• La peur doit-elle changer de camp ?

    Six classes de filles en deux jours! Pas l’ombre d’un testicule moulé à la braguette, même pas dans la salle des profs. Pas de panique, je ne fais pas référence à un soudain génocide masculin orchestrée par une chienne de garde aux crocs empoisonnés mais le lycée où je me suis rendu, propose, tout simplement, des formations qui n’intéressent principalement que la gent féminine : du social, quoi… Je suis donc retourné au bahut en mode d’avant les années 70 : pas un gramme de testostérone, de slip kangourou et de free-fight programmé pour la récré. Et bien, même si les bavardages demandent un peu plus de flicage, je me suis re-po-sé !

    Et en plus, ce fût enrichissant. Que demande le travailleur social ? Les filles se sont exprimées comme jamais. C’est quand même plus facile quand il n’y a pas de taliban pour leur intimer, d’un regard bien appuyé ou d’une réflexion assassine, de la fermer. Ainsi libérées, les deux heures d’animation (on aurait dit leurs vagins à une époque plus militante), leur appartenaient pleinement. Tellement c’était serein, Sohane et Samira ont dû s’en étouffer en plein festin de racines de pissenlits.

    Bien entendu, elles ont exprimé cette difficulté à porter des jupes, elles ont témoigné de l’obligation de s’habiller sans mettre trop en valeur leurs formes, de ne pas être trop femmes… Rien de bien nouveau dans ce monde profondément machiste avec ses traders de merde qui jouent au Monopoly avec notre pognon (oui je sais ça a peu de rapport mais je viens de voir Inside Job, alors…). Certaines se la jouent plus bonhommes pour avoir la paix. Mais rouler des épaules, se saper en jogging et cracher par terre, ça ne les fait pas vraiment bander. Celles-là aussi, expriment leur lassitude d’avoir à jouer les Big Jim pour protéger leur réputation. Exit les « Ni putes, Ni soumises », un « Ni fille, Ni mec » serait plus d’actualité. Comment, à 15-16 ans, ces filles de l’entre deux genres, peuvent-elles se construire dans leur identité féminine ? Quelles femmes seront-elles une fois adultes ? Sommes-nous en train de vivre l’émergence d’un troisième sexe, une sorte de transgenre qui n’aurait aucun lien de parenté avec celui qu’on rencontre au coin du bois, les soirs d’exutoire aux heures de fermeture des bureaux ?

    Faire l’amour à l’envi, ce serait « ne pas se respecter ». Voilà ce qu’on leur a dit et répété, à tel point qu’elles ont fini par l’assimiler totalement. Mais ce qui me chagrine le plus, c’est qu’il n’y a pas que la rue qui véhicule ce discours simpliste, leurs familles, aussi, les maintiennent dans ce rôle de future proie facile en refusant de les voir grandir, en leur interdisant de s’émanciper. Alors, elles répètent ces mots carcéraux, pas toujours convaincues mais au moins pour la galerie. Après tout, on ne sait jamais. Et si le grand frère laissait une de ses oreilles traîner dans le coin ou si une copine venait à vendre la Mèche pour s’acheter une conduite …La peur des représailles est répandue chez certaines.

    Certes il y a celles disent s’en battre les couilles (tiens une expression bien masculine, non ?) et qui mettent un gros kick aux mecs qui les font chier. Ces filles-là, on sent une drôle de violence dans leur regard, une violence plus jusqu’au-boutiste que celle de n’importe quel mec élevé dans un chenil de pitbull. Elles adoptent toutes les attitudes masculines, par un mimétisme de survie, comme ces animaux qui arrivent à se fondre dans la nature pour se rendre invisibles à l’ennemi. En jogging basket souvent, elles parlent fort et serrent la main. Leur vie affective est mise entre parenthèse et les expériences sexuelles, renvoyées aux calendes grecques, un jour de St Glinglin.

    Il y a celles qui résistent par la provocation, exhibant le superflu pour mieux conserver l’intérieur, faisant claquer fort leurs talons comme si à chaque pas, elles organisaient leur propre marche des fiertés. Elles se disent lasses de se faire traiter de putes par les mecs mais aussi par leurs pairs qui ont mis un mouchoir sur leurs convictions, mais n’ont pas envie de lâcher l’affaire. Pour celles-là, on peut craindre le pire, la punition suprême au fond d’un RER ou d’une cave, traînant leur sale réput’ jusqu’au bled comme d’autres leurs années de placard.

    Et puis il y a une grande majorité silencieuse aux sourires crispés, des filles qui s’angoissent par avance de croiser au détour d’une soirée ou d’un vestiaire, un de ces monstres couillus et poilus, qui se feront fort de les déflorer à la hussarde en les plantant là, la vulve offerte et l’amour en jachère. Celles-là, elles s’abreuvent des histoires des plus précoces et se signent intérieurement pour expier cette chaleur dans le bas-ventre qui les culpabilise tellement.

    Je leur pose la question de la mixité. Je leur demande si ça leur manque les garçons dans ce lycée où les orientations proposées n’intéressent qu’elles. D’abord elles assurent que non, qu’elles ont la paix, qu’elles sont plutôt bien. Au pire, oui au pire, les keums, elles peuvent toujours les voir le week-end ou le soir. Elles regrettent qu’on en soit arriver là.

    Soyons réalistes, ce type de situation ne se vit pas de partout. Il y a une spécificité à ce type d’environnement. L’univers de la cité, de certaines cultures machistes y est pour beaucoup. C’est sûr que ce type de débat n’existe pas les lycées du XIV ou du Ve où je vais quelquefois.

    J’ai signé la pétition contre le viol lancée par Osez le féminisme. « La peur doit changer de camp » est-il dit en sous-titre. Mais y’a-t-il vraiment un camp ? Doit-on forcément opposer les deux sexes ? Doit-on répondre à la peur par l’intimidation. Et si on misait tout sur l’éducatif, l’accompagnement, l’écoute de ces mecs qui eux aussi subissent la loi de la performance, du plus fort, des faux-semblants.

    Une psy disait l’autre jour que les ados décompensaient de plus en plus violemment et que notre société anxiogène en était le terreau. « La peur doit changer de camp », moi, ça m’inspire pas trop. Ça pue trop l’escalade.

     


  • Commentaires

    1
    Samedi 11 Décembre 2010 à 08:33
    inside job
    Pétition à deux balles et journée de la jupe...voilà le féminisme des années Sarko...on touche le fond... excuses le hors sujet mais, j'hésitais à aller voir Inside Job, on apprend vraiment des choses ? il faut y aller ?
    2
    Samedi 11 Décembre 2010 à 08:45
    Le film déroule
    parfaitement tous les mécanismes de cette fantastique fumisterie pour les néophytes de la finance mafieuse. Non seulement j'ai appris mais j'ai surtout mieux compris à qui nous avions affaire. Et surtout j'ai découvert qu'ils étaient toujours là et bien là puisque tous aux côtés d'Obama… Joyeux Noël Félix…
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    3
    Lundi 13 Décembre 2010 à 10:02
    Flippant
    La peur doit changer de camp ? Moi, j'ai peur de ce que je lis et vois. Qu'allons-nous enseigner à nos enfants, qui confrontés à la rue, devront abdiquer par peur de représailles? j'aime vraiment pas ce vers quoi on s'achemine, ça pue.
    4
    Mardi 14 Décembre 2010 à 21:30
    Oui Elisabeth,
    ça pue. Et je t'avouerai que parfois, je me sens là mais aussi las…
    5
    alf
    Jeudi 16 Décembre 2010 à 21:05
    violence en miroir
    Ce que dit cette psy sur la décompensation chez les jeunes, via la violence, semble effectivement de plus en plus vrai. Et ça ressemble à un jeu de miroir exacerbé: les ados poussent jusqu' à l'absurde les mécanismes et les logiques violentes que la société leur inflige, pour tester les limites, vérifier la légitimité des frontières de nos conventions sociales et mettre les adultes au pied du mur de leurs propres contradictions... Si c'est ça, la situation pue mais... il y a encore de l'espoir
    6
    Dimanche 19 Décembre 2010 à 20:33
    Ton optimisme
    me fait du bien cher Alf… Ah faut que je blogroll ton crob'blog
    7
    Lucille
    Vendredi 18 Février 2011 à 17:42
    la honte doit changer de camp
    Quand on dit "la honte doit changer de camp" dans une campagne contre le viol, les deux camps ne sont pas ceux des femmes d'un côté et des hommes de l'autre, mais ceux des victimes qui n'osent porté plainte et des coupables de viols dont seulement 2% sont condamnés en France. Ne pas réduire, les luttes féministes à une guerre des sexes, ça n'a jamais été le cas, et ça ne l'ai pas plus aujourd'hui. "Se vouloir libre, c'est aussi vouloir les autres libres." Simone de Beauvoir. Ni plus, ni moins.
    8
    Lundi 21 Février 2011 à 10:33
    Effectivement Lucille,
    ton commentaire est très juste mais je reste persuadé que le sous-titre à cette pétition "la peur doit changer de camp" prête à confusion. De plus, il m'est arrivé dans mon boulot, très féminisé, de rencontrer des féministes prêtes à émasculer tout ce qui bouge et surtout persuadées qu'un mec ne doit et ne peut pas faire ce taf… Ce n'est qu'une minorité heureusement.J'avais déjà un texte sur le sujet : http://www.blogg.org/blog-53402-billet-la_fureur_du_dragon-1078015.html
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