• Éducation à la santé : Manu l’a tuer !

    Éducation à la santé : Manu l’a tuer !

     

    [à François]

     
    Comme si l’ambiance n’était pas assez plombée, je me suis fait un bon shoot lacrymal en visionnant It’s a Sin, la minisérie sur le sida réalisée par Russell T. Davies. Même si la BO sonne eighties et que le virus n’est pas le même, le merdier pandémique actuel a un goût de revenez-y. It’s a Sin rouvre le dossier du début du sida où toute une génération de jeunes gays, souvent frappés d’ostracisme familial, est fauchée par un virus inconnu. Point de salut pour ceux qui ont péché (sin) par homosexualité, pensaient les réacs. Sida is disco*, répondait Act Up. Aujourd’hui aussi, d’autres parias, les usager·ères d’Ehpad, les personnes obèses ou les premier·ères de corvée, agonisent sous les néons des salles de réa, puis sont enterré·es comme des pestiféré·es en petit comité. La seule différence entre les deux épidémies, c’est l’âge de celles et ceux qui nous quittent… et probablement la bande-son. Covid is (en) marche funèbre.
     
    Au sujet de la série, j’aimerais revenir sur cette scène où Ritchie, le personnage principal, dans le déni d’une éventuelle séropositivité, s’essaie frénétiquement à l’auto­médication : œufs gobés et ingestion de vitamines, de graines de lin, de lécithine mélangée à du beurre fondu, de son urine et même d’acide de batterie.
    Dans la course à la survie, la panique et l’absence d’informations fiables poussent les plus vulnérables à ne négliger aucune hypothèse thérapeutique. Aujourd’hui, amplifiée par les réseaux sociaux, la quête du remède miracle est toujours d’actualité et on l’a constaté avec l’hydroxychloroquine, la nicotine, l’injection de Javel, l’overdose de vitamine D et toutes les ordonnances des apothicaires du Net. Dans ce climat anxiogène, augmenté par le décompte morbide journalier des hospitalisations, on y perd notre latin et notre esprit critique. Plus grave, quand la circulation de l’information est pyramidale et non collaborative, la suspicion, voire la conspiration gagne les esprits.
     
    J’accuse nos gouvernants d’avoir souillé la mémoire des 32 millions de morts du sida par leur gestion erratique de la crise. Masques ou pas, confinements ou pas, tests ou pas, vaccins ou pas… Avec leurs tergiversations chroniques suivies d’oukases, ils ont ruiné les fondations d’une éducation à la santé participative, inclusive et respectueuse de tous et toutes, façonnée en quarante années de lutte contre le VIH. En un an, ils ont mis sous perfusion la solidarité, l’empathie, le devoir de mémoire, l’accompagnement de fin de vie, le lien intergénérationnel et le plus important, la confiance en nos soignants.
    Leur manière d’imposer leurs choix à l’Assemblée, sans concertation, m’a rendu nostalgique des RH (réunions ­hebdomadaires) d’Act Up dans les années 1990, avec l’esprit collaboratif qui les animait. Je conserve un souvenir ému de la richesse des débats, de la somme des intelligences mise au service de la lutte contre le virus, du partage d’idées pour préparer les actions militantes. Les malades du sida et leurs allié·es avaient créé une démocratie sanitaire éclairée, permettant aux patient·es d’être acteurs et actrices de leur prise en charge. Ils l’ont écrasée à coups d’attestations et de PV.
     
    Parallèlement, en 1986, la charte d’Ottawa a posé les grands principes de la promotion de la santé, stipulant que celle-ci devait être « le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci ». La charte se réfère à la définition de la santé de l’OMS qui dit entre autres, tenez-vous bien, que « la participation de la population est essentielle dans toute action de promotion de la santé ». Pas besoin de sortir de l’ENA pour capter que pour que les individus exploitent pleinement leur potentiel santé, il faut qu’ils puissent s’appuyer sur un environnement favorable, aient accès à l’information, développent les aptitudes nécessaires pour faire des choix judicieux !
    La triplette Macron-Castex-Véran nous a renvoyé·es à la préhistoire de l’éducation en nous infantilisant à chacune de ses allocutions et en évitant soigneusement d’interroger les raisons du manque d’adhésion aux mesures imposées. Pire, les jugements moraux ont fleuri comme au début de l’épidémie de sida, pointant l’absence de masques en lieu et place – enfin, pas tout à fait – des capotes.
     
    Je me souviens aussi de la naissance, en 1992, du TRT-5, un collectif interassociatif qui intervenait auprès des pouvoirs publics sur des questions liées à la recherche, à la politique du médicament ainsi qu’à la qualité de la prise en charge médicale et du parcours de santé. Aujourd’hui, ce groupe exerce toujours une veille éthique permanente sur tous les essais cliniques. Concernant le Covid-19, la collaboration avec les acteur·trices de terrain est inexistante. Il ne nous reste que Twitter pour pleurer, se fédérer et échanger, les personnes en Covid long en sont un exemple frappant.
     
    Mais nous ne sommes pas dupes et le dernier rapport annuel d’Amnesty International appuie là où ça fait mal : nombre de dirigeant·es ont profité de cette crise pour diaboliser la science, continuer à fragiliser nos systèmes de santé publique, discriminer des personnes déjà fragilisées (les constats moralisateurs sur l’incidence virale en Seine-Saint-Denis) et instrumentaliser ce virus pour lancer de nouvelles attaques contre nos droits (loi « sécurité globale »). Comment garder de la crédibilité dans l’accompagnement des jeunes vers leur autonomisation et la prise en charge de leur santé, quand tous les choix faits par ce gouvernement vont à rebours ? D’autant plus que ces mêmes jeunes ont servi de lampistes pour masquer les ratés stratégiques.
     
    « Knowledge is a weapon » (la connaissance est une arme). J’ai porté ce tee-shirt d’Act Up jusqu’au bout de sa vie ­textile. Mais la connaissance qui se partageait est désormais confisquée et distillée en fonction des besoins politiques. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé que 2,2 millions de PV avaient été dressés depuis mars dernier. On n’est plus dans l’éducation à la santé, mais bel et bien sous une dictature sanitaire, imposant sa vision libérale d’une santé qui doit rapporter. Manquerait plus qu’ils nous imposent un programme de rééducation à la santé. Confiné·es au violon, quoi.
     
    Dr Kpote
    * Slogan d’Act Up faisant référence à la house music, le « disco » de l’électro qui a accompagné les concernés dans les clubs, les manifs, mais aussi au crématorium.

    Photo © emma wondra


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