• Ça y est, la journée de la femme est bien pliée, rangée au rayon "grandes causes" du placard démago, sur la même étagère que la Journée mondiale de lutte contre le sida et la fête des grands-mères... La vie des citoyennes, elle, continue sans grand bouleversement, loin, très loin des débats sur Agoravox...

    Je suis dans un lycée de la Seine-Saint-Denis, dans une classe de filles. Elles sont entre elles, et du coup, la parole est plus libre. Alors, elles racontent qu'en sortant du lycée, elles doivent faire face, à l'entrée de la cité, à un véritable barrage érigé par les autorités locales. En effet, tous les soirs, les mecs les attendent et leur demandent leurs carnets de correspondance pour vérifier leur assiduité aux cours. En cas de problème, d'absence, de retenues, de mots d'un prof ou du CPE, elles se font tabasser. Le carnet de correspondance est du coup devenu une sorte d'hymen scolaire. Intact, vierge de tous reproches, il ouvre les portes de la cité, d'une vie sociale, amicale, voire plus si affinités. S'il est souillé par des  réprimandes, si la malheureuse a fauté, alors s'en est fini de sa réputation, donc de son avenir au sein de la communauté...

    Ces mecs ne sont ni leurs frères, ni leurs pères. Mais ils se positionnent en tant que tel. Déscolarisés, survivants grâce aux petits trafics de came ou de matos, ils ont mis au point cette douane, ce no woman's land dans lequel, les filles doivent déclarer le contenu de leur journée. Ces quelques mètres carrés de bitumes qui font office de territoire sont soumis au diktat de ces garçons, pris entre deux modèles de société, celle de l'extérieur dans laquelle ils ne sont pas reconnus et celle de l'intérieur, celle de leur famille, dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Ils sont eux-mêmes les prisonniers de leurs propres frontières, s'érigeant en défenseur d'une morale qui ne s'applique pas à leur propre existence. Ce pouvoir sur les filles, c'est le seul qui leur reste, d'autant plus légitime qu'il est souvent cautionné par une lecture simpliste des écritures divines ou un machisme inhérent à la loi du quartier.

    On s'émeut beaucoup des actes fous d'un lycéen allemand ou américain portant le deuil de ses futurs victimes, qui défouraille à tout va grâce à l'artillerie de son paternel, mais on étouffe de notre indifférence cette violence muette qui fait le quotidien de ces jeunes et qui les marquera probablement pour toute leur existence, influençant leur relation à l'autre, déterminant leur future vie d'adulte.

    Que dire à ces filles qui rentrent la peur au ventre tous les soirs, rêvant d'une liberté que notre constitution était censée leur assurer : « Dormez tranquilles les filles, la journée de la femme veille sur vous. Fadela et Christine ne vous oublient pas. Des jours meilleurs sont à venir. Et surtout, après chaque rencontre, vérifiez bien vos carnets et votre hymen. »



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  • C'était hier soir et une fois de plus, les absents et les provinciaux ont eu tort...

    Allez, toutes mes condoléances grâce au tube :

    http://www.youtube.com/watch?v=YwF7qAdH0og


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  • Le fantasme de la daronne lascive, le peignoir entrouvert sur une vulve bien huilée, qui ouvre sa porte à un ouvrier à l'entre jambe Siffredienne, les couilles moulées dans son bleu, a encore du crédit dans les CFA du bâtiment. Aussi, mesdames, en délicatesse avec votre tuyauterie, attention... Car si Freddy les griffe la nuit, Siffredi, lui, les défonce le jour. Les chauffagistes, les maçons et les menuisiers que j'ai rencontrés la semaine dernière sont tellement persuadés que la copulation de chantier est à portée d'éjac' faciale, qu'ils en ont fait leur principale motivation d'obtention du CAP. Pour ne pas dire la seule.

    Comme d'habitude avec les classes de mecs, on est entré rapidement dans le vif du sujet.
    "Moi, je suis un dalleux, je défonce de la chatte. Je suis comme un fou. J'ai toujours faim." Il pose dix questions à la seconde, y répond dans la même seconde, la pupille dilatée, le cerveau enfumé et les synapses en pilotage automatique. Il est agité, bourré de tics et je me dis que le cannabis joue à fond son rôle d'anxiolytique. En face de moi, assourdi par une logorrhée sans fin de pornographie ordinaire, je distingue une vraie bombe à retardement. Il est aussi petit que son compagnon de table est imposant. Il y a un côté « Des souris et des hommes » de Steinbeck, dans le couple. L'un parle, l'autre se marre, bêtement.

    Puis, le Lennie, genre toxico du kebab, se fait d'un coup plus sérieux. "Vous pouvez parler de la virginité, M'sieur ?"
    Aussitôt le petit nerveux éructe : "si tu défonces une vierge, et que tu la laisses, tu devras construire sept mosquées".
    Pour des maçons, je me suis dit que la construction de sept mosquées, ça pouvait leur assurer du boulot pour un paquet d'années. En ces temps de crise, voilà une bonne motivation pour se faire plus cochon.

    Après avoir usé de toutes mes planches d'anatomie pour bien montrer la différence entre le vagin, la vulve et l'utérus, expliqué que l'ovule n'était pas les sécrétions vaginales, et passé un temps incroyable à parler des hymens plus ou moins compliants, j'ai senti mon Lennie un rien dubitatif.
    Pour lui, une vierge, ça doit se voir. Pas question de se faire arnaquer au mariage! Alors tout en se grattant le crâne, il trouve sa solution: "une meuf vierge, on s'en aperçoit forcément. Quand on la défonce la première fois, elle n'est pas pareille, elle doit transpirer du cerveau"... Il a le sourire en coin, la langue qui balance d'une lèvre à l'autre. Je scrute ses mains, persuadé que je vais y apercevoir les restes d'une souris broyée, éviscérée...

    On a encore passé deux heures sur les putes qui se font défoncer et les vierges qu'on épouse. Cette fois, j'ai peu argumenté, comme fatigué. J'ai pensé à ma mère qui se faisait tabasser et qui a anesthésié sa douleur dans les médocs jusqu'à l'overdose. J'ai pensé aussi à ma fille, qui fête son premier mois de vie sur terre et j'ai écouté tous ces gamins cabossés, testostéroner pour fanfaronner, comme pour mieux exister, maîtriser... J'ai filé quelques capotes, avec la vague impression de distribuer une arme de poing à de futurs combattants. Pour un peu, je m'en serais voulu. Mais, quand le bâtiment va, il y va...


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