• Spleen

    Qui a traversé Saint Denis et ses environs sous la pluie peut avoir une petite idée de ce que voulait dire Baudelaire, quand il parlait du « ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle, Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis». Sauf que dans le spleen, une dimension romantique très forte se dégage du mal-être, l'impuissance de l'âme du poète face à une nature dégradée vire au sublime. En ce qui me concerne, ce n'est que du glauque que j'ai trouvé, sur place, dans le centre d'apprentis que je suis allé voir aujourd'hui. Pas de spleen sublimé, pas un soupçon de romantisme, encore moins un doigt de poésie. J'y ai rencontré des futurs chauffagistes qui comparent la sexualité à un examen de tuyauterie, c'était sans surprises et tellement classique. Ça a fait la blague, comme on dit.

    J'ai eu droit quand même à un numéro de haute voltige de l'intellect, une démonstration de funambule du fait divers frisant la rupture de synapses. Nous parlions du consentement dans le rapport sexuel, notion pas toujours très claire, car nombreux sont ceux qui pensent qu'un silence veut dire oui, qu'un oui est définitif et qu'un non peut éventuellement se négocier. Sujet oblige, j'abordais le problème du viol et de ses sanctions pénales. Un jeune d'origine ivoirienne (il tiendra à me le signaler), me demande alors qui sont les plus grands violeurs. J'ai du mal à percevoir le pourquoi du comment de sa question et je lui explique que dans le profil des violeurs, on retrouve souvent des accidents de parcours, une enfance brisée, parfois marquée par des violences, sexuelles ou morales. Il me coupe la chique et me réitère sa question en soulignant qu'il voulait me faire dire si les violeurs étaient plutôt des noirs, des arabes ou des français. Je lui réplique qu'on peut être noir et français, arabe et français, et pourquoi pas les trois à la fois... Il finit par se déclarer lui-même français, comme pour s'en convaincre.

    Il me dit que son employeur passe son temps à dénigrer les noirs et les arabes. Et que pour répondre à celui-ci, il lui avait amené des articles du Parisien qui relataient des viols commis par des blancs, des français. Souvent, c'étaient eux les violeurs. D'ailleurs en bas de son immeuble, l'autre jour, un type blanc traînait autour des gosses qui jouaient au foot. Il est descendu pour lui dire de dégager, sinon il le « fumait ». « Les Fourniret et autres Dutroux, ils étaient bien blanc monsieur ». Les noirs et les arabes, ils ne violent pas. Je lui explique qu'il parait difficile de dresser un portrait-robot du violeur type en fonction de sa couleur de peau et que dans le cadre de mon travail auprès de familles africaines touchées par le VIH, j'ai rencontré des jeunes femmes ayant subies des violences de la part de leur ami/concubin/mari/voisin/cousin... Il doute de la véracité de mes propos, à la manière de ces Africains qui me laissaient entendre que les blancs avaient amener le sida en Afrique. Qu'importe, je continue l'intervention sur la transmission des IST, histoire de ne pas tomber dans un dialogue avec lui, au détriment des autres.

    Mais quelques minutes plus tard, il revient à la charge. Il raconte qu'un soir un de ses potes « voulait »une fille qui discutait au bar avec son copain. Son pote se débrouille pour faire sortir le copain et le « fumer », puis viole la fille. Ça le fait marrer. Son raccourci d'histoire sent la supercherie, la provocation. Il me teste et je le sens à cran, prêt à en découdre. L'histoire de ce jeune homme semble chargée. Ses yeux sont fuyants, le regard presque fou. Il monopolise la parole sur des histoires d'agression, dont il semble se délecter, se repaître. Je suis inquiet quand à ses réactions, le sujet devenant trop sensible. Je décide donc de passer à la pose du préservatif, la dimension pratique nous éloignant un temps du débat. A la sonnerie, je m'approche de la prof de SVT et je lui demande son avis sur les difficultés de ce garçon. Elle me répond, encore sous le choc de la violence des propos tenus, que la plupart des élèves présents ont eu des parcours chaotiques, que certains relèvent de suivi psy, d'accompagnement social... Ils rêvent d'être chauffagistes pour aller dépanner les femmes seules. Je vais demander à ma copine de ne plus ouvrir aux chauffagistes. Je repars sous la pluie, dans la grisaille de la banlieue Nord. Alors, « l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. » Baudelaire devait sûrement faire des interventions sur la sexualité dans les CFA.


  • Commentaires

    1
    Fred
    Lundi 5 Mars 2007 à 23:37
    Baudelaire
    Bon exemple, Baudelaire, mort en 1867, de la Syphillis…
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