• Les campagnes pourries, ça suffit !

     
    Photo : Carolina Aguero
     
    Pink washing ou réelle volonté de coller à son époque, la télé visibilise de plus en plus les homosexuel·les. Toutefois, à l’image d’Eric dans Sex Education, les scénarios ont du mal à s’affranchir des stéréotypes et pour ne pas trop déboussoler les téléspectateurs dans leur orientation, on leur sert sur un plateau des folles en combinaison panthère. Mais qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’exposition. Le Glaad (Gay and Lesbian Alliance Against Defamation), qui étudie la représentation des LGBT dans les séries américaines, signalait qu’en 2018, sur les 857 personnages réguliers des séries diffusées aux heures de grande écoute, 75 avaient été identifiés comme gays, lesbiennes, bisexuels, transgenres ou queer, soit 8,8 %. C’est le pourcentage le plus élevé depuis quatorze ans. Mais si la télé se « gay-friendlyse », c’est moins vrai à l’extérieur du plasma. Pour preuve, l’association SOS Homophobie signalait une augmentation de 38 % des actes LGBTphobes en milieu scolaire pour 2017. Sur fond de cyberdiscrimination visant le futur représentant de la France à l’Eurovision, le YouTubeur Bilal Hassani, le gouvernement s’est fendu, fin janvier, d’une campagne pour l’égalité dans les cours de récré, avec une accroche invitant chacun·e à faire table rase de l’indifférence : « Ça suffit ! Je m’engage contre les violences homophobes et transphobes. »
    Sur Facebook, Alexandre Magot, l’un des fondateurs du site collaboratif SVT Égalité, que j’avais interviewé pour le hors-série de Causette sur le clitoris, m’a fait justement remarquer que le « je m’engage » était « une injonction avec une odeur de déresponsabilisation énorme ». Le gouvernement ferait mieux de soutenir d’abord financièrement les associations déjà sur le terrain ou de penser à des actions collectives d’envergure avant d’envoyer des jeunes en solitaire se faire sniper dans les couloirs du bahut.
    Du coup, c’est un peu dubitatif que j’ai testé en animation l’affichette de la campagne. Et pour être franc, ce fut un fiasco. À un moment où bon nombre d’entre eux s’initient au queer dans les séries et les clips, on leur sert un message bancal à faire boiter toute une Marche des fiertés, assorti, histoire de faire la blague, d’un bloc arc-en-ciel qui ressemble à s’y méprendre au logo de Canal+. On voudrait plomber la lutte contre l’homophobie tout en faisant le VRP de Bolloré qu’on ne s’y prendrait pas autrement…
    Une classe a abordé, dès l’exposition de l’affiche, le cas Bilal Hassani, son homosexualité affichée, son goût prononcé pour les perruques et le maquillage témoignant de sa volonté de bousculer les normes. Les élèves m’ont signalé que, hormis les stars à frasques ou les gays accrédités du rayon coiffure, peu de mecs osent jouer avec les codes du genre dans les cours de récré. Survêt et virilité y font la paire à l’instar du slim actant par son moulant le manque de couilles.
    « Comment pouvez-vous vous engager, concrètement ? » tentai-je. Devant leur mutisme gêné, j’ai proposé, à titre d’exemple, d’« enrayer les rumeurs révélant l’homosexualité d’une personne sans son accord ». « S’interposer quand un mec est ciblé physiquement », a ajouté une fille. « Ou signaler ceux qui font de la merde sur les réseaux », a poursuivi une autre, un rien liguée contre ceux qui LOLent sur le dos des autres. Les garçons, eux, se sont tus. Beaucoup craignaient de passer pour une poucave (une balance, pour les non-initiés), d’être soupçonnés d’accointance avec la minorité défendue, donc d’en être.
    Je les ai invités à se poser la question « qu’est-ce que ça change dans mon quotidien ? » afin qu’ils et elles se rendent compte que l’orientation sexuelle de leur voisin ou voisine n’avait aucune influence directe sur le cours de leur vie.
    Le lendemain, des jeunes d’un lycée professionnel m’ont signifié que Bilal Hassani, encore lui, « manquait de puissance physique » pour représenter dignement la France dans un événement international. Sa fragilité, inhérente à l’homosexualité, risquait de le desservir dans la compétition face à un éventuel concurrent russe, taillé « comme une armoire à glace, la bouteille de vodka à la main », m’ont-ils dit ! Après ce festival de stéréotypes, nous avons acté que le jeune chanteur était sacrément robuste pour résister aux commentaires orduriers déversés à son encontre sur Twitter. La force de caractère ne se mesure pas en kilos de fonte poussés, mais bien en notre capacité à résister aux kilos de merde postés.
    Dans l’Essonne, un gamin d’origine marocaine a déchu Hassani de sa ­nationalité : « Il a foutu en l’air la réputation de notre pays. Il ne mérite pas d’être ­marocain. » Comme je lui signifiais que Bilal était français puisque né à Paris, il s’est montré ravi de nous refiler le déviant. Dès qu’on cause homo­sexualité, une forme d’hétéro-­nationalisme émerge et beaucoup expulsent les « pédés » loin de leurs terres d’origine. Et puis il y a ceux qui ont eu une vision plus curative de l’engagement : « Si mon fils est pédé, je le mets H24 devant le porno pour qu’il devienne hétéro ou je lui paie des putes jusqu’à ce qu’il kiffe les meufs. » Comme je les imaginais, parents, invoquer le Dieu de la schneck pour convertir leur gosse à l’hétérosexualité, j’ai eu envie de les déstabiliser en inversant la norme : « Vous avez le droit d’être hétéro, si vous le souhaitez ! » Curieusement, ça leur a coupé la chique. Ils étaient mûrs pour le slim.

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