’aime pas la culture virile, je suis loin d’être costaud, je suis même fragile, tant physiquement que psychologiquement, et je suis un dragueur nul. En ce sens, je corresponds à un modèle de masculinité ratée. » En présentant l’homme féministe comme fragile, nul ou raté, on ne devient pas un prophète de l’égalité dans les lycées, face à des ados à l’estime de soi souvent précaire. En même temps, il faut être conscient que l’essayiste, heureux père de trois filles, n’a pas eu à se tartiner le poids de la transmission entre couilles, avec tous les conflits de loyauté qui vont avec !
Après avoir exposé son engagement féministe et sa sensibilité dans un TEDx à La Rochelle, le journaliste Thomas Messias est accusé d’« abuser du tofu » par ses détracteurs. Sa posture d’« homme soja » (soit un mec qui aurait perdu sa virilité à cause d’une nourriture « trop féminisée ») y est moquée. Les comptes Insta « Pénis de table » ou « Les garçons parlent », eux, ne sont pas suivis par les ados. Celui de Guillaume Froun, auteur du compte Instagram Tu bandes, propose de nous « aider à nous connecter à notre cœur », mais à condition de le faire torse nu, avec des abdos et en mode BG. Vérité ou téléréalité ?
Pour l’instant, le féminisme au masculin tel que nous l’incarnons ne vaut pas tripette, parce qu’il se focalise plus sur l’être que sur le faire. Or, toute lutte réclame des actes !
Le problème n’est pas la virilité, mais comment elle s’inscrit dans nos relations aux autres ! « Il y a la virilité et il y a l’infection virile, avec ses millénaires de possession, de vanité et de peur de perdre », écrivait Romain Gary *. Comment limiter la propagation de cette « infection virile » de pères en fils en y associant les concernés ? Arrêtons de tergiverser et traitons-la comme une banale IST, en dépistant massivement la violence patriarcale, en soignant au KingKongTheoryl® les chancres misogynes tenaces et en vaccinant dès la maternelle au Testocalm®. On pourrait même créer un « passe féministe », avec un « queer code » attestant de bonnes dispositions vis-à-vis de la non-binarité, et en terminer avec cette foutue épidémie de virilité toxique qui tue depuis la nuit d’Adam. En espérant que les boys clubs n’aillent pas battre le pavé en arborant des triangles roses et en scandant des slogans anti« féminazies »…
* Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable, de Romain Gary.