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Cortège de tête ou défilé de teub ?
Photo Flickr / Valk
Les slogans de manifs ont parfois du mal à dépasser le stade anal et le haut de la ceinture. Malheureusement, le sexisme s’y invite aussi. À ce sujet, j’ai questionné une bande de Riot Grrrl, engagées et « déter » comme on dit dans le cortège de tête, fortes d’une bonne expérience des occup’ de facs et des gardes à vue, afin de faire le point sur la place du féminisme dans les luttes. Un soir, porte des Lilas, à Paris, elles sont cinq étudiantes à avoir répondu à ma requête, Rosa (1), 20 ans, en études théâtrales, Olympe (1), 20 ans, en lettres modernes, Louise (1), 21 ans, Marie (1), 20 ans, et Angela (1), 21 ans, toutes trois en médiation culturelle.
Comme je leur proposais d’aborder le sexisme en milieu militant, souvent bien planqué sous le vernis de l’engagement, Louise, en blouson Harrington et Doc Martens, qui a fréquenté le milieu libertaire antifa, lance le premier pavé à la terrasse du café où nous sommes installé·es : « C’est pas facile d’être une gonzesse dans le cortège de tête. Les mecs te protègent contre ton gré parce qu’ils estiment que tu risques plus ta vie qu’eux. Les groupes affinitaires, c’est le rendez-vous des gros bras très mascus. Il y a peu de nanas et les minorités de genre ne sont quasiment pas représentées. » Louise dit être entrée dans le collectif en tant que « meuf de » et qu’elle est restée la « meuf de » jusqu’au bout de son aventure. Elle se souvient qu’un mec accusé de viol n’avait pas été exclu par le collectif, celui-ci arguant que « le groupe n’avait pas à se suppléer à la justice et aux keufs ». La solidarité de couilles prendrait donc le pas sur l’égalité des droits chez certains antifas. Olympe souffle : « Ces vieux schémas sexistes perdurent, car les anciens forment les jeunes qui veulent en découdre. On reste entre mecs cis qui privilégient l’action musclée et font les candides quand tu pointes leur sexisme. »
Louise s’est vite rendu compte que même ceux qui se disent alliés n’assurent pas le minimum syndical. Elle s’explique : « Dans les bastons, les mecs ont le syndrome du white knight, le cavalier blanc qui vient à notre secours, même quand on n’en a pas besoin. Et ils n’ont toujours pas capté que “pédé” n’était pas une insulte. »
Au niveau des intentions féministes, les mecs se sont un peu trop reposés sur les lauriers de leur Fred Perry. C’est plus facile de tagguer de grandes idées que de les appliquer.
Pour les occup’ de facs, Rosa explique qu’elles avaient posé des règles en AG, dès le début. La principale stipulait une éviction en cas de propos discriminatoires. Angela précise que c’était important de « créer un espace qui soit le plus safe possible, où les filles et les minorités de genre puissent prendre la parole sans être emmerdées. » Mais Olympe tempère : « Pendant l’occupation, beaucoup d’agresseurs (militants et soutiens ponctuels) ont été outés. C’était surprenant pour ce milieu. »
Sur la base du volontariat, la « team sécu » était composée d’une majorité de filles. Angela tient à souligner que les mecs cis partants étaient de bons alliés. Du moins sur le papier, car en vivant en communauté, la promiscuité, lutte commune ou pas, génère des tensions. Olympe explique, l’air lassé, que des mecs grattaient des câlins sur ses seins généreux, tentaient des rapprochements jusqu’aux dortoirs non mixtes, les collaient malgré leur refus. Louise rebondit : « Dès le premier soir, on a viré un mec qui a dit “Suce ma bite” à une fille. Il disait qu’il voulait nous enculer et des tas d’autres saloperies. Pour éviter son éviction, il ne s’adressait qu’aux mecs de la sécu. On était transparentes. »
Angela, très remontée, continue : « À Paris 8, un groupe de mecs refusait que la sécu soit prise en charge par des meufs. Ils nous traitaient de salopes… Pour qu’ils daignent nous écouter, il fallait être maternaliste avec eux. Le comble ! » Louise se rappelle qu’elle s’est sentie extrêmement décrédibilisée, au point de pleurer, planquée dans une salle. Toute la journée, chaque fois qu’elle tentait de gérer un problème, les gens réclamaient le seul mec de la sécu, alors qu’elle portait ostensiblement le brassard idoine. Drôle de paradoxe quand on constate que certains de ces jeunes fustigent les services d’ordre de syndicats en manif, les accusant de jouer les gros bras.
Lors des réunions, Louise a regretté des divisions au sein même de la consœurie des femmes. « Il y a eu une AG non mixte TERF [Trans-exclusionary radical feminist, ndlr], organisée par une asso de femmes cis qui rejetaient les minorités de genre. Pour l’une d’elles, les femmes trans étaient des mecs déguisés qui profitaient des toilettes pour violer les meufs ! Leur position n’était pas acceptable. »
Face aux minorités de genre, les mecs cis pensent que l’ensemble des termes LGBT+ divisent plus qu’ils ne réunissent. « La notion d’invisibilité des minorités, ils s’en battent les couilles… Quand on évoquait la pansexualité ou les gender fluides, ils pensaient scission ! » s’irrite Olympe. Elle est persuadée que les filles militantes sont plus au fait des combats égalitaires que les mecs, qui ne comprennent pas l’utilité des AG non mixtes. Le jour où elles ont organisé une réunion pour leur en expliquer l’intérêt, ils étaient à peine une dizaine. Les autres avaient piscine, bon argument pour tester l’étanchéité de leurs lunettes de plongée avant les manifs ! Louise résume : « Le problème de la non-mixité, c’est que tu dois constamment la justifier auprès des mecs qui se sentent exclus, blessés dans leur petit ego. »
Lors d’une réunion sur le féminisme, les filles ont dû répondre à des interrogations sur une éventuelle oppression inversée où les hommes seraient soumis à leur autorité. Après deux heures de réunion sur le sujet, elles ont dû réexpliquer que le sexisme anti-homme n’existait pas dans un système patriarcal. Rosa, très remontée, se souvient : « On l’avait organisée pour un mec de syndicat qui s’accaparait les temps de parole. Il nous a reproché d’être paternalistes et de ne pas porter la bonne parole du féminisme. Du pur mansplaining ! »
Justement, cette manie qu’ont les hommes d’expliquer aux femmes ce qu’elles savent déjà était omniprésente sur les temps de lutte et d’occupation. En 1968, les femmes s’en plaignaient déjà. Quelles que soient les époques, les pavés volent, mais les mecs, eux, ont du mal à prendre de la hauteur. « On t’explique comment aller en manif, comment tracter devant les lycées, comment te tenir en tête de cortège et réagir en cas de charge. Le pire, c’est que c’est fait par certains types qui paniquent aux premiers gaz lacrymos ! » se moque Louise. Rosa se souvient que, dans beaucoup de réunions, les mecs cis ont mobilisé la parole sans soupçonner la dimension oppressante de leur attitude. « Ils cherchaient à nuancer nos propos parce que les féministes énervées, ils trouvaient ça chiant ! J’ai gagné deux étiquettes dans la lutte : féminazie et pute à chien », déclare Louise en allumant une clope roulée.
Et puis, dans la sensibilisation au féminisme, il y a forcément le sujet du viol et des agressions sexuelles qui s’invite dans les débats. « Les mecs cis qui t’expliquent que le consentement peut être flou dans la tête des femmes, c’est hyper présent », reprend Angela. Elles relatent avoir viré un mec par soir, même si dans les milieux libertaires, ce genre de décisions n’est pas trop accepté. Angela est ferme : « Libertaire ne veut pas dire que tout est permis ! Un mec m’a assuré que marxisme et féminisme n’allaient pas ensemble, que la culture du viol n’existait pas. Pour un autre, le viol était subjectif. Le pire, c’est qu’il faisait psycho. »
Dans les luttes, les mecs dénient leurs attitudes et leurs propos sexistes, se drapant dans leurs capes de militants. À entendre ces jeunes femmes, l’émergence de la lutte communautaire s’inscrit comme une évidence. Celles·ceux qui rejoignent le Pink Bloc ou le Witch Bloc s’y sentent probablement plus en sécurité, protégé·es non pas des CRS mais bien de leurs propres « allié·es » de lutte. Prises entre la matraque et la teub, les femmes et les minorités de genre ont intérêt à rester bien déterminées et soudées.
Dr kpote
(kpote@causette.fr et sur facebook)
1. Les prénoms ont été échangés avec ceux de militantes féministes célèbres.
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Commentaires
Now feminism is not the same as it was in 20th century. Today women fight not for their rights, but against men. It is the third wave of feminism or it is also called radical feminism. Don't think I'm a sexist, because I respect all people.
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The representing of your interests in a different way is normal for any group or minority. However, each case is accompanied by a counter-protest.