• Big Brother se rince l'oeil

    Le RER me dépose dans une petite banlieue du 91 bien tranquille, très pavillonnaire, propre en façades et joliment jardinée en terrains. Je la traverse à pied et je suis bien le seul être humain à marcher. Autant dire que je suis un peu suspect vu des 4x4 et des familiales matinales. Le lycée est excentré, à proximité d'une forêt... Mais le loup peut à tout moment sortir du bois et déranger cette charmante petite communauté. Le loup en l'occurrence a un nom, ou plutôt un profil informatique : il se présente sous forme de DviX et circule sur les portables. En effet, dès mon arrivée, l'infirmière me signale que deux jeunes filles de l'établissement ont été filmées par leur partenaire à leur insu pendant des rapports sexuels et que les images circulent à l'intérieur et à l'extérieur de l'établissement. Profondément choquées, l'une refuse de revenir à l'école et l'autre rase les murs sous les quolibets des filles et les regards salaces des mecs.

    Me voilà au parfum. Je décide de faire mon intervention le plus normalement du monde mais en insistant dans la partie juridique, sur le droit à l'image, le respect de l'intimité, les conséquences graves d'un tel acte et surtout la complicité tacite de ceux ou celles qui se délectent de telles images. Je ne peux pas m'empêcher de penser à cette classe de St Denis, l'année dernière, où les élèves avaient tous sortis leurs portables pour me filmer en train de poser le préservatif sur le sexe de démonstration. Je leur avait alors expliqué que je n'avais aucune envie de me retrouver sur YouTube et qu'ils auraient pu avoir l'élégance de me demander mon avis. Ils avaient trouvé mes remarques « anachroniques », m'expliquant qu'aujourd'hui, tout le monde filmait tout le monde. Un pur bonheur pour les sécuritaires de tout bord : ils n'ont même plus à casser leur tirelire pour nous filmer dans la rue, les grandes surfaces, les parkings, les bus, etc...., nous nous surveillons les uns les autres... Ce type d'argument militant face au « Bigbrotherisme » ambiant ne fonctionne pas avec les ados, puisqu'en général, ils s'en « battent les couilles ».

    Mais cette fois, le problème est plus grave et les conséquences peuvent être dramatiques. Les infirmières craignent qu'une des jeunes filles tente de mettre fin à ses jours. Aussi, je suggère aux classes, au cas où ils seraient au courant d'une affaire de ce type, de révéler le nom du ou des réalisateurs du film. Tant pis pour la fameuse loi du silence, le mauvais rôle de la « balance ». Nous ne sommes pas face à un cas de vol de vélo ou de lecteur de mp3 : la vie d'une élève est entre leur main. Je mesure mes paroles, j'appuie sur chaque syllabe pour donner du poids à mon intervention. Les réactions sont inexistantes. Un silence lourd envahit la salle et je décide de les quitter sur cette note pour donner encore plus de poids à mon propos. En regagnant le RER, je me demande combien de jeunes filles ou garçons vont subir ce type d'outrage dans les mois qui viennent. Je me dis, qu'à l'allure où on va,  il y a bien un type qui va réussir à se faire transplanter une micro-webcam au bout du pénis pour filmer à l'intérieur du saint des saints, le vagin, et pourquoi pas, permettre au monde entier de visionner en avant-première les images saisissantes de ce fameux point G, que même Indiana Jones continue de chercher.


  • Commentaires

    1
    Fred
    Mardi 6 Mars 2007 à 00:02
    Big Brother, l'étape d'après
    En 1948, quand Orwell avait écrit son "1984", il imaginait que "Big Brother is watching you". Ses lecteurs avaient pris ça pour une alerte contre le totalitarisme, et maintenant nous n'avons pas d'écrans qui nous regardent, mais des caméras qui nous surveillent, des webcams si on veut, et des individus anonymes qui peuvent — s'ils le désirent et à notre insu — nous filmer et diffuser leurs petites productions dans les youtubes et autres google-video. C'est très bien quand cela permet de prouver une bavure policière, c'est moins drôle quand ça devient le concours de claques (on a vu ça fleurir l'an dernier si je me souviens) ou d'ébats sexuels. Je m'interroge comme toi didurban sur cette société et cette jeunesse qui s'amuse à se filmer en train de niquer et qui le diffuse. Comme si en peu de temps, nous étions passés de cette société libre rêvée par les soixante-huitards à une société libérale où tout est permis, sans limite aucune. Il y a dans le Monde 2 de ce week-end (oui, ça va, je sais, j'achète parfois la presse sarkosyste…) une interview du philosophe Ruwen Ogien (auteur entre autre de "Penser la pornographie"). Ses idées me semblent intéressantes car il ne la rejette pas, ne la juge pas, mais cherche au contraire à l'intégrer dans la réalité de notre monde d'aujourd'hui (mais comme il n'intervient pas dans les lycées de banlieue, son analyse semble se limiter à la pornographie "classique" diffusée). Quant à ton idée finale limite SF, il y a après celle du film "Strange days". Un procédé révolutionnaire permet de filmer ce que l'on vit pour se le reprojeter dans le cerveau. Evidemment, les trucs de cul ont la faveur des clients (sans oublier quelques snuff movies bien sordides). L'œuvre doit bien avoir dix ans. Elel se passait au tournant du millénaire, dans une sorte de fin de siècle qui évoquait une fin du monde. Bon, le réalisateur ne pouvait pas savoir que le XXIème siècle débuterait le 11/09/2001…
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