• La fureur du dragon

    Pour changer des lycées, on m’a demandé d’intervenir dans une MECS 1 dans les Hauts-de-Seine. Le placement en MECS a notamment lieu dans les cas de violence familiale, de difficultés psychologiques des parents, de carences éducatives, de problèmes comportementaux de l'enfant... Au téléphone, pour préparer l’animation, la psychologue de l’établissement m'avait averti que le foyer n’accueillait que des jeunes filles. La plupart d’entre elles avaient une histoire chargée, et pour certaines, en lien avec la sexualité. Elles allaient probablement tenter la carte de la séduction dans cet espace sans présence masculine, les pensionnaires n’ayant pas le droit d’inviter d’amis et l’équipe éducative n’étant composée que de femmes. Avec une salopette et la gouaille de Coluche, j’aurai pu titrer : c’est l’histoire d’un mec qui va dans une MECS où il n’y a que des filles !

    Mon GPS m’ayant amené à destination dans les temps, je découvre une maison cossue, à flanc de collines, dans un environnement très boisé. Un cadre bucolique qui invite immédiatement à la détente.

    L’effet psycho actif de la verdure fut de courte durée. À peine, avais-je poussé la porte d’entrée, que je tombais nez à nez avec la directrice, fraîchement descendue de son mirador et qui m'attendait de pied ferme dans le couloir.

    - Ah, non, ça ne va pas être possible. J'avais demandé une femme !

    Je venais de franchir la porte et les jeunes filles, en file indienne, me dévisageaient comme un virus grippal passé au détecteur de chaleur. J'avais l'horrible sensation d'être Tony Curtis dans Certains l'aiment chaud, surpris la perruque de travers au milieu d'un orchestre de pin-up en bikini.

    J’ai fait immédiatement le lien avec certains lycées dit plus sensibles que d’autres, qui insistent pour avoir un intervenant masculin et prévenir ainsi les risques d’agression verbales, genre « la salope qui vient nous parler de cul ». Si par malheur, un jour, nous répondons positivement à ce type de demande, nous aurons alors perdu le fondement de notre combat basé sur l’égalité des sexes.

    En général, les infirmières de lycée sont plutôt ravies de voir des hommes, notre discours étant souvent vécu comme complémentaire de celui qu’elles tiennent aux élèves.

    Pendant des années, l’éveil au corps et à la sexualité était uniquement une histoire de bonnes femmes et beaucoup de pères répondaient aux questionnements de leur progéniture par un « demande donc à ta mère, j’ai à faire » sans appel. Mais le mâle a su forcer ses instincts primaires pour théoriser, lui aussi, sur les choses de la vie. Ce bel effort d’évolution méritait plus de sollicitude de la part du dragon qui fulminait devant moi.

    Dans le couloir, c’était Il était une fois dans l’Ouest

    - Merci pour l'accueil. Nous pourrions peut-être débattre de ce problème en aparté.

    - Mais je n'ai rien à cacher à MES filles…

    Mes filles ! je l’avais donc dérangée en train de couver… Pour une professionnelle de l'accueil social, son attitude manquait vraiment de discernement.

    - Beaucoup de ces filles ont connu des soucis avec les hommes. Alors, ça suffit…

    On y était. Je devais donc porter toute l’histoire de l’ignominie masculine sur mes épaules, payer l’adition salée laissée par tous les phallocrates de l’univers. Je savais que cette situation pouvait arriver un jour, mais là, je n’avais pas prévu de coquille.

    Pour alléger l’atmosphère, je risquais une vanne sur cette attaque sexiste pouvant entraîner une saisie de la HALDE, mais elle ne daigna pas rebondir.

    - Vous devriez être au courant puisque j'ai eu la psy au téléphone. Je propose qu'on pose la question aux filles pour voir si le fait que je sois un homme les gêne vraiment, ou pas.

    Nous avons réuni la quinzaine de pensionnaires de l'établissement, non sans mal, car les choses ayant plutôt mal démarrées, certaines avaient déjà regagné leurs chambres.

    Je leur ai signifié que je ne les questionnerais pas sur leur vécu, laissant ce rôle à l’équipe éducative. Une animation de prévention, c’est un temps de réflexion sur la relation et le moment de vérifier certaines informations sur les risques encourus ou pris.

    Elles ont accepté du bout des lèvres et le dragon m’a fait comprendre qu’elle m’avait à l’œil. L’animation s’est parfaitement déroulée. Après une bonne demi-heure de silence total, les filles ont fini par se détendre et s’exprimer, allant même jusqu’à partager des expériences intimes. Craignant le mauvais lapsus ou l’erreur d’interprétation, je suis resté très concentré. Cette vigilance m’a certes permis d’assurer mais m’a probablement fait perdre en humanité.

    Avant de partir, je décidais d'affronter une nouvelle fois le dragon.

    - La façon dont vous m'avez accueilli et présenté au groupe est inadmissible.

    - Si vous avez été déstabilisé, c'est votre problème personnel, pas le mien.

    La discussion commençait par sérieusement s'envenimer lorsqu'elle a fini par me lâcher :

    - Seule une femme peut parler de sexualité féminine avec des femmes… Vous êtes incapables de nous comprendre…

    Tout débat semblait inutile et pour éviter de me les faire couper, j’ai tiré ma révérence. J'ai une pensée tout de même pour l'équipe éducative qui m'a semblé en désaccord avec elle et surtout pour les pensionnaires de l'établissement qui auront bien du mal à se reconstruire dans l'antre du dragon.

    1 Les Maisons d'Enfants à Caractère Social sont des établissements sociaux ou médico-sociaux, spécialisés dans l'accueil temporaire de mineurs relevant de l'Aide Sociale à l'Enfance. Celles-ci fonctionnent en internat complet ou en foyer ouvert.


  • Commentaires

    1
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 13:22
    je dois me répéter...
    Mais comme je ne passe pas souvent, ça fera pas de mal : "putain de bordel à cul de vierge enceinte, qu'est-ce que j'aime ce que vous dites. Et comment vous le dites." Allez, ne laissez pas les chacals brouter vos idéals. Des bises et des embruns.
    2
    Vendredi 16 Novembre 2012 à 17:14
    Dis comme ça
    Je prends ! Merci Anita.
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