-
La religion manque de lubrifiant
Décidemment en ce moment, je passe en revue toute l'échelle des possibles en matière de réactions face à un débat ouvert sur la sexualité. Après Lolita, c'est Jeanne d'Arc version musulman ou plutôt un Mahomet à l'hymen peu compliant, que j'ai rencontré. Je suis une nouvelle fois à Saint Denis, face à une classe majoritairement féminine. Il faut dire que dans les lycées généraux, le pourcentage de garçons est en nette diminution, ceux-ci étant plus nombreux à sortir du circuit en fin de collège (il parait que c'est une donnée officielle d'après un proviseur). Une jeune fille s'installe au fond de la classe laissant quelques tables vides entre elle et les autres. Le prof a dû mal à la faire avancer. Elle semble très réticente à l'idée de participer à la séance de prévention. D'ailleurs, immédiatement, elle me tourne le dos et regarde le mur du fond. Il faut reconnaître pour sa défense que nous sommes entrés tout de suite dans le vif du sujet puisqu'un garçon a parlé de « levrette ». Ne voulant pas lui faire endosser le rôle de bouc émissaire en stigmatisant son aversion pour la chose, je décide de laisser faire. Après tout, même de dos, ses oreilles peuvent parfaitement capter ce qui se dit.
Au bout d'une heure d'intervention, et suite à une question sur la pose des préservatifs, je pose sur la table le sexe en bois qui me sert pour la faire la démonstration. Là, elle jette un œil par-dessus son épaule, histoire quand même de visualiser à quoi ressemble un sexe de mec, et fait mine de partir. Le prof l'intercepte et la discussion qui s'engage au fond de la classe semble vive. Finalement, ils sortent tous les deux. Les élèves font quelques réflexions, sous-entendant une éventuelle relation entre les deux. Classique. A la fin des deux heures, une fois n'est pas coutume, une dizaine d'élèves traînent un peu et continuent de me poser des questions sur le sida et les IST. Puis le prof revient avec la fille qui s'est exclue. Celle-ci, à son invitation s'approche : « monsieur, ça ne se fait pas. Vous, les français, vous parlez trop facilement de tout ça. On ne doit pas inciter les jeunes à faire ça. » Je lui explique que si elle vit en France et qu'elle va au lycée en France, c'est qu'elle est aussi française que moi, d'autant plus qu'elle me dit être née dans l'hexagone, de parents tunisiens. En ce qui me concerne, droit du sang, droit du sol, je m'en bats les rouflaquettes. On naît ici, on grandit ici, on vit ici, alors on est d'ici. Je ne vous cache pas que je suis toujours surpris par tous ces jeunes qui n'arrivent pas à se sentir bien dans leur pays, qui parlent des « français » comme si c'était une caste à laquelle il n'appartiendront jamais. Certes, leurs familles, parfois trop enfermées dans leurs traditions, ne l'y aident pas toujours mais le quotidien leur renvoie souvent cette image d' « étrangers », qui relève presque toujours du faciès, en fonction d'une couleur de peau ou d'une manière d'être.
Elle en rajoute une couche : « vous dites qu'on peut faire ça à 15 ans (elle fait référence à l'âge du consentement sexuel), c'est trop jeune. Et puis au lieu de parler du préservatif, il vaudrait mieux parler de fidélité, d'abstinence, de virginité. » J'en déduit qu'en langage coranique « ça » veut dire faire l'amour, le terme choisi ne déclenchant pas vraiment l'hystérie côté libido. Je décide de ne pas tomber dans le panneau, et de lui démontrer (même si mon fort intérieur bouillonne d'envie de lui rappeler les fondamentaux de la laïcité) mon fantastique esprit d'ouverture vis-à-vis des religions, puisque c'est bien de ça qu'il s'agit : « Je n'incite personne à rien. J'ouvre un espace de parole sur un sujet sensible, la sexualité, que vous ne pouvez pas toujours aborder avec vos parents. Sur la virginité, l'abstinence, tu as le droit d'avoir tes idées, de faire tes choix. Si tenté que ce soient vraiment les tiens. Mais tu peux entendre que d'autres n'ont pas le même regard sur la vie et leurs relations et souhaitent avoir une information sur les IST, la contraception... De plus, nous avons aussi beaucoup parlé de la relation à l'autre, de la position de chacun dans le couple, des limites qu'on se doit de poser, de ce qu'il est possible de faire ou ne pas faire... Et puis même si tu restes vierge jusqu'au mariage, tu auras peut-être un jour des relations sexuelles pour avoir des enfants. » C'est pas beau comme esprit d'ouverture, ça ? Comme elle revenait à la charge, en me signifiant que j'étais tout de même l'hérétique de service, les autres élèves sont venus à ma rescousse. Quatre autres jeunes filles l'ont prises à partie : « Mais d'où tu sors toi ? Tu crois que ton mari va te rester fidèle ? Qu'il sera vierge, lui ? On n'est plus au Moyen-âge. Ce n'est pas ta famille et tes parents qui vont vivre ta vie. On n'est pas obligé de tout leur dire... »
Les arguments fusent. Je les regarde avec beaucoup de considération. Les publicitaires post-coupe du monde les décrierais comme cette France Black-blanc-beur qui s'est découverte une unité. Elles font front à la tradition archaïque, leurs familles de « blédard », la loi du quartier... L'accès à l'éducation, le lycée, voilà une solution pour toutes ses filles enfermées dans leur rôle de mère pondeuse par des types, qui sous le couvert d'une religion sexiste vont se poser beaucoup moins d'interdit qu'à leur femme. La fille hausse les épaules, me jette un regard assassin et s'en va. Elle est quand même revenue me dire ce qu'elle pensait. De plus, elle continue dans la cour de débattre avec les autres et c'est tout à son honneur. Ça ne doit pas être facile pour elle, de vivre tiraillée entre les traditions familiales qui l'ont formatée pour offrir sa virginité à un type qu'elle ne choisira probablement pas et son environnement scolaire quotidien plus enclin au flirt sans lendemain. Je me dis que la religion manque juste d'un peu de lubrifiant, pour se laisser pénétrer par la modernité.
-
Commentaires
Sujet sensible que tu abordes là, Dr Kpote. Je n'ai pas vécu ce moment, mais je suis gêné par la façon dont tu le racontes. Parce que c'est une situation difficile à juger. Un exemple fort éloigné de la sexualité (au départ) : j'ai travaillé de fort nombreuses années dans l'insertion. De fait, j'ai été amené à recevoir des femmes voilées. La question de base que je leur posais : — Si vous avez un entretien d'embauche, y allez-vous comme ça ? En général, la réponse était non. Ensuite, je leur demandais comment faisait-elle si je leur obtenais tout de suite un RV d'embauche. Bref. Une fois, une jeune femme voilée se présente. Je la reçois, lui sors mes questions de base. Puis insiste en lui demandant ses motivations à porter le voile. Elle m'explique : — C'est pour ne pas être emmerdée. Alors moi, occidental blanc européen de base, je me dis : OK, le quartier, le poids des traditions, etc. Je poursuis l'entretien, négocie avec elle qu'au prochain, elle vienne sans voile. Elle revient, sans voile, et là, le blanco-européen de base que je suis se prend une claque en la voyant. Car cette jeune femme était d'une beautée phénoménale, quasi absolue. Une bombe atomique de classe G (donc plus fort que la H). Quand je formais des collègues et que nous en arrivions à ce thème, je citais systématiquement cet exemple, pour bousculer les a priori. J'ai conscience qu'en tant qu'exemple, il est loin de constituer une généralité… Et les autres expériences m'ont conforté dans ma blanchitude européenne, mais je m'en vais les garder pour moi…