• L'Histoire d’A. (2. froid dans le dos)

    (...) J'ai finit par suivre le blouson à frange. Elle, dans les escaliers, c'était un peu la Tour de Pise, un mélange de fragilité penchée et de fantastique résistance aux éléments. Les enfants, un garçon de 10 ans et une fille de 8, étaient devant la télé... Comme convenu, elle me présente comme un pote. Les enfants n'ont pas eu l'air surpris. Ils ne m'ont pas calculé. Elle m'offre un café. Elle m'indique d'un mouvement de menton la cuisine, seule pièce indépendante dans son studio. Elle ferme la porte derrière nous et tout en m'appuyant sur le frigo, je lui laisse la liberté d'entamer la discussion. Le café me perfore l'estomac. J'ai compris par la suite que nous n'avions pas le même étalon pour le dosage des produits. Le monologue a duré une bonne heure. A. m'a raconté, que dis-je vomi, sa vie. Tout ce qu'elle avait gardé en elle depuis tant d'années est sorti sans ponctuations : son enfance marquée par les violences sexuelles de son père alcoolique sa mère qui a lâché très tôt le domicile familial la rencontre avec le père de ses enfants les virées avec un pote toxico et son abandon du domicile pour un road-movie qui aura pour conséquence, sous fond de défonce, l'incarcération de son nouveau compagnon et la découverte de sa séropositivité la mort en prison de celui-ci le rejet de sa famille la prostitution et aujourd'hui des strip-tease dans les quartiers chauds de la capitale ou les Eros Center de Belgique...

    J'ai commencé l'histoire de sa vie debout contre le frigo, puis je me suis laissé glissé doucement comme un magnet qui aurait vu sa force d'attraction diminuer puis s'épuiser totalement, au rythme des histoires d'A. J'en avais froid dans le dos. J'ai finit allongé par terre, sonné par toutes ses révélations. Elle parlait fort et je reste persuadé que les enfants en ont entendu une partie. C'était, je crois, une manière pour elle de s'adresser aussi à eux. Je lui servais d'amplificateur. Après s'être déchargée de son sac à dos familial, elle semblait apaisée.

    - Je crois qu'on va bien s'entendre. Il faut que tu y ailles parce que je dois raccompagner les enfants chez leur père
    Je n'avais rien dit, ou presque. J'avais appliqué à la lettre le counselling tel qu'on nous l'avait enseigné en formation. Un peu penché en avant (du moins au début), je montrais une grande attention à ce qui était dit, me contentant d'appuyer sur des mots clés, respectant les silences, brefs mais remplis de sens. J'étais sonné. Le cerveau rempli d'images sordides. Une fois dehors, je me suis dirigé, tel un automate vers le premier café et j'ai commandé un cognac. C'est la seule fois de ma vie où j'ai bu autre chose qu'un demi au comptoir. Je crois que j'avais besoin d'une bonne dose de digestif pour soulager mon estomac et anesthésier un peu mes synapses qui chauffaient sous le scalp.

    Le lendemain, le psy de l'association m'a appelé
    - Alors, comment s'est passé ce premier contact ?
    - Chargé.
    - C'est-à-dire ?
    Je lui balance en vrac tout ce que m'avait dit A., histoire de ne pas lui renvoyer l'ascenseur à vide, au professionnel de l'émotionnel.
    - Bon, je vois... Je compte sur ta présence au groupe de soutien mardi soir.
    C'était sûr : je n'allais pas faire réunion buissonnière. (...)


  • Commentaires

    1
    Samedi 26 Mai 2007 à 10:04
    hello
    Je lis tes articles de temps en temps avec toujours autant de plaisir. Celui ci encore mais je ne peux m'imaginer cette pauvre A. Comment des gens peuvent ils avoir tous les malheurs du monde en une seule vie? c'est assez horrible. on ne voit ça que dans des films, toi tu le vis. J'attend la suite avec impatience! Belle plume en tout cas!
    2
    Samedi 26 Mai 2007 à 10:09
    à pharaonglace
    c'est vrai que certaines destinées sont marquées par le sceau des galères... merci de ton passage
    3
    Samedi 26 Mai 2007 à 13:29
    Je découvre
    cette histoire. Je continuerai la lecture, sans commentaires probablement. Bise à toi.
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    4
    Samedi 26 Mai 2007 à 16:35
    Bonjour Didurban,
    Hé bé ! Chargé, en effet... Je trouve ça intelligemment restitué.
    5
    Dimanche 27 Mai 2007 à 13:19
    Bravo !
    Salut Dr Kapote, :) J'ai parcouru ton blog,....... et franchement chapeau, j'en reste sans voix et admiratif. Bon vent à toi et bon courage.
    6
    Dimanche 27 Mai 2007 à 13:21
    Bravo ! bis
    Je vais le mettre dans mes liens. Si cela ne te dérange pas. Je crois qu'il mérite d'être connu et lu par un maximum de gens
    7
    Dimanche 27 Mai 2007 à 14:02
    .:.
    C'est nul mais, est-ce que parfois on n'est pas tenter de se dire qu'on est face à un mythomane...je sais que je ne devrais pas dire ça, mais, c’est que ça me fait surtout penser à une fille que j'ai rencontré à la Fac cette année et qui, 2 jours plus tard, me racontait déjà les horreurs de son enfance, le viol commit par son petit ami actuel, l'anorexie, la dépression, les suicides, et à coté de ça des capacités énormes en tout: mécanique, danse, chant, informatique, art en tout genre, couture, course de moto… et puis l’humanitaire, du bénévolat, des cours aux enfant, grands-parents grabataires à sa charge, mère alcoolique, père suicidaire, sévices dans l’enfance, deux homme dans sa vie, et tout les autres à ses pieds, mannequina, maladie aussi…et j'en passe...et puis elle dit ça sur un ton si léger, et tellement à qui veut l'entendre que je suis perplexe, et ne sais surtout pas comment réagire face à tout ça...partagée entre l’incrédulité et l’effrois, sachant que quand même, tout cela pourrait pourtant coexister dans une seule vie...Enfin bref, j'attends la suite avec impatience, ça a l'air d'un long périple votre histoire...
    8
    Lundi 28 Mai 2007 à 09:32
    @ Barns
    Merci. @ marie no, je t'envoie un mail
    9
    Flo
    Lundi 28 Mai 2007 à 16:38
    Oui
    il y a des destins, des vies, qui ressemblent à de mauvais films plein de cauchemars... des vies brisées et qui, pourtant se poursuivent, se construisent, déconstruisent puis reconstruisent... pas évident comme situation, besoin de soutien aussi après. C'est si difficile d'écouter, d'entendre, ça fait peur et froid dans le dos, les "souvenirs" de telles personnes nous rendent malades alors que nous n'appartenons même pas à leur "monde"... Bon courage à toi et merci pour tout ce que tu fais, bises
    10
    Lundi 28 Mai 2007 à 20:43
    @ Flo
    Si nous faisons tous dans nos vies un choix de société et non le choix de l'individualité, alors nous pourrons nous accompagner les uns les autres. Douce utopie ? Sur blogland, on s'y essaye un peu, non? Ravi de ton passage et à bientôt.
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