• Une fois n'est pas coutume, je vous fait du resaucé... Pour ceux qui ont vu le reportage de Caroline Fourest sur Envoyé Spécial, hier, dont le titre était "certifiées vierges" (tiens), voici un petit supplément de vécu avec ce texte que j'avais publié en juillet dernier... Bon allez, c'est pas tout ça, mais je prends le périph' direction le sud, moi...

    (...) C'était avant la fameuse loi sur le port du voile à l'école, ou bien dans un établissement où celle-ci n'était pas appliquée à la lettre, je ne me souviens pas très bien. Par contre, j'ai bien en mémoire les visages de ces trois jeunes filles qui ne voulaient pas entendre parler de sexualité, en pleine période de ramadan, et qui avaient, pour montrer symboliquement leur hostilité, relevé leurs foulards et couvert leurs oreilles.

    Qu'importe. Plutôt que les inviter bêtement à sortir, je m'étais dit qu'elles pourraient toujours entendre une partie de l'intervention et y prendre ce qu'elles voulaient. Comme la classe était peu réactive, j'ai proposé les « petits papiers » : les élèves posent une question anonyme par écrit et nous tentons ensemble d'y apporter une réponse.
    J'avais repéré le papier à gros carreaux utilisés par les trois jeunes filles et j'ai pu facilement les identifier :
    « Peut-on être "déviergée" par derrière ? »
    « Pourquoi la sodomie donne des grosses fesses ? »
    « Peut-on attraper le sida par les fesses ? »

    Sodomie et virginité, les frères ennemis de la religion, l'association lubrique qui fait que probablement les nuits des croyants sont plus lubrifiées que leurs jours, surtout du côté de l'Orient... Derrière tout ça, émerge la question de la vraie définition de la virginité. Une fille peut-elle être considérée comme encore vierge si elle pratique la sodomie ? Ou la fellation ? La virginité se limite ou pas au caractère intact de l'hymen ?...

    Les élèves sont souvent partagés sur la question, toutes confessions confondues. En tout cas, celles qui se battent chapelets et ongles pour limiter la virginité à la seule pénétration du vagin, ont parfois des petites aventures anales ou buccales à cacher... Dans l'intensité du débat, ça finit toujours par transpirer et surtout ça jette un petit froid... Pour résumé, et à l'unanimité, ça se pratique au bled, mais ici, silence radio, le téléphone arabe est au abonné absent...

    Après avoir tant bien que mal régulé un débat parfois houleux, je me souviens avoir posé la question : « l'hymen d'une jeune fille vierge est-il toujours un peu ouvert ? »
    La réponse a fait l'unanimité. C'était non. L'hymen était un voile (tiens, encore là, lui), dur, fermant hermétiquement le vagin, une sorte de couvercle Tupperware assurant la fraîcheur du produit...
    J'avais imprimé quelques dessins de différents types d'hymen trouvés sur un site de gynécologie (http://www.aly-abbara.com/livre_gyn_obs/termes/hymen.html ). Je les ai fait passé en parlant de la compliance de l'hymen, de son ouverture plus ou moins importante selon les filles et de cette possibilité d'une première fois indolore et sans écoulement sanguin... Certaines étaient en état de sidération, au point de se demander si je n'étais pas rémunéré par le gros poilu aux sabots et à l'haleine de bouc pour semer le trouble dans les esprits sains. Je risquais le bûcher, frisais la lapidation. Heureusement que nous n'étions ni au Yémen, ni au Nigeria...

    Je leur ai fait part d'un témoignage d'une jeune femme qui le soir de ses noces s'était vu répudier par son mari d'importation parce que la pénétration avait été trop facile à son goût, à cause d'un hymen certainement compliant. L'acte avait provoqué des doutes quand à la véritable virginité de son épouse et le type avait demandé l'annulation de la cérémonie... Encore un mariage qui reposait sur l'amour et la confiance entre deux êtres et voué à la réussite !!

    Les trois jeunes filles écoutaient attentivement. Je le devinais à la concentration de leurs visages. J'ai proposé ensuite une séance de scénarios à laquelle, elles ont refusé de participer en s'installant au fond de la classe... On frisait l'overdose de révélations. Aussi, je les laissais un peu mariner.

    À la fin des deux heures et au moment où les élèves sortaient, je décidais de les interpeller pour leur demander leurs avis. J'ai d'abord lu l'incompréhension dans leurs yeux. Puis les doigts ont fouillé maladroitement dans les poches. Des lecteurs mp3 sont sortis et sous les voiles, j'ai distingué des écouteurs... C'est drôle quand la tradition vient masquer l'arnaque, ça démystifie le concept d'intégrisme. Le voile se faisait malin. Prises la main dans le pot de confiture, elles se sont marrés, non sans rajouter gentiment : « Merci, m'sieur, on a appris des choses ! »

    Je suis certain que les intégristes de tout bord ne vont pas tarder à demander la mise en place d'une norme ISO, certifiant la virginité et estampillée par le grand mufti, le rabbin en chef ou le pape... Avant d'épouser une femme, ils chercheront l'étiquette et comme devant la barbaque au supermerde, ils exigeront la traçabilité... Pour peu, on assistera alors à l'émergence d'un nouveau métier : éleveur de vierge.

    Pour illustrer mes propos, j'ai pris ce petit texte à la volée via google sur un forum beur (fautes comprises) :
    L. - 07/02/2006, 19h46
    Moi franchement ça m'angoisse de ne pas saigner la nuit de noce, mon mari va forcément se poser des questions. Et la belle famille qui attend de voir la tache de sang. Imagine qu'il n'y en ai pas, je me sentirai trop male.


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    Pouce. Je réclame une pause. Les vacances scolaires tombent à pic. Le gong de vendredi m'a évité le K.O...

    Cette semaine, j'ai tutoyé l'Everest de la douleur muette dans un Centre d'Apprentis. J'ai surfé sur des pentes de vie aux inclinaisons vertigineuses et croisé des cœurs enfouis sous des avalanches d'incompréhension. J'ai rencontré trois classes composées exclusivement de filles, en formations « petite enfance » et « carrières sociales et sanitaires ». Comme si j'avais eu le nez creux, anticipé leur besoin de « dire », j'ai proposé pour changer, les fameux « petits papiers ». Les élèves doivent poser des questions écrites et bien pliées, donc anonymes que je récupère dans une urne. J'ai été surpris par le nombre de questions sur les grossesses non désirées, l'avortement, les viols et les agressions...

    C'est vrai qu'en ce moment, j'induis un peu plus le sujet en insistant beaucoup sur les notions de consentement et de limites, en abordant le chantage affectif, les pressions qu'on peut subir dans un couple établi ou non. J'ai eu, dans ce CFA, chose rare, trois entretiens privés demandés par des jeunes filles... Le dernier m'a profondément bouleversé, ayant probablement baissé ma garde à cause de l'accumulation. La jeune fille s'est livrée à mots feutrés. Elle a beaucoup tortillé des mains, retenant ses larmes, l'animation ayant réveillé le souvenir de ce viol, 4 ans auparavant, resté impuni car nié par son entourage et les flics. Sa copine lui tenait la main, le visage grave, me questionnant du regard, attendant la solution miracle.

    Dans toutes ces histoires, j'entends la souffrance bien sûr, mais aussi la solitude, la culpabilité générée par le regard inquisiteur des autres, le manque d'espace pour échanger, la peur du « qu'en dira-t-on ». Je me suis dit qu'on avait développé à outrance les numéros verts, les permanences téléphoniques, les sites internet mais cette jeune fille-là n'en voulait plus de l'écoutant anonyme, du bip numérique, du tchat électronique, de l'anonymat. Elle cherchait un regard non jugeant, de la chaleur humaine, une écoute individualisée, une main tendue plus qu'un clavier ouvert...

    Au retour, j'avais ½ heure de RER, et avec Marvin Gaye dans les oreilles afin de sucrer un peu ce monde amer dans lequel j'ai parfois l'impression d'évoluer, je me suis posé la question du cadre de nos animations... Une fois de plus. Nous nous plaisons à revendiquer que nous ouvrons une fenêtre de discussion sur un sujet bien souvent tabous dans les familles. Certes. Mais que mettons-nous en place lorsqu'il n'y a pas, comme dans l'établissement où j'étais, une assistante sociale ou une infirmière. Nous écoutons, soutenons un peu mais une fois parti, cette fenêtre laissée ouverte, ne peut-elle pas devenir une ouverture par laquelle on se jette pour en finir ?...

    Auprès de cette jeune fille de 19 ans, j'ai fait une chose que je n'avais jamais faite depuis sept ans où j'interviens dans les lycées. J'ai pris son numéro de portable pour me laisser le temps de la réflexion et chercher des adresses de lieux spécifiques, capables de recueillir son histoire, de l'aider à « vivre avec ». Je sais que je ne peux le faire systématiquement sinon, je risque l'implosion. Et puis surtout, je repousse les limites de ce cadre institutionnel qui est censé nous protéger mais qui n'existe que sur du papier. Mais ça m'a fait du bien de penser que je n'étais pas une simple borne informative débitant sa litanie mais bel et bien un être humain capable d'émotion et d'actes instinctifs.

    Le lendemain, chez moi, j'ai appelé SOS viols à sa place, au 0800 05 95 95 et je dois dire que j'ai été bluffé par la qualité de l'accueil téléphonique. L'écoutante m'a indiqué l'adresse d'une association sur le 95, spécialisée dans l'accompagnement des femmes ayant subie des violences sexuelles. J'ai rappelé B. le soir même et je l'ai incité à s'y rendre, lui signifiant mon empathie. Je ne sais pas si elle le fera. Ce n'est pas forcément mon rôle de l'accompagner plus loin dans ses démarches même si l'envie est là. J'ai mal dormi les nuits suivantes. Je pense à toutes ces cicatrices souvent invisibles qu'on découvre, à vif, dans ces moments où nous sommes capables de soulever légèrement l'étoffe des faux-semblants, de nous débarrasser de nos manteaux d'indifférence. Je pense à ses plaintes restées sans suite, sans échos, vaines... Je pense à ces numéros verts qui ont parfois, comme le Canada Dry, le goût et la couleur de l'Espoir, mais qui n'en n'offrent plus... Je pense à toi, B., et je te souhaite de retrouver un jour, une heure, une seconde le goût du bonheur.

    Au passage, je voudrais vomir tous les opérateurs qui surtaxent l'appel de numéros vert à partir d'un portable... Une fois de plus, les salauds s'enrichissent sur le dos de drames humains. Pas joli, joli...


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  • A propos de l'âge du consentement sexuel fixé à 15 ans :

    " Ma sœur, à 14 ans, elle baisait avec un daron de 33 ans... Ben ma mère elle voulait porter plainte pour se faire du blé.

    - Et elle l'a fait ?

    - Non elle n'a pas eu le temps. Mon père lui a déchiré la gueule au mec. On ne l'a jamais revu..."

    <o:p> </o:p>
    On a retrouvé les Thénardiers...


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  • Deux heures et puis s'en va... Deux heures, c'est la durée d'une animation. Deux heures, c'est parfois long, quand la classe s'en fout, que les esprits s'enfuient, que les visages sous les parkas s'enfouissent. Et puis deux heures, c'est souvent trop court, quand les questions fusent sur les filles, les garçons, les histoires, les embrouilles, la fellation ou la sodomie, la transmission des virus, les moyens de contraception, l'orientation sexuelle, les agressions... Deux heures, ça suffit parfois à réveiller les vieux démons, à redonner vie aux cauchemars bien rangés, sous perfusion d'oubli, au fond de la mémoire. Je remarque alors un changement d'attitude, un regard mouillé, un rictus nerveux. Quelquefois, n'y tenant plus, certains ou certaines se lèvent et sans un mot, sortent, pour se jeter dans les bras de l'infirmière qui leur a embrayé le pas. Ensuite, il y a un blanc et des rires forcés.
    Hier, dans un centre d'apprentis au cœur de Paris, c'est une jeune fille qui a patienté pour partager son intimité. Je l'ai trouvée toute suite cernée, comme très éprouvée par l'animation. Les mots se sont bousculés, véritable foule de syllabes tentant d'échapper aux flots des sanglots en train de monter. J'entends l'inceste, les rapports sexuels forcés avec un cousin plus âgé quand elle avait 11 ans... La police qui n'a rien voulu entendre, la culpabilisant... Les moqueries, les insinuations, et puis la vie qui balbutie... Bancale, la vie... Erigée en Tour de Pise sur ses fondations violentées... Sa sexualité bloquée sur son corps souillé... Sa boulimie, ses tentatives de suicides... Son copain, exceptionnel, qui comprend, qui soutient mais qui fatigue parfois. Je manque de temps car j'ai une autre classe dans la foulée, qui trépigne dans le couloir. Répondant à ses envies judiciaires, je lui conseille quand même de porter plainte car il n'y a pas prescription, de se faire accompagner car le combat sera rude, de tout mettre en œuvre pour faire reconnaître son statut de victime, condition à sa reconstruction. Je suis obligé d'être concis, professionnel, presque froid. Des élèves arrivent pour investir la classe, le prof s'agace... L'intimité est brisée, l'échange avorté... Un dernier sourire triste échangé et son visage s'efface dans les bousculades de couloirs. Deux heures et puis s'en va...

    En rentrant chez moi, j'ai décidé de briser la confidentialité de notre entretien et j'ai informé l'assistante sociale du CFA de cette situation, craignant que l'animation ne l'invite à se taillader une nouvelle fois les veines... L'assistante sociale, émue, m'a dit qu'elle ferait tout pour rentrer en contact avec elle sans lui faire part de mon appel. Pourvu que...

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  • C'était dimanche sur France Inter. Un reportage sur l'Afrique du sud, où l'espérance de vie est passé de 61 à 47 ans à cause du sida... Les témoignages sont édifiants. Podcastez et militez...

    http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/interception/


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