• Allah tombe plutôt bien

    C'est une rencontre qui date d'une de mes interventions l'année dernière. Elle vaut bien son pesant de capotes... Il y a en France, dans nos banlieues, des répliques exactes de ces images de chaos urbain « folklorisé » dans les téléfilms ricains, sur fond de voitures et scooter dépouillés, de bandes en baggy qui traînent et de zombies crackés. Certains coins du 93 en font partie, et ça on ne vous le dit pas sur mappy.fr. Je suis dans le bus n°601A et je cherche un lycée professionnel pour y faire une information sur le sida et les IST. Voyant les cités se succéder sans l'ombre d'un panneau indiquant une quelconque oasis d'apprentissage, je m'approche du chauffeur pour lui demander s'il connaît le lycée en question. Un grand type, accoudé à ses côtés comme au comptoir, se retourne :- « Je descends à cet arrêt, je vous indiquerai »
    Effectivement, à l'instant T, le type me fait signe et m'invite à le suivre. Nous sommes les seuls à descendre du bus. En face de nous, un supermarché survit à l'ombre des tours. Des détritus jonchent le parking. Des voitures aux vitres aussi fumées que leurs occupants accélèrent au feu orange et passent au rouge... Avenant.
    - " Vous êtes profs ? "
    - " Non, intervenant. Le lycée est par là ? "
    Le type, la trentaine bien tassée, le pas nerveux, du genre à se bouffer le gras de l'intérieur, ne semble pas très satisfait de ma réponse.
    " C'est quoi un intervenant ? T'es flic ? ".
    Visiblement, pour la police, on passe au tutoiement.
    - " Non, Non, je viens pour faire une intervention auprès des élèves. C'est par là le lycée ? "
    - " Ouais, ouais, au milieu de la cité, là-bas. J'y vais aussi. "
    Le sentant un rien soupçonneux, sur le terme « intervention », qu'il associe plus à une descente de la BAC qu'à une séance de prévention, je me décide en lui en dire plus sur mon activité.
    - " Je fais de la prévention, je viens informer les élèves du lycée sur le Sida et les Infections Sexuellement Transmissibles, la sexualité... "
    D'un coup, il se retourne et son visage s'illumine :
    - " C'est Allah qui t'envoie, mon frère "
    - " Il n'y a rien de divin là-dedans, je suis juste arrivé par le RER. Et je peux t'assurer qu'Allah n'y est pour rien..."
    - " Moi, je te dis que c'est Allah qui t'envoie, mon frère. Je t'explique. Tu vois, la semaine dernière, j'ai pécho une meuf. Tu vois, je lui donne, je lui donne, je lui donne, je lui donne... une pure bonne. Alors, je lui donne, je lui donne... (il mime avec son bassin les coups de boutoir qu'à dû subir la pauvre fille...)
    - " Ouais, ok, vous faites l'amour, quoi ! " Je le coupe, un rien excédé.
    - " L'amour ! Pfff, t'es un lover, toi ! On dit jamais ça ici ! L'amour... On nique, quoi ! Enfin, j'avais acheté une capote... Mais sûrement trop petite, tu vois parce qu'elle pète... "
    Bien sûr, le type avait trouvé la seule pharmacie qui vend les capotes à l'unité mais en plus, il me signale que la taille de sa bite lui vaut quelques soucis, non sans me faire un clin d'œil complice. Sans surprises.
    - " Qu'est-ce que je risque là ?"
    20 ans d'épidémie... Le virus a tué plus de 20 millions d'êtres humains depuis l'identification des premiers cas de SIDA en 1981. Et on en est toujours là... Je cache tant bien que mal ma déception et, réflexe de formateur, je lui renvoie la question afin qu'il verbalise lui-même ce qu'il sait probablement déjà.
    - " J'risque le dass. (sida, n.d.l.r.), alors ? "
    - " Entre autre, mais aussi, tu t'es inquiété de savoir si elle prenait la pilule, la fille ? ou un autre moyen de contraception. "
    - " Ça m'étonnerait, ça se fait pas chez nous ça. De toutes façons, c'est son problème. Mais tu crois qu'elle peut porter plainte pour viol ? "
    Putain, on y était. Nous étions au cœur de la cité. Il faisait des signes à des potes encapuchonnés toutes les deux secondes et le mec commençait à me tester sur le viol. Je m'arrête d'un coup.
    - " Attends, elle était consentante ou pas ? "
    - " Ouais, c'est bon. Tu sais ce que c'est, elles aiment ça, la bitte. Le lycée est là. Salut et merci. "
    - " Attends, je peux te filer quelques adresses pour aller faire un test de dépistage, si tu veux. "
    - " Un test ? tu me prends pour qui ? je suis clean, moi... Mais bon, file toujours... "
    Après avoir pris du bout des doigts le dépliant sur les centres de dépistage du 93, à l'intérieur duquel j'ai quand même glissé un autre sur les plannings familiaux du coin, le type disparaît derrière un immeuble. Je me retourne devant une grille en fer. Trois sas d'entrée. Une guerrite aux vitres fumées (décidément !) avec des caméras. Des dizaines de baggys et de casquettes devant et derrière les grilles. Je me suis dit qu'il ne fallait pas trop traîner, juste au cas où Bronson se pointerait pour venger sa fille...

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :