• Ça suffit

    Elle s'appelait Samira. Samira Belil. Des Samira, j'en rencontre souvent… Laissons lui la parole :

    "J’ai été violée à trois reprises, il m’a fallu beaucoup de courage pour vous faire un sourire.

    Il m’a fallu quinze ans pour m’en sortir, quinze ans, c’est long. A l’âge de vingt-quatre ans, je me suis dit : je ne peux plus passer ma vie à pleurer, dans les larmes, le shit, à boire, à me détruire complètement, à faire parler les autres gars, ça a mis cinq ans pour redevenir humaine, pour cesser d’être sauvage, pour pleurer déjà (je ne pleurais plus), à la fin de ma thérapie, mais merde, ce que j’ai vécu, ça fait quinze ans que je le mange, matin, midi et soir, eux ils sont tranquilles, ils ont payé à la société et non pas à moi, ils ont fait leur peine de prison, j’entendais des mecs dire : de toute façon, elle l’a cherché, je ne rencontrais vraiment aucune compassion, de la part de qui que ce soit, ni de la part des jeunes, ni de la part de mes parents.

    Il n’y a pas eu de main tendue pendant quinze ans, quinze ans c’est long quand il n’y a pas de main tendue, c’est là que je me suis dit : Samira, il va falloir que tu expliques ce qui se passe, à tout le monde, ce qui se passe réellement. Je voulais expliquer par quoi on passe, nous les filles dites pas bien, dites « pétasses », on parle toujours des filles sages, sérieuses, c’est l’image qu’on a dans les médias sur les filles qui réussissent mieux à l’école, on parle pas des galériennes, moi je veux qu’on parle des galériennes, je veux qu’on parle de tout ça, toutes ces filles-là, voilà ce à quoi je pense ; je pense à ces jeunes qui ont trente ans, vingt quatre ans, vingt ans, elles ont voulu vivre, on les met dans des petites cases, c’est elles qu’on voit chez le juge, chez l’assistante sociale, c’est tout le temps les mêmes qu’on voit, je pouvais plus supporter ça. Je me suis dit : : Samira, tu vas témoigner et tu vas expliquer un petit peu à ces gens, aux parents, aux frères, aux cousins, aux juges, aux éducateurs, aux animateurs, aux avocats, à plein de monde, quel était notre état d’esprit, ce qui fait qu’on tombe dans un viol collectif, et pas une « tournante », ça m’énerve aussi, ça s’appelle un viol en réunion, on passe aux assises, et pas en correctionnelle pour une affaire comme ça, c’est un crime, c’est puni par la loi. C’est une manière de dénier ce problème aux quartiers, on est dénié du début jusqu’à la fin à partir du moment où on a été victime de ça ; moi je rencontre des tas de jeunes filles qui sont déniées, c’est très éparpillé ce que je dis, je le conçois bien, mais c’est pas normal ce qui se passe.

    Je ne suis pas en colère par rapport à ces garçons, je suis en colère par rapport aux adultes, à la justice, au pouvoir.

    Je suis en colère par rapport aux éducateurs, aux assistantes sociales, il y a des démarches à faire, on n’est pas costaud pour les faire, j’avais quatorze ans, on me dit faut aller porter plainte, on me dit que c’est la loi, on me dit que c’est mon devoir et mon droit d’aller porter plainte, je vais porter plainte, à partir du moment où j’ai porté plainte, j’avais quinze à vingt gars par jour qui me crachaient dessus, qui me tapaient, qui me forçaient à ce que j’enlève ma plainte, ouais, ouais j’enlève ma plainte, jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas enlevé ma plainte, y a eu un deuxième viol, parce que j’avais porté plainte, le mec m’a attrapée dans le RER, il s’est dit : t’as porté plainte, t’as ouvert ta gueule, je vais te le faire payer une deuxième fois ; donc deuxième viol en réunion, je ne dis toujours rien, je ne porte pas plainte, je savais ce qui allait se passer.

    Je me tais, il se trouve que nous avons été dix filles à être violées par cet individu, les démarches c’est super grave, faut pouvoir aller voir une association, l’association en question s’est foutu de ma gueule aussi : je vous parle cash, je prends pas de gants, l’avocate est carrément partie au ski, jusqu’à aujourd’hui je ne sais pas pourquoi madame est partie au ski, j’ai pas eu de réponse, elle a envoyé un stagiaire, et ce stagiaire a demandé un franc de dommages et intérêts en ce qui me concerne, moi je chie dessus, je ne vaux pas un franc.

    Suite à ça, j’ai continué ma déchéance, ma destruction, y a pas eu un regard. J’ai pas eu d’éducateur qui m’a dit « t’as peut être besoin d’aller voir quelqu’un », « t’as peut-être envie de parler », non, personne me l’a demandé.

    Et ça continue encore aujourd’hui, on m’a laissée comme ça, pendant des années : j’avais un juge pour enfants, un éducateur qu’étaient censés s’occuper de moi, j’ai rien eu de tout ça, j’ai été de foyer en foyer, des foyers en éducation surveillée où y avait d’autres agresseurs, pas les miens. Les agresseurs d’autres filles, déjà on se pose la question par rapport au juge pour enfants, y a eu viol collectif : comment se fait-il que l’agresseur soit dans un foyer alors que sa place est en prison ? Les sociétés n’ont pas trouvé autre chose que la prison, en prison il faut les éduquer, leur faire comprendre pourquoi ils ont fait ça, c’est intéressant.

    Ce sont aussi des victimes, mais je ne cautionne pas, y a des lois, faut les appliquer."


  • Commentaires

    1
    Samedi 26 Mai 2012 à 10:13
    beau témoignage
    C'est extrait de son livre ? si oui, il faudrait le citer... Dans tous les cas, ce témoignage date de 10 ans, et parle de faits commis dans les années 1980...et à lire fidèlement ton blog, on s'aperçoit que rien n'a changé (à moins que ca ne soit pire ?)...et pas sur que pour toutes ces filles le changement ca soit pour maintenant...
    2
    Vendredi 1er Juin 2012 à 14:30
    Non c'est un extrait
    du discours qu'elle avait tenu au moment de la pose d'une plaque commémorative pour Sohane, brûlée vive par un petit caïd de quartier. Je crois que c'était en 2004 à Vitry. Non, pas grand chose à changé. Hélas.
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