• Le couteau suisse du postpubère

    « Je suis venu avec ma bite et mon couteau. » Cette expression qui fleure bon la bidasserie et le garde-à-vous pénien, synthétisant une forte aptitude à se débrouiller avec les moyens du bord, est extrêmement redondante. En effet, à force d’échanger avec les mecs sur la sexualité, on finit par mesurer combien la bite et le couteau sont similaires dans leur imaginaire. Pour beaucoup d’entre eux, le pénis, c’est un peu le couteau suisse de l’entrejambe, l’outil indispensable pour survivre en période de défloration. Poser ses couilles, et donc tout ce qui va avec, ça vous pose un homme, ça vous plante une personnalité. « Planter » ? Tiens, on se rapproche de l’arme blanche ! D’ailleurs, un jeune en foyer PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) me l’a clairement signifié en essayant de décrire la rupture de l’hymen : « C’est un peu comme un coup de couteau dans le bras, la peau s’écarte et ça saigne. » Le vit multifonction du jeune post-pubère est aussi très utile pour « déboîter » les meufs.
    À ce sujet, une fille en CAP à Vanves (Hauts-de-Seine), blessée à la cheville en jouant au basket, nous a raconté qu’elle s’était forcée à marcher normalement, malgré la douleur, devant la bande de mecs qui tenait les murs pour éviter qu’ils lui balancent le classique « alors, tu t’es fait déboîter le cul » et d’avoir à se justifier. Au plumard, le mec qui déboîte n’y va pas avec le dos de la cuillère, ni dans le verbe ni dans le geste. Quelques semaines plus tard, à Arles (Bouches-du-Rhône), une fille qui me parlait des garçons en boîte, donnera une version plus méridionale de l’acte : « Après la fumette et la buvette, le mec, il te déglingue. » Déboîter, déglinguer… On commence mieux à cerner la dimension « couteau suisse » du pénis qui se met en branle à l’approche de sa proie. Et puis l’outillage se démultiplie à l’envi en fonction de l’acte fantasmé : et vas-y qu’avec son vit on défouraille, décapsule, défonce, ramone, astique à tout-va. Et pour conclure, après une telle débauche d’activité purement mécanique, un garçon de seconde me dira : « Moi, la meuf, je lui mets tellement que je la tue. »
    Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette envie de tout détruire sur son passage avec sa bite, on la doit à la peur de ne pas assurer, de ne pas être à la hauteur. Les mecs en rajoutent dans le vocabulaire guerrier pour se donner le courage d’aller à la lutte coïtale, d’avoir la force d’exposer leur capacité érectile, leur puissance au regard de leur partenaire. Comme un chanteur de baloche concentré sur l’applaudimètre à la fin de son set, l’homo erectus juge sa prestation aux décibels de l’orgasme de sa meuf. Cette peur, elle s’exprime dans le nombre incroyable de questions autour de la taille idéale, de débats sur l’importance du diamètre ou de la longueur, sur les techniques à maîtriser pour aller et venir en winner. Pour faire jouir, il conviendrait d’être au top de la muscu, on fait fi de la tendresse et des caresses. On comprend mieux du coup ce fameux syndrome du vestiaire qui hante tout un chacun, de cette peur de la comparaison d’une virilité qui pendrait entre les cuisses, qui s’afficherait trop molle au regard des pairs. Plus personne, du coup, ne veut prendre de douches collectives et nombreux sont ceux qui rentrent du sport, crasseux et en sueur sous leurs vêtements immaculés, pour se doucher dans l’intimité de leur domicile. Quand on a compris cela, on pourrait presque excuser tant de violences dans les mots du sexe. Sauf que ces paroles excluent l’autre de la relation et font terriblement mal. Quand on « défonce » son ou sa partenaire, on travaille seul avec sa queue. L’amour devient alors un vaste chantier, sur lequel l’ouvrier bien outillé met du cœur à l’ouvrage et ses émotions derrière l’oreille.

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