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didurban1 dans
Prévention le
14 Février 2008 à 09:54
Deux heures et puis s'en va... Deux heures, c'est la durée d'une animation. Deux heures, c'est parfois long, quand la classe s'en fout, que les esprits s'enfuient, que les visages sous les parkas s'enfouissent. Et puis deux heures, c'est souvent trop court, quand les questions fusent sur les filles, les garçons, les histoires, les embrouilles, la fellation ou la sodomie, la transmission des virus, les moyens de contraception, l'orientation sexuelle, les agressions... Deux heures, ça suffit parfois à réveiller les vieux démons, à redonner vie aux cauchemars bien rangés, sous perfusion d'oubli, au fond de la mémoire. Je remarque alors un changement d'attitude, un regard mouillé, un rictus nerveux. Quelquefois, n'y tenant plus, certains ou certaines se lèvent et sans un mot, sortent, pour se jeter dans les bras de l'infirmière qui leur a embrayé le pas. Ensuite, il y a un blanc et des rires forcés.
Hier, dans un centre d'apprentis au cœur de Paris, c'est une jeune fille qui a patienté pour partager son intimité. Je l'ai trouvée toute suite cernée, comme très éprouvée par l'animation. Les mots se sont bousculés, véritable foule de syllabes tentant d'échapper aux flots des sanglots en train de monter. J'entends l'inceste, les rapports sexuels forcés avec un cousin plus âgé quand elle avait 11 ans... La police qui n'a rien voulu entendre, la culpabilisant... Les moqueries, les insinuations, et puis la vie qui balbutie... Bancale, la vie... Erigée en Tour de Pise sur ses fondations violentées... Sa sexualité bloquée sur son corps souillé... Sa boulimie, ses tentatives de suicides... Son copain, exceptionnel, qui comprend, qui soutient mais qui fatigue parfois. Je manque de temps car j'ai une autre classe dans la foulée, qui trépigne dans le couloir. Répondant à ses envies judiciaires, je lui conseille quand même de porter plainte car il n'y a pas prescription, de se faire accompagner car le combat sera rude, de tout mettre en œuvre pour faire reconnaître son statut de victime, condition à sa reconstruction. Je suis obligé d'être concis, professionnel, presque froid. Des élèves arrivent pour investir la classe, le prof s'agace... L'intimité est brisée, l'échange avorté... Un dernier sourire triste échangé et son visage s'efface dans les bousculades de couloirs. Deux heures et puis s'en va...
En rentrant chez moi, j'ai décidé de briser la confidentialité de notre entretien et j'ai informé l'assistante sociale du CFA de cette situation, craignant que l'animation ne l'invite à se taillader une nouvelle fois les veines... L'assistante sociale, émue, m'a dit qu'elle ferait tout pour rentrer en contact avec elle sans lui faire part de mon appel. Pourvu que...
les mots sans pleurer, Didu. Tu as bien fait.