• Cameltoe vs drometoe

     
    Dans mes années acné, les hard-rockeux et leurs futals moule-burnes étaient l’objet de toutes les railleries phallocratiques. New wave, Batcave et autres post-punk que nous étions, prenions plaisir à les ridiculiser en massacrant dans les aiguës Highway to Hell, les testicules bien empoignés et la bouche figée dans un rictus aussi tordu que le chanteur des Pistols. Ayant découvert par la suite le remonte-couille toulousain, slip contraceptif agissant sur la température des boules, je me suis dit que tous ces sataniques moulés, probablement stériles avant l’heure, étaient finalement bien plus no future que nous.
     
    Une fois adulte, en causant sexualité dans les bahuts, j’ai pu constater qu’un pantalon slim ou skinny nourrissait chez certains mecs des suspicions d’homosexualité. Un cul bien moulé, c’était « un truc de pédé », n’avaient de cesse de rabâcher des hétéros plus au large dans leurs baggys, devenus les hommes-sandwichs des marques de caleçons. Le pantalon se portait alors en mode prison, sans ceinture pour le relever. Un vrai bad boy, amateur de schnecks, ne pouvait faire dans le justaucorps, histoire d’éviter la savonnette dans les douches, vieux mythe sodomite et carcéral bien présent dans l’imaginaire masculin.
     
    Inégalité flagrante, on s’est cogné des kilos de fesses en caleçon sans la moindre réflexion, là où devant le moindre millimètre de string échappant au jean, on ne fait pas dans la dentelle question réputation. Autre temps, autres mœurs, chacun·e se ­souvient du passage par le « taille basse » où les « sourires de plombiers » ont égayé nos journées et ambiancé les chantiers. Et puis, venu de la planète sportswear, le survêtement moulant, logotypé aux grands noms de la Ligue des champions, Barça, Juventus ou Bayern, a déferlé dans la street. Le gilet jaune de la première heure, Karl Lagerfeld, s’était exprimé sur le sujet et avait déclaré : « Les pantalons de jogging sont un signe de défaite. Vous avez perdu le contrôle de votre vie, donc vous sortez en jogging. » Loin d’être aussi nihiliste que lui, je pense que les bas de survêt bien serrés peuvent introniser une nouvelle ère plus égalitaire, à condition de ne pas les voir comme un signe de défaite masculine, mais comme un moyen offert aux femmes de viser le match nul sur le terrain de l’objectivation des corps.
     
    « Monsieur, franchement, les meufs avec leur legging bien moulé sur leurs boules, vous n’allez pas dire, mais elles nous chauffent grave, non ? » Cette affirmation balancée par un grand mec, dans un lycée de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), sûr de son analyse de la provocation sexuelle, allait me permettre d’ouvrir le bal. Je lui ai demandé de se lever et je crois que certain·es pensaient que j’allais le virer pour sanctionner une attitude trop décontractée à mon endroit. « Si j’ai bien compris ta pensée, avec ton survêtement bien moulant, tu cherches aussi à nous chauffer en exhibant tes formes ? »
    Une fois le moment de sidération puis d’hilarité passé, un autre mec, porteur du même vêtement, mais aux couleurs d’un autre club, a tenté de reprendre la main : « Monsieur, on n’a pas de formes, nous ?! » J’ai embrayé, au taquet : « Ah bon, pas de fesses, pas de bosse devant ? Vous qui avez tendance parfois à accorder beaucoup de place à la taille de votre sexe, je suis surpris que vous lui en laissiez si peu dans votre survêt. » J’ai rappelé que certains mecs s’amusaient à repérer le cameltoe sur les fringues des filles, soit la forme de la vulve vue sous des vêtements. Et si, pour rétablir l’équilibre, on pointait leur drometoe, ce paquet génital que bon nombre ne se gênent pas pour repositionner en public et en toute tranquillité ? Ils découvriraient alors cette fameuse objectivation des corps qui, pour l’instant, les épargne en dessous de la ceinture. Et puis il n’y a pas que le sexe dans la vie, le galbe d’un mollet parfaitement moulé par le synthétique, ça peut être aussi émouvant qu’un boule qui twerke dans un clip ! Je leur ai même signifié que nombre de leurs mollets feraient kiffer des tas de talons aiguilles rêvant de les surélever. Mais là, j’avais franchi le Rubicon du genre et je m’aventurais sur des terrains queer en jachère pour bon nombre d’entre eux.
     
    Peu d’hommes imaginent qu’on puisse fantasmer sur la rondeur de leurs formes, réduisant souvent leur sex-appeal à leur personnalité. Une fille, au premier rang, a chuchoté « il a un beau cul bien musclé », en parlant du mec ciblé. Je lui ai souri tout en l’invitant à l’exprimer à voix plus haute, mais elle a refusé, gênée.
    Le survêtement moulant ouvre un nouveau champ des possibles au féminisme en rétablissant de l’égalité dans les représentations des messages du corps et de la séduction. Dans une école de la deuxième chance du Val-de-Marne, une jeune fille, très en formes, fatiguée d’entendre des réflexions relou dans la rue, l’a très bien compris : « Je leur parlerai de leurs survêts et de leurs petits culs quand ils me prendront la tête sur mes leggings. Monsieur, vous allez me faire mon été ! » Les autres filles se sont bidonnées et les garçons, prudents, ont ravalé leur glotte.
    Sous le soleil de l’été, les rois du ballon rond auront les bonbons qui colleront au papier et leurs oreilles vont sacrément siffler.
     
    kpote@causette.fr et sur Facebook/Twitter

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