• Par exigence professionnelle, j’ai toujours une kyrielle de préservatifs dans mon sac, et ça peut désorienter ceux qui ne connaissent pas ma profession. J’ai le souvenir d’un vigile de musée, zélé sur la fouille et qui, ayant découvert ma réserve, avait eu l’air aussi troublé qu’un sympathisant de Civitas parachuté dans un couvent des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Après lui avoir fait comprendre que j’aimais donner le goût du métier, il n’a pas tardé à biper ses collègues, qui, hilares, se sont largement servis. Fi de Facebook pour se faire de nouveaux amis : un paquet de capotes suffit !

    Les capotes, c’est mon fonds de commerce. Quand j’ouvre mon sac d’abondance et que j’annonce aux ados la distribution à venir, mon capital sympathie grimpe aussi vite que le prix du baril en période de guerre dans le Golfe. Si j’osais la métaphore biblique et la marche sur l’eau, j’incarne à ce moment-là une sorte de néo-Prophète, multipliant condoms et lubrifiant comme des petits pains. Par prudence, j’évite soigneusement les capotes au chocolat depuis que Copé s’est fait carotter les siennes par des musulmans faméliques, victimes du méchant ramadan.

    Pour les préservatifs comme pour le reste, les ados sont des grands malades de la marque. Et pourtant, comme on ne court pas plus vite avec des Puma ou des Nike au pied, on ne fornique pas mieux en Manix ou Durex au gland. Revendiquer haut et fort une marque, c’est faire genre « je maitrise » devant la galerie et, du coup, afficher une fiabilité testée. Dans la famille des légendes urbaines adolescentes, la rupture de capote au plus fort de l’acte est devenue un grand classique. Il y a tellement de capotes qui se déchirent dans les lycées qu’on se demande pourquoi les Chinois continuent de caracoler en tête du hit-parade de la démographie. Mais peut-être que l’industrie du latex ne réserve aux adolescents que des préservatifs bas de gamme non adaptés à la vigueur de leurs coups de rein ?! Les plus puritains y voient une intervention divine pour punir les pécheurs qui osent pratiquer sans sacrement et les plus marxistes-léninistes, rares au sein de cette adolescence à la conso compulsive, un coup de ces « salauds de labos » pour faire exploser les ventes de RU486 ou de Norlevo (dite "pilule du lendemain").

    Sauf que souvent, de rupture, il n’y en a pas, parce que de préservatifs, il n’y en a point… L’ado, par anticipation des reproches, abuse l'adulte référent, rechigne à la confession. Les raisons de se passer de protection malgré toutes les animations de prévention dès le collège sont légions : les soirées bien arrosées, le manque de sensations, la dimension technique de la pose, la peur de manquer de temps et de voir la virilité se dégonfler ou l’objet du désir se carapater…

    La démonstration de la pose du préservatif dans mes animations demeure toujours un grand moment de communion. Pour éviter tout hétérocentrisme, je sors des préservatifs féminins en évoquant aussi les risques de transmission entre filles et les godes partagés. Certains s’en émeuvent alors que les sextoys s’affichent en Une des magazines : c’est tout le paradoxe de notre société. Même les plus réticents à toute forme de débat sur la sexualité se rapprochent pour ne pas en rater une miette. J’utilise un avatar de pénis taillé dans le bois à ma disposition, présentant une taille moyenne pour ne traumatiser personne.

    Au nom de l’amour, des sensations et du sacro-saint plaisir partagé, c’est drapé de l’aura de grand prélat de l’erectus dei que j’invite mes fidèles au recueillement, devant cette icône divine et phallique. Dans un silence de cathédrale, je prêche, un à un, les dix commandements du condom.

    Tu contrôleras la qualité de l’emballage, car, pendant tous ces mois de choux blancs accumulés, tu l’as si souvent tripoté au fond de ta poche qu’il est bien élimé.

    Tu vérifieras la date de péremption (et non de transpiration comme un adepte du sport en chambre me l’avait soufflé à Pantin), histoire d’éviter la porosité.

    Tu ouvriras l’emballage sur toute la longueur, sans tes dents, tes ongles, tes ciseaux, ta bite et ton couteau.

    Tu vérifieras bien le sens avant de la dérouler pour éviter tout contact avec le liquide séminal, ce liquide incolore qui lubrifie le gland et le rend brillant dans la nuit.

    Tu pinceras le réservoir, pour éviter la fameuse bulle d’air qui éclate sous l’effet piston.

    Tu la dérouleras sur toute la longueur de ton sexe en érection, et ça peut être long.

    Tu ajouteras, éventuellement, du lubrifiant, car c’est la wax du surfeur de l’amour, qui comme la vague irrésolue, va et vient entre tes reins.

    Tu donneras et tu prendras du plaisir, car, c’est toujours ça que les bigots n’auront pas.

    Tu tiendras le condom quand tu te retireras afin qu’il ne reste pas dans le vagin ou l’anus de ton/ta partenaire, car il convient de ne pas confondre « exploration des sens » et « spéléo ».

    Tu feras un nœud avant de t’en débarrasser dans la poubelle verte. Pas la jaune, car le préso ne s’utilise qu’une fois et point tu ne le recycleras.

    Voilà, mes chères ouailles, vous pouvez maintenant aller (et venir) en paix. Et n’oubliez pas le denier du cul avant de sortir.


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