• En marche vers la cata

    Photo prise par mes soins lors de la manif du 7 mai

    En espérant que cet article soit caduque mais j’ai cru comprendre que certain.es veulent encore la peau des infirmier.es scolaires… À suivre, donc.
     
    Santé sexuelle et mentale, égalité femmes-hommes, alimentation, drogues, etc., les thématiques de prévention à l’intention des jeunes ne manquent pas. Mais pendant que le monde de la santé scolaire s’active dans l’urgence du quotidien, Blanquer et Buzyn – respectivement ministre de l’Éducation nationale et ministre des Solidarités et de la Santé –, bonimenteurs de la « confiance » bon marché, planchent à la suppression d’acteurs incontournables, qui accompagnent nos gosses dans leur socialisation, des premiers genoux râpés aux boutons d’acné : les infirmiers et les infirmières scolaires.
    Dans les tuyaux oxydés de la Répu­blique, l’idée de les externaliser dans des centres médico-scolaires en dehors des écoles fait son chemin. Sous les ordres d’un·e médecin, ils et elles deviendraient des intermittent·es du bahut, missionné·es pour des actes « biométriques », mesurant le vivant en kilos et en centimètres dans un temps imparti trop court pour ausculter les affects. Dans une lettre envoyée aux sénateurs en mars, les infirmiers et les infirmières signalaient que ce projet visait à recréer un modèle de « service de santé » dissous en 1984, car jugé « inefficace, obsolète et inadapté à l’évolution des besoins des élèves ». Sacré progressisme !

    « Les gens croient qu’on distribue du Spasfon et du Ricqlès sur du sucre aux jeunes. Ils n’imaginent pas la réalité de nos journées, où nous accueillons leurs confidences. Les infirmiers et les infirmières, couteaux suisses des bahuts, sont amené·es à disparaître », m’a confirmé Nathalie Cunliffe, infirmière scolaire à Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) et syndiquée SNICS-FSU. Mais, concrètement, que signifie cet éventuel déplacement dans des centres de santé ?
    Comme les infirmiers et les infirmières sont mes interlocuteurs et mes interlocutrices privilégié·es pour mener à bien mes missions de prévention, je mesure l’ampleur de la catastrophe annoncée.
    Leur externalisation amputerait les établissements de connexions directes avec les jeunes. Dans les couloirs, en maraude, les infirmiers et les infirmières identifient les solitudes, s’inquiètent des retards, éventent les cabales, interrogent les postures et les émotions. Contrairement aux idées reçues, leur rôle ne se limite pas à la bobologie, car ce terme, franchement dévalorisant, ne traduit pas la réalité de cette foule de petits soins qui abritent parfois de grands maux. Un simple « mal à la tête ou au ventre » peut révéler un état dépressif, du stress face aux examens, des drames familiaux, des prises de risques, une vie salie sur les stories des réseaux sociaux… Derrière les blessures, il y a les fêlures. Certes, comme dans tout métier, des moutons noirs peu inspirés donnent dans la « consult express » sans grande empathie, mais la grande majorité m’a toujours impressionné par son dévouement sans faille.
     
     
    Les infirmiers et les infirmières de l’Éducation nationale refusent de faire juste du conseil médical et de la surveillance épidémio visant à produire des stats sur les maladies. Bref, de s’inscrire dans un concept hygiéniste, archaïque, voire corporatiste, de la santé à l’école, éloigné du cœur de leur métier, ­l’accompagnement médicosocial. « Moi, je veux rester à l’Éduc nat, que mes collègues soient la CPE, l’assistante sociale et que mon responsable soit le chef d’établissement. On doit être intégré·es à l’équipe pour prendre soin globalement des jeunes et proposer un vrai suivi », assène Nathalie. À Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), une infirmière m’a dit en soupirant : « Quand certain·es viennent chercher refuge à ­l’infirmerie, on sonde ce qui se cache derrière le manque de motivation. Le but est de les encourager à retourner en cours. Le jour où on ne sera plus là, ils et elles seront renvoyé·es à la maison et les plus fragiles décrocheront ! »
    Ce sont souvent les infirmiers et les infirmières qui portent à bout de bras les projets d’éducation à la santé au sein du CESC (Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté) de leurs établissements. « On n’avait pas besoin de loi pour une soi-disant “école de la confiance” puisque la confiance dans nos savoirs, notre expertise de terrain, notre volonté de partager, et la confiance dans les jeunes et leur capacité à changer, nous l’avons toujours eue », ajoute Nathalie. Après les séances d’éducation à la santé comme celles que j’anime, les infirmiers et les infirmières assurent le service après-vente auprès de la file active des jeunes sensibilisé·es par notre passage. Ils et elles aiguillent vers des consultations, des centres de dépistage, accompagnent au planning, alertent parfois les services sociaux et la justice. C’est plus qu’un couteau suisse qu’on va perdre, ce sont de véritables vigies de la santé sociale de notre jeunesse qui risquent de disparaître.
     
     
    Pour nous faire avaler la pilule, on nous a servi, cette année, de l’ersatz de prév, sous la forme du service sanitaire. Des étudiant·es en médecine sont envoyé·es gratuitement, après cinq jours de formation là où il m’a fallu des années de pratique, pour diffuser une information forcément sommaire. C’est d’autant plus délirant qu’une enquête de 2018 en Île-de-France a démontré que six étudiantes en médecine sur dix avaient subi des violences sexuelles de la part de leur hiérarchie et qu’une large majorité n’était pas au courant que ces actes étaient répréhensibles.
    Pour les externes en médecine, aucune sensibilisation sur les violences sexuelles n’est prévue ! C’est donc un cordonnier bien mal chaussé qu’on mandate sur les chemins rocailleux de l’éducation à la vie affective et sexuelle à notre place. Édouard Louis a déjà dénoncé ceux qui ont tué nos pères. En s’attaquant à l’éducation à la santé, ce sont les mêmes qui s’apprêtent à sacrifier l’avenir de nos jeunes.
    Dr Kpote
     
     
    (kpote@causette.fr et sur Twitter)

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