• La Fabrique de Croisés

    Natty - bedroom eyes

    Il est recroquevillé sur sa table comme un sénior en manque de DHEA et sans connexion internet pour contacter son dealer. L'omoplate gauche est saillante sous le pull jacquard. Il est bancal, limite désossé, bien que pas vraiment du genre à fréquenter <st1:PersonName productid="La Goulue" w:st="on">La Goulue</st1:PersonName> sur les pentes de Montmartre. La position maladive de son corps est l'exacte reproduction du vertige émotionnel qui le déborde. Il va passer deux heures le nez collé à son cahier, les yeux rivés sur une leçon imaginaire. Il entend, c'est sûr. Il imprime, sûrement pas.

    Il y a beaucoup de filles dans sa classe et forcément, on parle de contraception, quelle soit quotidienne ou d'urgence, puis d'avortement. Forcément. Je sens qu'il vit un calvaire, qu'il eût préféré faire Paris-Chartres à genoux puis rallier St-Jacques-de-Compostelle sur ses moignons restants, que peut-être il se récite déjà des « Notre père » pour expier. La prof n'avait pas besoin de me stipuler, à la pause, qu'il était le fruit d'une union à consonance latine, sans mariachis mais opus dei, catholique et intégriste. Comme beaucoup d'autres dans ce lycée du VIIe. Cette étiquette, il la porte, elle l'habite. Le pire est qu'il a choisit le premier rang et que mon sac de lubrifiant et de préservatifs est à quelques centimètres de lui. Satan à portée de mains, la luxure à portée de gland. La capote d'ailleurs, il me le rendra à la fin, ni dédaigneux, ni dégoutté... juste pas concerné.

    Dans « l'enquête sur la sexualité en France » de Nathalie Bajos et Michel Bozon (Ed. la découverte), ma bible, mon coran, mes saintes écritures à moi, j'ai lu que si la génération des femmes de 60 ans avaient entendu parler de contraception essentiellement grâce à leurs pairs, les filles de 18-20 ans citaient en premier l'école comme source d'information. C'est dire la responsabilité qui nous incombe de faire passer le message, le plus juste qu'il soit. Ça donne aussi du grain à moudre à tous ceux qui critiquent cette école publique qui aurait un peu trop ouvert son champs pédagogique à des faits de société (la sexualité, les conduites addictives, la différence, l'homophobie ...) pour faire de nos enfants, non plus des puits de savoir mais de futurs citoyens en phase avec leur temps.

    Nous sommes peu demandés dans les établissements confessionnels et probablement que la famille de ce jeune homme allait demander dès ce soir sa mutation pour un établissement plus hermétique aux débats sur la sexualité et autres joyeusetés engendrées par le vrai monde. Les voies du seigneur, qu'elles soient génitales ou pas, se doivent de demeurer impénétrables. Histoire de faire usiner la fabrique de Croisés.


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