• C'est à travers de larges grilles,
    Que les femelles du canton,
    Contemplaient un puissant gorille,
    Sans souci du qu'en-dira-t-on.
    Avec impudeur, ces commères
    Lorgnaient même un endroit précis
    Que, rigoureusement ma mère
    M'a défendu de nommer ici...
    Gare au gorille !...


    37 millions de morts, 40 millions de personnes infectées... Et pourtant à France3 Ile-de-France, on continue de communiquer sur le sida juste pour se marrer. Dans le cadre du Sidaction, une équipe de France Télévisions est venu filmée une séance de prévention dans une classe d'un lycée agricole pour l'associer à un reportage sur un jeune homosexuel contaminé lors de son premier rapport non protégé. Deux heures de débats, de questions/réponses, d'informations ont été résumés à l'antenne en une seule phrase d'un élève : « il parait que le sida est arrivé parce que des hommes ont fait l'amour avec des singes ». Homosexualité et contamination par les singes, le choix éditorial semble directement inspiré par la génération anti-PACS, celle-là même qui scandait « les pédés au bûcher ». Et voilà ! 25 piges de prévention et de sensibilisation à la cause des malades, atomisées en une phrase au JT de 13h30 et en version remix à 19h30. 25 ans qu'on se la traîne, l'histoire de la guenon sauvagement prise sur un lit de feuilles de bananier par le légionnaire américain ou l'érotomane chasseur africain. Je dis guenon mais pour d'autres, la vraie version c'est celle du gorille échappé d'un backroom de campagne, écartant le fion d'un soldat n'ayant pas surveillé ses arrières. 25 ans qu'on associe la présence du virus à la faute originelle, non pas celle de la pomme croquée, mais du primate défloré. L'homo erectus ne serait qu'un singe amélioré, délaissant de temps en temps les partouzes arboricoles pour aller voter.

    ...Tout à coup la prison bien close
    Où vivait le bel animal
    S'ouvre, on n'sait pourquoi. Je suppose
    Qu'on avait du la fermer mal.
    Le singe, en sortant de sa cage
    Dit "C'est aujourd'hui que j'le perds !"
    Il parlait de son pucelage,
    Vous aviez deviné, j'espère !
    Gare au gorille !...


    Que les élèves savourent cette histoire me parait somme toute bien naturelle. Les histoires de baise dans la savane ont toujours nourri nos fantasmes, du célèbre « toi, Jane. Moi, Tarzan » à l'accouplement animal donc bestial. Je me délecte parfois moi aussi de la scène, m'imaginant par choix personnel, non pas un juge en robe mais un adjudant-chef en treillis, dépucelé par un orang-outang qui aurait soigné sa couleur chez Tony and Guy. Le problème est qu'en période de mobilisation, France3 montre une fois de plus que le sida se résume à une vague histoire de coucherie, de semence qui aurait traversé la barrière des espèces. Surtout, on réduit les jeunes à une bande de décérébrés qui se gaussent de la transmission homo-simiesque en se tapant dans les mains. Les jeunes sont des singes qu'il convient de dresser.

    ..."Bah ! soupirait la centenaire,
    Qu'on puisse encore me désirer,
    Ce serait extraordinaire,
    Et, pour tout dire, inespéré !" ;
    Le juge pensait, impassible,
    "Qu'on me prenne pour une guenon,
    C'est complètement impossible..."
    La suite lui prouva que non !
    Gare au gorille !...


    La télé n'a jamais rendu service aux malades du sida. Elle lui a toujours préféré le Téléthon et sa horde de myopathes, floutée par le réalisateur dans les pupilles brillantes d'un présentateur aux muqueuses nasales finement préparées pour les 24 heures de la charité. Les enfants malades du sida, on ne les a jamais montrés. Les familles refusent, par peur de la discrimination. Les seuls qu'on a vus et revus, c'est les petits roumains des orphelinats de Ceaucescu. Ceux-là, c'était pour la parade, pour nous rassurer sur notre capacité à nous émouvoir de l'horreur. « Nuit et Brouillard » version sidéen. Je me souviens que des journalistes nous reprochaient notre manque de motivation, lorsque la veille du Sidaction, ils confondaient Pizza Hut et Allo Sida Express. « Il nous faut un enfant en fin de vie. Ou une mère qui vient d'infecter son gamin. Un volontaire associatif en deuil d'un parrainage, filmé au Père Lachaise... ». Nous refusions. Ne pouvant fournir. Par éthique. Mais la télé se fout de l'éthique. Elle veut juste que ça chiale dans les chaumières et que ça se mouche pendant les coupures pub.

    ...Mais, par malheur, si le gorille
    Aux jeux de l'amour vaut son prix,
    On sait qu'en revanche il ne brille
    Ni par le goût, ni par l'esprit.
    Lors, au lieu d'opter pour la vieille,
    Comme l'aurait fait n'importe qui,
    Il saisit le juge à l'oreille
    Et l'entraîna dans un maquis !
    Gare au gorille !...

    La suite serait délectable,
    Malheureusement, je ne peux
    Pas la dire, et c'est regrettable,
    Ça nous aurait fait rire un peu ;
    Car le juge, au moment suprême,
    Criait : "Maman !", pleurait beaucoup,
    Comme l'homme auquel, le jour même,
    Il avait fait trancher le cou.
    Gare au gorille !...


    Je vais louer un costume de King Kong et kidnapper cette mauvaise journaliste de France3, lui coller une perruque blondasse, la prendre dans mes mains velues et la traîner tout en haut de la tour Montparnasse. Je lui cracherais à la gueule, histoire de lui refiler mon herpès labial. Je veux l'entendre crier « Maman » et demander pardon à ces 40 millions de séropos qu'on a associé l'espace d'une minute à la mauvaise blague d'un pré-ado à peine pubère. Et puis, je la lâcherais, pour éviter qu'elle ne recommence.   

    Quant à la transmission singe homme, elle s'est sûrement produite il y a très longtemps, probablement au contact du sang des singes pendant la chasse ou l'ingestion de viande du même animal. Mais franchement, on s'en bat les flancs... (Merci à G. B. pour la chanson).


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