• Fumer est dangereux pour l’écrit

    « Abus », c'est le thème qu'ils ont choisi pour écrire leurs scénariis. C'est un thème suffisamment large et flou pour que cette classe d'apprentis en hôtellerie puisse laisser libre cours à son imagination. Les groupes formés par affinités se mettent à plancher, sans enthousiasme particulier, mais sans traîner des pieds et de la plume non plus... Style on fait ce qu'il y a à faire, point barre. Petit à petit les discussions s'animent et je sens l'intensité sonore augmenter. Par bribes, je capte des tranches de vécu, des condensés de soirées à la mémoire trouée par les remontées de bile, des concentrés de jus de crâne sur lit de gueules de bois et la nostalgie de parties de franches rigolades. Les élèves semblent prendre goût à l'exercice, et n'en finissent plus de se narrer...
    Au bout d'un bon quart d'heure, je leur propose de partager leurs écrits avec le groupe. La première bande visée refuse de lire son scénario et comme les élèves se le refilent façon « patate chaude », je leur propose de le faire à leur place.

    Je vous livre en intégral leur scénario, fautes comprises :
    « Le canabis (le shit) :
    L'ablut de shit est très bon extra pour la santé et provoque des sensation bizar (stonne, elephant qui vole, Bad tripe, petit lutin, vomissement, convulsion, comas, calme, endormit, joyeux, rigole tout le temps) provoque ossi des monter de chaleur (des couts de chaux) et nous pouvons devenir acrot. »


    Ça sentait le mélange entre le vécu bien barré sous champis mexicains (éléphant qui vole et petit lutin) et une sorte de bilan comptable des effets (quel coût donner au chaux, je vous le demande ?) Aussi, nous avons travaillé sur la diversité de ceux-ci en nous appuyant sur le fameux triangle d'Olivenstein. La toxicomanie résultant de la rencontre d'une personne avec un produit dans un environnement socioculturel donné, nul ne peut tirer de plans sur la comète à fumer, à sniffer ou à s'injecter... Après tout, il fallait bien rebondir sur cette histoire d'ablut de shit, tout en titillant un peu ces cerveaux un rien fumé...

    Le plus essoufflant était à venir avec cette seconde histoire concoctée par un groupe de filles :
    « ce matin la Elodie ne se sent pas bien car aucun mec ne voulait d'elle ensuite elle alla dans un bar et buva plusieurs biere wisky et pris de la coke elle rentra chez elle elle avait la tete qui tournait et des vomissements elle pris la voiture de sa mere sans son accor alla sur une route de campagne mais le probleme c'est qu'elle s'approcha d'une ecole à l'heure de la sortie des enfants sauf qu'elle était tellement faible qu'elle tomba dans le coma perdu le contrôle de sa voiture et ecrasa une mere de famille et ses enfants car elle roulait a plus de 80 km/h au lieu de 30 km/h »

    Jan de Bont tient là les scénaristes de son futur « Speed 3, cap sur la sortie d'école ». En effet, la première chose qui saute aux oreilles à la lecture de ce texte, c'est l'absence de ponctuation, comme si la suite d'événement s'enchaînait sans temps de récupération, comme un conte de la folie ordinaire pris d'une crise d'hystérie. L'enchaînement compulsif des ennuis suite à une prise abusive de produits est finalement (et probablement inconsciemment) bien rendu par le rythme de l'histoire... Les conséquences de l'abus sont traités sous l'angle de l'exceptionnel et on sent poindre derrière le scénario catastrophe une peur bleue de la défonce chez des filles qui n'ont probablement jamais abusées de quoi que ce soit... Heureusement pour les mères de famille, d'ailleurs.

    Juste avant la fin de l'intervention, un élève a levé le doigt pour me signaler que je l'avais oublié... Il m'a tendu une feuille blanche quadrillée sur laquelle il avait dessiné un superbe bang.

    Comme quoi, abuser des mots pour décrire l'abus de produits, c'est déjà abuser.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 8 Novembre 2007 à 13:52
    Bajour Didurban,
    Tordant ce post! moi,j'ai jamais eu ce genre d'effet secondaire,j'ai pas le permis,ça doit être la raison. Ca me créait juste des crises de boulimie terribles.Quand je me suis vue ouvrir tous les placards pour vider le contenu dans mon estomac,j'ai arrété net.Avant d'exploser :o)
    2
    Fred
    Samedi 10 Novembre 2007 à 16:50
    Epoustoufflant anti-conte de fée
    Salut Dr Kapote, Je trouve cette anecdote fort étonnante. Pour une raison qui m'échappe (l'inconscient, sans doute), l'histoire des filles m'évoque une forme d'anti-conte de fée. Comme si les filles de cette classe en étaient encore à rechercher le prince charmant, avec la peur de se trouver seules, sans mari. Une forme d'angoisse. Avec justement devant la solitude le refuge dans les produits "illicites", et le meurtre involontaire d'une famille "normale". Alors que les mecs semblent plutôt — à lire ton blog et à écouter ce qui se passe — branchés ultra-violence pornographique et filles faciles. Etonnant décalage. Mais il ne s'agit que de mon interprétation… A +
    3
    Samedi 10 Novembre 2007 à 17:00
    alors je note bien quelque chose
    qui est lié à ton post suivant : la fameuse absence de ponctuation. Je ne suis pas sûr qu'elle soit si absente que ça. c'est presque sous-entendu dans l'autre post : "bâtard, salope" sont autant de virgules qu'ils n'ont pas rendu ici à l'écrit.
    4
    Jeudi 22 Novembre 2007 à 09:25
    bonjour au lieu de prendre mon café
    je suis venu ici... grâce (avec un chapeau) à ton élan promotionnel chez lilien, chez lilly quoi.
    5
    Jeudi 22 Novembre 2007 à 16:28
    max
    un homme deux fois avertit en vaut quatre…
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :