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Music saved my life mais pas mon couple
Chaque été, à l’instar des groupes de rock, les animateurs de prévention migrent vers les festivals pour y rencontrer leur public : le jeune en mode festif. Sur des stands d’information ou des parcours de santé, le Dr Kpote continue de travailler sur la relation et les risques liés à la sexualité. Retour sur le début de l’été au cœur du village associatif de Solidays.
Si les turfistes de Chantilly sont familiarisés avec les extravagants chapeaux du très sélect Prix de Diane, ceux de Longchamp ont vu débarqué, le dernier week-end de juin, une horde de jeunes plus prompts à se couvrir le gland que le caillou. Véritable Woodstock de la capote, Solidays y fêtait, en musique, ses quinze ans de lutte contre le sida.
Dès l’ouverture des portes, les festivaliers se sont rués vers les grues du saut à l’élastique pour une dose gratuite d’adrénaline, before bien plus naturel qu’un trait de cocaïne. Et puis quoi de mieux que de se jeter dans le vide pour éprouver un nouvel élan cardiaque pour sa moitié, harnachée à ses côtés !
Les amateurs de coït ascensionnel, je les attendais de pied ferme sur le stand de prévention juste en face, pour les ramener à la dure loi de la gravité autour d’un jeu interactif sur l’attraction interpersonnelle et ses critères de sélection. Wikipédia la définissant comme une « force qui rapproche deux masses », j’aurai dû prévoir de l’arnica pour les bosses.
Les participants avaient le choix entre différents critères (argent, âge, personnalité, physique, sexe du partenaire, etc.) à positionner sur un support magnétique avec une échelle allant de « aucune importance » à « très important ».
Mon plat thaï à peine digéré, j’ai inauguré l’atelier avec un groupe de cinq copains venus du Sud-Ouest. Après avoir divagué sur l’âge de la cougar idéale, fixé à quarante printemps, ils sont passés au « sexe du partenaire », classé en « très important » pour quatre d’entre eux et « peu important » pour le dernier.
« T’es raide ou quoi ? T’es pas pédé !?
– Peut-être que si… »
Le ton ne sentait pas la vanne de festival. Avec une sortie du placard d’entrée de jeu, j’ai bien failli régurgiter le sauté de bœuf. Les potes de camping, eux, découvraient que leur frère de tente était à voile et à vapeur et ils serraient les fesses.
« Hé, les gars, je déconne ! Bien sûr que le sexe de l’autre est important », dit-il tout en déplaçant la plaque magnétique sur le curseur, s’abstenant de spécifier s’il parlait de filles ou de garçons.
Sentant le malaise grandir, j’ai voulu lancer une réflexion sur l’exploration des sentiments et des attirances. Ils ont choisi de se jeter une mousse, acte suffisamment viril pour « exorciser ». La nuit suivante, le choix des places dans le bivouac allait se compliquer…
Juste après eux se pointe un jeune couple, pour lequel le critère essentiel était la personnalité de l’autre. D’ailleurs, dans leur look et leur manière de s’exprimer, ils n’en manquaient pas. Le garçon a soulevé le carton « loisirs et activités », l’a agité devant les yeux de sa compagne et lui a rappelé sa sale manie d’embrasser sur la bouche ses copines dans les soirées. En fait, il ne supportait plus cette extravagance qui lui avait tant plu au début, car sa fierté de mâle en prenait un coup. Ce qui épice la rencontre finit, à la longue, par faire tousser le couple établi.
« Mais toi, tu fais bien semblant d’enculer tes potes quand tu es raide, lui a-t-elle crânement répondu. Mimer la sodomie, bourré, faisait donc partie de ses « loisirs et activités ».
– Rien à voir. C’est pour déconner. »
Elle trouvait que les marques d’affection entre filles (se toucher les cheveux, s’embrasser…) sont trop vite sexualisées par les mecs excités. Ensemble, on s’est dit que la société leur permettait plus aisément de partager leur intimité émotionnelle, voire physique. Les garçons, eux, craignent le regard des autres. Du coup, ils expriment leur attachement plus maladroitement et souvent avec trois grammes dans le sang. Je leur ai conseillé de moins picoler pendant leurs loisirs et activités.
Les deux candidates suivantes m’ont fait comprendre qu’elles partageaient leur vie et leur lit. Celle qui semblait la plus âgée a exprimé que le « sexe du partenaire » était très important. Sa copine, sans hésiter, a placé le curseur à l’opposé. L’atelier virait au jeu de la vérité.
« Tu pourrais te faire un mec ? [Sèchement.]
– Je ne l’exclus pas ! »
Ça verbalisait à tout va. J’ai essayé de rebondir sur les fantasmes qui n’entraînent pas forcément un passage à l’acte, mais le mal était fait, la queue de Satan s’étant immiscée dans le couple.
Et puis, en bouquet final, un mec a placé le mot « physique » sur « peu important », croyant faire plaisir à sa copine.
« Tu déconnes, dès que j’ai un kilo en trop, tu me balances des reproches. »
Là, je me suis dit que les conseillers conjugaux ne risquaient pas de faire la queue à Pôle Emploi. Et après un débat sur les pressions autour du corps, elle a osé le féminisme.
« Quand notre fille est malade, c’est toujours moi que l’école appelle. Et c’est encore moi qui vais la chercher. »
Lui, gêné, anticipant le torchon brûlé, a bafouillé que son boulot ne lui permettait pas de partir tôt. Elle a rétorqué que pour elle, c’était la même chose, mais qu’il s’en foutait. Il s’est engagé à faire des efforts. Ce stupide festival militant et son village associatif subversif avaient eu raison de sa liberté.
Véritable moment de grâce, un couple, par la suite, m’a assuré n’avoir jamais été aussi amoureux depuis que les deux partenaires avaient fait un test de dépistage du VIH, vécu comme un vrai engagement pour l’avenir. Après le « mariage pour tous » et la « manif pour tous », on devrait lancer le « dépistage pour tous ». Juste pour la paix des ménages…
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