• Adolescence : des sentiments dans le lubrifiant

    Issu de la génération « éducation sexuelle » en Sciences Naturelles, la lutte contre le sida a fait de moi un animateur de prévention. Trente ans de pandémie, environ 5000 jeunes de 15 à 18 ans rencontrés par an, soit près de 100 000  en une vingtaine d’années de militantisme… Comme on dit dans la finance, j’ai fait du chiffre. Mais parler sexualité aux ados n’est pas chose aisée et les questions restent légions : les ados sont-ils tous les mêmes ? Avons-nous su les toucher ? En réduisant la sexualité aux prises de risque, ne les avons-nous pas profondément déstabilisés ? Et si nous nous étions tout simplement trompés ?

     

    Il y a vingt ans, la prévention balbutiait dans l’urgence. Le sida, vautour viral, rôdait au-dessus de nos couches et avait becqueté bon nombre d’entre nous. Dans l’urgence, nous étions forcément maladroits, comme une première fois. Nous parlions de sodomie à des gamins qui ne s’étaient pas encore léchés les dents et de fellation à des prépubères. Nous justifiions nos propos par le nombre de morts… L’époque accoucha de la libre antenne avec le  Lovin’Fun où le Doc et Difool orchestraient les premières branlettes sous la couette.

    Nous parlions cul. Et surtout, nous parlions cru. L’amour, avec un grand A, aurait pu nous attaquer pour homicide. Nous l’avons laissé agoniser, sous perfusion d’images de plus en plus impudiques, où se sont télescopés pêle-mêle une télé réalité hyper sexuée, des bimbos en « prime » et des pubs pour boissons gazeuses, avec des biches à gros bonnets qui masturbent des bouteilles jusqu’au zeste. Les ados cathodiques ont ingurgité du rapport vite-fait, sans carré blanc.

    Le sida sous trithérapie faisant moins peur, le petit monde de la prévention a revu sa copie. Nous avons enfin redonné vie aux émotions.

    Las, l’époque ne nous avait pas attendue. Désormais, il y a les meufs qu’on baise en attendant la femme hallal qu’on choisira sur les sites communautaires. La pornographie promène ses cougars et femmes fontaines du net aux smartphones et, en quelques années, la fellation a remplacé les caresses en mode préliminaire. Certaines filles prennent des pilules du lendemain comme des smarties, d’autres se cherchent une identité entre sexy pute et bonhomme qui s’en bat les couilles. Pendant que Biba vend du sextoy en rubrique « pratique », les ados font le grand écart entre clips de rap où les biatches  (filles faciles) offrent leurs culs comme on tend un micro et les tabous familiaux.

    Les médias et les censeurs ont inventé le cul-vapeur. D’un côté on met le feu, de l’autre on ferme le couvercle. Aux psys de se récupérer les mômes en pleine fusion !

    Aujourd’hui, pour les ados, la sexualité est un produit de consommation comme les autres et tous ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a le sexe hard discount,  radical, qui ne s’encombre pas de préliminaires à l’emballage, façon " j'te kiffe, j’te nique "  avec ces fameuses histoires de tournantes, de chatte qu’on défonce, de keums qui crachent et de meufs qui mouillent. Et puis, à quelques kilomètres de là, il y a ceux qui se préparent pour le grand soir mais qui peuvent tout aussi bien, dans une explosion d’hormones, perdre leur innocence sous vodka Red Bull dans une skins party.

    En vingt ans, de St Denis à Neuilly, de Clichy à Evry, j’ai distribué des milliers de capotes. Pourtant, je reste persuadé que l’empathie, le respect du partenaire est la meilleure des préventions. Aujourd’hui, j’essaye de donner du latex avec plus de sentiments dans le lubrifiant.


  • Commentaires

    1
    Samedi 17 Mars 2012 à 21:45
    Le cul-vapeur
    C'est , tellement, mais alors tellement ça! Si tu n'a pas de copyright sur l'expression, je te la vole, parce qu'elle peut servir à tellement de chose dans le rapport que nous entretenons avec nos adolescents. ( consomme, parce que ça me rapporte des sous, mais ne grossis pas, parce ça fout la honte)
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    2
    Dimanche 18 Mars 2012 à 11:43
    Pas de problème Anita
    ici pas de copyright, tu peux voler ce que tu veux. You're welcome.
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